Dans toutes les écoles de France, les professeurs spécialisés interviennent pour venir en aide aux élèves en proie à de grosses difficultés, mais aujourd’hui la situation s’est renversée et ce sont eux qui se retrouvent en difficulté face au manque d’effectif saisissant qui ne leur permet plus de pratiquer leur métier correctement.
À l’approche de la rentrée 2025, ils sont encore trop souvent oubliés, mis de côté, délaissés. La présence des professeurs spécialisés du primaire est une question que l’Education Nationale aime bien glisser sous le tapis. Cependant, de nombreux problèmes commencent à être visibles. Un grand nombre d’enseignants et de syndicats pointent du doigt le traitement de ces enseignants spécialisés qui sont pourtant de plus en plus utiles. En 2020, un collectif d’une dizaine de syndicats avait déjà communiqué le devoir urgent de prendre des mesures pour redonner de la force et des moyens au RASED.
Cet acronyme, qui signifie « réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté », regroupe depuis 1990 tous les professeurs spécialisés et psychologues scolaires employés par l’Etat. Leur rôle, selon le Ministère, est de « prévenir et remédier aux difficultés scolaires qui résistent aux aides que les enseignants des classes apportent à leurs élèves ». Néanmoins, il existe également de nombreux types d’accompagnements extérieurs à l’Education Nationale comme les CMPP ou le SESSAD. Ces structures viennent compléter le rôle du RASED, dans l’accompagnement des élèves qui ont de grosses difficultés. Ces effectifs sont donc indispensables sur le terrain. Pourtant, de multiples facteurs entretiennent un phénomène de détérioration de leurs conditions de travail.
« Pas de volonté de préserver les postes »
La première difficulté qui se pose pour les membres du RASED est un manque criant de postes pour répondre à la demande. « C’est une volonté de l’Education Nationale je pense, mais oui, on est de moins en moins nombreux », affirme la psychologue scolaire, Véronique Butet. Pourtant, il est très compliqué d’identifier la volonté du gouvernement sur ce sujet depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Les différentes voies prises par ses prédécesseurs étaient, elles, très claires et avaient été chiffrées dans un rapport de 2021 mené par l’Inspection générale de l’éducation.
Le quinquennat du président Sarkozy avait été catastrophique pour le RASED, avec une perte d’un tiers de leurs effectifs, les réseaux avaient dû attendre 2012 pour voir leur nombre se stabiliser autour de 100 000 enseignants spécialisés. Depuis 2017, bien que la situation ait peu changé, une légère baisse est observable chaque année. « Il faudrait que ça s’améliore, mais je crois que ce n’est pas dans l’air du temps, par exemple, quand les éducateurs prennent leur retraite, les postes ferment », poursuit Véronique Butet. Face à cette problématique du nombre de postes, le Ministère agit implicitement. Aucune ligne directrice n’est clairement exprimée par cette instance, qui maintient un dialogue très restreint, aussi bien avec ses enseignants, qu’avec les journalistes qui souhaitent évoquer le sujet.
Une formation difficile
Un problème d’effectif ne sort jamais de nulle part, il est toujours important de remonter plus loin pour le comprendre. Dans le cas des RASED, la formation des enseignants spécialisés constitue un premier élément de réponse. Pour obtenir la spécialisation, les enseignants des classes volontaires doivent suivre une formation de 15 semaines qui sont réparties sur l’année scolaire. Puis les candidats doivent passer un concours.
Réputé difficile, ce dernier constitue un premier obstacle à la validation des spécialisations. « Cette formation demande beaucoup d’investissement et une très grosse charge de travail aux collègues, qui ont aussi leur poste en classe à tenir le reste du temps » déplore Marion Chevalier, secrétaire départementale au syndicat UNSA. Souvent située loin du domicile du candidat, la formation attire peu de postulants. De plus, elle combine l’apprentissage de ce nouveau métier d’une manière très théorique, à la découverte, lors du tutorat, du poste d’enseignant spécialisé, ce qui n’est pas toujours simple. « Il y a un décalage entre le contenu de la formation et la réalité du terrain », appuie Marion Chevalier.
« Un rythme de travail infernal »
Pour combler le vide des postes inoccupés, une grande mode s’est lancée depuis quelques années : celles des postes de fonction. Ces postes ne sont donc pas occupés par des enseignants spécialisés qui auraient suivi la fameuse formation, mais par des enseignants « classiques », qui apprennent directement sur le terrain. Après plusieurs années, ces faisant fonction obtiennent une équivalence et donc la spécialisation. Mais cette solution n’est pas toujours adéquate. Les faisant fonction n’ayant aucune expérience initiale, leur adaptation n’est pas toujours simple et les relations avec les enseignants classiques peuvent être compliquées. Ces relations peuvent être un facteur rendant le métier plus pénible au quotidien.
Ayant la responsabilité de faire évoluer l’élève, de le débloquer, la pression sur les épaules des enseignants spécialisés est d’autant plus forte. « Les instituteurs demandent une réparation des problèmes des enfants assez rapide, et même si en général ça se passe bien entre nous, il peut il y avoir des tensions », explique Nadège Moreau, coordinatrice pédagogique au CMPP. Ces tensions et ces attentes sont aussi motivées par le fait que les enseignants spécialisés ne gèrent pas de classe entière, ce qui, pour certains professeurs, impliquerait qu’ils ne savent pas gérer certaines difficultés.
Des troubles plus importants chez les élèves
Gérer un groupe de cas difficile est pourtant l’essence du métier d’enseignant spécialisé. Cette réalité devient même de plus en plus réaliste au fil des années avec l’augmentation et l’intensification de certains troubles chez les élèves. « C’est plus fatigant mentalement, plus lourd, on voit que le nombre d’enfants ne diminue pas et les difficultés sont plus importantes », déplore Véronique Butet.
Le processus s’est d’autant plus accéléré lors du confinement. Pour Nadège Moreau, « Il y a plein de familles qui ont explosé, plein d’enfants qui ont mal vécu cet épisode, voire qui ont subi des violences, on le voit dans les écoles, le COVID a été un coup d’accélérateur terrible ». Les enseignants spécialisés doivent donc gérer cette recrudescence tant bien que mal au vu du peu d’effectifs qu’ils ont actuellement. Une situation bien compliquée, qui n’est pas près de s’améliorer.