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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Entretien avec Thomas Haley : l’engagement d’un photographe de guerre

Sylia Lefevre

Sylia Lefevre

« J'ai cru que nos photos pouvaient faire une différence, qu'elles pouvaient corriger les torts et les injustices, qu'il suffisait d'exposer la vérité pour rectifier le mal. " écrit Thomas Haley en introduction de son livre, Journey man. Photojournaliste et documentariste américain installé à Paris depuis 1974, il revient sur sa carrière et sur son rôle de journaliste, de ses premières convictions aux leçons que l’expérience lui a enseignées.

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Thomas Haley

Journey man : le carnet de voyage d’un reporter de guerre

Maquette de couverture de Journey man
http://thomashaley.com/

Après avoir fait ses débuts aux Beaux-Arts, il intègre l’agence Magnum en tant qu’iconographe à New York puis à Paris dans les années 1970. Les journaux, dans l’urgence de recevoir les photos les plus marquantes de l’actualité chaude, comptent sur les reporters, l’appareil argentique en bandoulière, pour faire le tour du monde et leur envoyer leur meilleur cliché. Pendant cet âge d’or du photojournalisme et des agences Gamma, Sygma et Sipa, Thomas Haley voyage sans cesse pour couvrir les conflits et les crises humanitaires du monde.

Ce furent les Philippines en 1983, la catastrophe de Bhopal en 1984, la guerre civile au Soudan en 1986, la Corée et Panama en 1988, la Chine en 1989, la chute du bloc de l’Est dans la décennie 1990, le Rwanda en 1994 et la guerre de Bosnie, les guerres du Golfe et la campagne de Lionel Jospin, les États-Unis, Jérusalem, l’intifada, les printemps arabes.

Journey man, publié en 2017 retrace sa carrière sous forme d’un carnet de voyage riche de photos d’archives et d’anecdotes captivantes. Pour chaque cliché, il raconte les coulisses de la prise du vue, le contexte politique et les difficultés du terrain. Le lecteur est en immersion dans 40 ans de carrière d’un photographe de guerre, les valeurs du métier, la vie de famille, le temps de l’argentique et le passage au numérique, la faillite des grandes agences de photos de presse, bref, tout un univers à découvrir sur fond d’histoire géopolitique.

Quelle était la réaction générale quand vous arriviez en tant que photographe, dans un conflit, par exemple ?

Pendant les manifestations, les gens sont souvent contents de voir la présence de journalistes et de faiseurs d’images. Ils ont un message à faire passer, et nous, on est là pour raconter ça. Mais ces dernières années ont été plus compliquées. Le culte de Trump a changé beaucoup de choses dans le rapport aux journalistes. Maintenant, ils sont parfois tabassés dans les manifestations.

Journey man revient sur des épisodes tragiques de l’histoire, dans quel état d’esprit est-on quand on doit photographier un drame ?

C’est un métier particulier parce qu’on est toujours au milieux de conflits, on assiste à des scènes très choquantes. Mais quand on est témoin d’une situation dramatique, un homme blessé, un enfant affamé, par exemple, c’est justement le moment où il ne faut pas fondre en larmes. Il faut protéger ses propres valeurs et son mental. C’est une force professionnelle à avoir pour pouvoir ensuite témoigner et dénoncer cette violence. Mais le temps de la photo, il faut se blinder, c’est un devoir professionnel.

Quel a été votre rapport avec l’engagement politique à travers le photoreportage ?

Quand j’ai commencé, je voulais prendre la défense des plus démunis, leur offrir une tribune en les rendant visibles aux yeux des lecteurs de journaux. Je voulais « porter la plume dans la plaie », comme disait Albert Londres. J’espérais participer à un mouvement pour faire une certaine justice. Mais avec le temps, on pose un regard désenchanté et plus mitigé sur le métier. J’ai cessé de croire à la figure du photographe engagé avec l’âge. C’est un délitement progressif. On début, on prend des causes, on croit qu’il faut agir. Et puis on se rend compte que tout cela fait aussi partie du fantasme du reporter de guerre, et que ce n’est pas toujours la réalité.

Sauver l’Amérique : comprendre le fondamentalisme chrétien aux États-Unis

Le prédicateur Rusty Lee Thomas

En 2020, Thomas Haley sort Sauver l’Amérique, un reportage d’une heure à la rencontre de Rusty Lee Thomas, un fondamentaliste chrétien qui prêche la radicalisation religieuse de l’Amérique. Directeur de l’Operation Save America, il organise des mouvements de protestation contre l’avortement, l’Islam et l’homosexualité partout aux États-Unis. Thomas a filmé Rusty, sa femme et leurs treize enfants pendant dix ans avant de sortir son documentaire. Domicilié en France depuis les années 1970, il a voulu comprendre l’Amérique d’aujourd’hui, celle qui a mené à l’ère Trump, et qui lui paraît si éloignée de celle dans laquelle il a grandi. Avec ses milliers d’heures de rushs et des années de recherche, il porte un regard critique mais distancé sur le fondamentalisme chrétien qui prend de plus en plus d’ampleur aujourd’hui.

Après 40 ans de carrière dans la photographie, pourquoi vous êtes-vous tourné vers le film documentaire ?

J’ai voyagé pendant des années, j’ai parcouru le monde avec mon appareil, mais au bout d’un certain temps, je commençais à sentir une sorte de plafond dans les possibilités d’expression de l’image fixe. J’avais envie de faire quelque chose de nouveau, différent des conflits ou des crises humanitaires. Le film est une autre manière d’apercevoir l’histoire. Il permet d’approcher une problématique, de raconter différemment. L’écriture audiovisuelle m’a confronté à quelque chose de nouveau.

Pourquoi avez-vous choisi comme sujet Rusty Lee Thomas, un prédicateur célèbre pour ses engagements politiques et religieux extrêmes, alors qu’il est à l’opposé de vos convictions ?

Depuis quelques années, et surtout depuis la campagne présidentielle de Trump, les chrétiens fondamentalistes sont de plus en plus nombreux aux États-Unis. Moi, je voyais ça depuis la France mais je voulais aller comprendre ce phénomène de plus près. Ce n’est pas l’Amérique de mon enfance, ni celle à laquelle je crois, alors je voulais confronter nos deux visions.

Comment Rusty a-t-il perçu votre projet et pourquoi a-t-il accepté d’être filmé ?

Il a aimé mon idée et a pris ce documentaire comme une manière de diffuser ses idées, d’enseigner aux spectateurs sa propre vision du monde. Pour Rusty, j’étais une âme à convertir. Mais je me devais d’être honnête avec lui dès le début. On avait une sorte de contrat moral : moi, je lui avais dit que je n’étais pas d’accord avec ses opinions et que le film ne serait jamais une promotion de l’Operation Save America, bien au contraire. Mais il a accepté. Il m’a même souhaité du succès à la sortie du film.

Vous êtes très absent dans le documentaire, comment dénoncer clairement le fondamentalisme chrétien sans faire entendre directement sa voix ?

C’est vrai que j’avais peur qu’on pense que ce soit un film de propagande pour Rusty mais je ne voulais pas d’intervenants experts ou de « talking heads » pour s’opposer à lui. Je voulais simplement montrer ses actions (les manifestations contre l’avortement, l’éducation à la maison de ses enfants, les prédications, etc.) pour qu’on voit par nous-même l’absurdité de son propos. J’ai malgré tout adressé au début du film une lettre ouverte à Rusty qui explique que je ne suis pas d’accord avec lui. C’est tout. A la fin, je laisse le spectateur décider. Je suis d’accord avec Roland Barthes qui disait que de vouloir avoir le dernier mot, c’était essayer d’imposer sa volonté sur l’autre, et ce n’est pas ce que je souhaitais pour mon film.

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