Chaque année depuis 1976, l’Académie des arts et techniques du cinéma (ou plus communément appelée « Académie des Césars »), comité composé de professionnels du grand et du petit écran, décerne ses Césars, trophées récompensant le fleuron des longs-métrages français.
Pour cette édition, l’accent est mis sur un rappel constant de la situation actuelle difficile des cinémas due aux conditions sanitaires auxquelles nous sommes confrontés. Tout d’abord fermées une première fois en mars 2020 pour connaître une réouverture temporaire durant l’été de la même année, nos salles obscures ont vu leurs portes se clore à nouveau courant octobre. Cela fait donc 145 jours qu’aucun film n’a été projeté sur grand écran, un bien triste record historique de fermeture continue qui n’avait pas même été atteint en période de guerre. Près de 250 jours sur un an de rideaux de fer baissés et de toiles sombres, éteintes, mais des professionnels et amateurs toujours plus engagés (et enragés) afin de voir insuffler un second souffle à leur art, le voir enfin revivre.
Tel est le crédo de cette cérémonie, rappeler que le cinéma n’est pas mort, qu’il continue à vivre et être célébré, et qu’il ne demande qu’un feu vert pour repartir de plus belle.
Très régulièrement mentionnée durant cette période, la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot est présente durant la soirée, installée dans les loges de l’Olympia. Les artistes n’ont alors pas manqué de lui asséner, tel un fil rouge, nombre de remarques cinglantes, souhaitant lui rappeler la situation des salles de cinéma. La cérémonie sera alors à l’image d’un discours d’ouverture prononcé par une Marina Foïs en plein second degré, se moquant du livre écrit par la politicienne et de sa « recette de pâtes au gorgonzola » qui permet de « trouver du réconfort pour traverser les crises ». Utilisant l’humour ou bien préférant une approche plus frontale, chacun ira de sa pique envers la Ministre, laquelle ne semblera pas apprécier puisqu’elle annoncera quelques jours plus tard au micro de RTL « cette cérémonie (…) n’a pas été utile au cinéma français ». Selon elle, « c’est navrant de voir des artistes piétiner leur outil de travail », déplorant que la cérémonie ait eu plus des airs de « meeting politique » que de véritable consécration du cinéma français.
Mais les Césars n’en resteront pas là en terme de polémiques. En effet, la soirée est marquée par l’intervention remarquée (et certains diront remarquable) de l’actrice Corinne Masiero, interprète du Capitaine Marleau. Invitée pour remettre le prix des Meilleurs Costumes, finalement décerné au film La Bonne Épouse, celle-ci arrive sur scène vêtue de la Peau d’Âne du film musical de Jacques Demy. Elle le retire finalement pour laisser place à la robe ensanglantée de Carrie au Bal du Diable, film horrifique éponyme culte de Brian de Palma. Mais l’actrice ne s’arrête pas là et, jugeant sa tenue « trop trash », prévient que son prochain costume est « le dernier » car « après y’en a plus ». Ôtant finalement le vêtement sur scène, elle dévoile son corps nu marqué des inscriptions « Rend nous l’art, Jean ! » et « No culture no futur », dénonçant la fermeture trop longue des salles de cinéma, appelant directement le Premier Ministre Jean Castex à prendre des mesures.
Coup de pub, vulgaire intervention ratée ou véritable acte engagé ? Ce qui est sûr, c’est que la prestation de Corinne Masiero n’a pas manqué de faire parler.
Néanmoins, de nombreux retours sur la cérémonie accuseront une soirée vulgaire et déplacée. En cause étant bien entendu l’apparition de Corinne Masiero, mais également le manque de « légèreté » (selon l’acteur Gérard Jugnot) général qui s’en est dégagé. Les critiques pleuvent sur les Césars, le chanteur et comédien Michel Sardou déplorant « une catastrophe », estimant ne pas être « client de ça » après avoir vu la présentatrice « avec sa merde à la main ». Nombreux seront ceux, professionnels comme amateurs et spectateurs, qui rejoindront son avis.
Mais l’importance et la surabondance de messages politiques selon certains aura également été critiquée, estimant qu’ils n’étaient pas nécessairement à leur place durant une cérémonie de récompenses. En témoigne le discours de remerciement de Jean-Pascal Zadi, qui s’est vu remettre le trophée du Meilleur Espoir Masculin pour le film Tout simplement noir. Évoquant l’affaire Adama Traoré, décédé des suites d’une arrestation par des gendarmes en 2016, et mentionnant le producteur de musiques Michel Zecler, victime des violences policières dont l’affaire s’est vue exposer en novembre dernier, son discours est attaqué, considéré comme résolument déplacé.
Vulgarité, décrédibilisation, naufrage ; une audience en perdition avec seulement 1,6 million de téléspectateurs (un quasi « record » de non-affluence) viendra enfoncer le clou d’une cérémonie contestée et en demi-teinte.
Tout n’est cependant pas sombre pour ces Césars 2021. En effet, le cinéma se bat depuis quelques années afin de voir les minorités et les femmes plus représentées lors des cérémonies de récompenses. Cette édition a ainsi été axée sur un cinéma plus égalitaire et représentatif, tout d’abord en nommant au César majeur de la Meilleure Réalisation Maïwenn pour son film ADN. Également, des acteurs tels que Sami Bouajila pour son rôle dans Un fils, Jean-Pascal Zadi déjà mentionné ou encore la jeune actrice de 14 ans Fathia Youssouf, présente à l’affiche de Mignonnes, ont tous été récompensés durant la cérémonie.
Après la polémique Polanski de l’an passé, une telle vague de renouveau était la bienvenue pour rajeunir ces Césars.
Sur une touche toujours plus légère, la cérémonie n’a pas oublié que le cinéma français aime les comédies. Ainsi, la troupe du Splendid, bande d’amis comédiens à qui l’on doit les mythiques Bronzés ou l’hilarant Le père Noël est une ordure, s’est vue décerner le César anniversaire pour fêter le quarantième anniversaire de la création de leur café-théâtre.
Le regretté Jean-Pierre Bacri, immense acteur français reconnu notamment pour son sens de la comédie (et son Sens de la fête) et décédé le 18 janvier dernier, a été quant à lui célébré en se voyant remettre à titre posthume le César d’honneur.
Mais qui dit cérémonie des Césars dit bien évidemment récompenses. Et concernant cela, cette 46ème édition a été marquée par le sacre absolu de l’incroyable Adieu Les Cons d’Albert Dupontel. Cette sublime ode aux perdants magnifiques, personnages récurrents du cinéma de Dupontel, a, à juste titre, enchanté les académiciens qui l’ont nommée dans 13 catégories différentes. Le film est ensuite récompensé de pas moins de 7 statuettes tout au long de la soirée, dont les deux plus prestigieux trophées de la Meilleure Réalisation et du Meilleur Film. Trois ans après le triomphe de son précédent film Au Revoir Là-Haut, tout aussi magnifique, Dupontel détient ainsi le record de récompenses tout à fait mérité pour cette année. Le réalisateur, non présent durant la cérémonie car en désaccord avec le système des récompenses, n’appréciant pas se comparer à d’autres, laissera le soin à sa productrice de récupérer la pile de statuettes.
Face à un tel raz-de-marée ayant emporté la plupart des prix décernés, certains films se sont évidemment retrouvés lésés. Les deux « grands perdants » sont alors Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret et Été 85 de François Ozon, respectivement nommés 14 et 13 fois. Si le premier emportera une statuette, celle de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle pour Émilie Dequenne, le second repartira malheureusement bredouille de la cérémonie, malgré un succès public évident.
Et voilà, après plus de trois heures de rires, de pleurs et de polémiques, les rideaux de l’Olympia se sont baissés, les sièges se sont vidés et la salle est à nouveau retombée dans sa pénombre qu’elle ne connaît désormais que trop bien. Clap de fin d’une cérémonie qui, bien que controversée, aura fait couler beaucoup d’encre.
Prochain rendez-vous fixé au 25 avril 2021 (ou au 26 avril à l’heure française), au Théâtre Dolby de Los Angeles, pour suivre en direct les Oscars du cinéma !
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