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“L’Amour Ouf”: le trop-plein selon Gilles Lellouche

S’il y a bien une chose à reconnaître à Gilles Lellouche sur son dernier film, c’est bien sa sincérité, tant celui-ci a porté son projet durant de nombreuses années. Cette sincérité est, paradoxalement, la plus grande force mais également la plus grande faiblesse du métrage. Sa force car tout ou presque qui en découle déborde d’énergie et d’envie de cinéma. Sa faiblesse car le résultat est, malheureusement, une sorte de trop-plein indigeste et daté. 

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Photo l'amour ouf film
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De quoi ça parle ? : Jackie et Clotaire se rencontrent à l’adolescence. Elle est une bonne élève qui étudie beaucoup, lui ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Un enchaînement de mauvaises décisions va mettre à mal l’amour fou qui existe entre eux, mais ils ne tarderont pas à se retrouver. Alors que la vie fera tout pour les séparer, leur amour, lui, ne fera que les rapprocher.

Qu’est-ce que j’en pense ? : Pour donner un peu de contexte, “L’Amour Ouf” est tiré d’un livre de Neville Thompson, rédigé au début du siècle et dont les droits ont été achetés par le cinéaste durant les années 2000. Depuis plus de dix ans donc, Lellouche porte ce projet, qu’il rêve de pouvoir réaliser avec le casting et le budget appropriés. C’est fort de sa dernière réalisation, le très sympathique “Le Grand Bain”, qu’il y parvient en 2024.

Présenté au dernier Festival de Cannes et accueilli assez froidement, le film connaît pourtant auprès du public un démarrage en salles et un engouement remarquables, signe que ladite sincérité de son auteur transparaît. Il faut dire que doté d’un tel casting, massif et populaire (Civil, Exarchopoulos, Chabat, Bouchez, Leklou, Poelvoorde, Quenard, Zadi, etc etc), le métrage était voué à faire parler de lui. 

Mais quand bien même “L’Amour Ouf” revêt quelques qualités, et il est en conséquence difficile de le qualifier de film raté, ce dernier est loin d’être le grand film qu’il prétendrait être.

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Tout n’est pas à jeter…

Il faut bien reconnaître que Lellouche sait tenir une caméra, et pare son film d’une très belle photographie. Celle-ci a pour caractéristique d’être extrémement contrastée, n’ayant pas peur de lorgner vers une esthétique “néon” avec des couleurs vives et bariolées, alternant plans bleus marqués et rouges écarlates. La palette de couleurs est riche et assez signifiante, et un tel contraste dans l’étalonnage est une prise de risque rare dans le cinéma français. 

À cela s’ajoute, du moins dans la partie “adulte” du film, une mise en scène très inspirée, ayant recours à des procédés très jusqu’au boutistes, à l’image d’une très belle séquence de fusillade éclairée uniquement par les détonations des pistolets, projetant les ombres meurtries sur les murs.

La créativité et le talent de metteur en scène de Lellouche se retrouvent jusque dans le plan final du long-métrage, se déroulant durant un coucher de soleil et, usant de couleurs pastels et une fois encore très contrastées, ressemblerait presque à un tableau d’Edward Hopper. 

Autre grand point fort du film, évident au vue de la qualité du casting, sont ses comédien.nes. Mais plutôt que de s’attarder sur chacun, étant déjà d’une notoriété sur laquelle revenir serait un affront, il faut souligner les prestations impeccables de Malory Wanecque et de Malik Frikah. Incarnant les versions jeunes de Jackie et Clotaire, ils parviennent à parfaitement retransrire ce que sont les émois adolescents, entre doute et passion, entre retenue et envie charnelle. Oscillant entre la réserve et les instants d’explosion, ils portent à bout de bras toute cette partie du film qui, nous y reviendrons, serait bien en-deçà sans eux. 

Les figures parentales du métrage, interprétées par Alain Chabat et Élodie Bouchez, sont également à souligner, écrits et joués avec une douceur et une justesse totales.

La définition-même d’inconstance

Ces indéniables qualités ne parviennent cependant pas à faire oublier à quel point “L’Amour Ouf” est un film inégal, cliché, prévisible et, surtout, incroyablement daté.

Découpé en deux parties bien distinctes (celle avec les personnages adolescents, et celle avec les personnages adultes), celles-ci semblent être réalisées par deux personnes différentes tant elles manquent de cohérence. 

D’un côté, la partie adolescente est touchante, mais dispose d’un scénario déjà vu des centaines de fois, faisant que s’il est facile de s’attacher aux personnages, il n’est pas aussi aisé de le faire avec l’intrigue. De plus, la mise en scène semble reléguer au second plan durant cette séquence, Lellouche semblant ne pas être très inspiré malgré la douceur qui se dégage de certains plans (notamment aidée par Wanecque et Frikah). 

De l’autre, la partie adulte est impeccablement mise en scène et riche en idées visuelles, mais est bien trop courte en comparaison de la première qui prend trop de place pour ce qu’elle a à présenter et, pire que tout, passe du cliché à la caricature grossière et, parfois, problématique. Également, n’ayant pas grand chose à défendre dans ce scénario vide de surprises et d’idées novatrices, Civil et Exarchopoulos sont loin d’être près de leurs grands rôles, livrant des performances convenues et assez plates, contrairement à ce que le marketing semblait vouloir nous vendre. 

“L’Amour Ouf” est donc un bête film cliché de “boy meets girl”, qui ennuie par sa durée démentiellement étirée pour une intrigue aussi convenue, et qui agace par la présentation de ces deux personnages qui se sont aimé pendant quelques petits mois à l’âge de 16 ans et vont décider de gâcher leurs vies respectives à attendre l’autre dix ans. C’est idiot, éculé, un peu niais, et franchement énervant quand ça dure 2h40.

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Laisse-nous respirer, Gilles !

Outre cela, le scénario de “L’Amour Ouf” présente deux terribles défauts, sur lesquels je vais passer rapidement car étant relatifs à des éléments clés de l’intrigue que je ne souhaiterais pas divulger et gâcher. D’une part, il ne parvient pas à construire des enjeux concrets et suffisants, accumulant les sous-intrigues et personnages secondaires sans jamais n’en faire aboutir aucune. Cette faiblesse d’écriture culmine à la fin, lorsque le métrage fait le choix de se terminer là où, finalement, il aurait dû commencer. D’autre part, facilité scénaristique impardonnable, le film présente dès son début une situation inexorable qui adviendra plus tard. Sauf qu’au moment de la survenance de cet évènement, attendu tout le long du film, celui-ci nous mentira et décidera sans justification de prendre un autre chemin, construisant alors un faux enjeu et une fausse promesse. 

Je mentionnais la sincérité et l’envie de Lellouche de faire de son film une grande fresque, ayant patienté plus d’une décennie avant de pouvoir mettre son projet en œuvre. L’inconvénient dans ce genre de cas de figure est que, bien souvent, à l’instar du récent “Megalopolis” de Francis Ford Coppola, en résulte une proposition généreuse, bien trop pour son propre bien, qui va accumuler les effets et finir par être bien trop indigeste pour son spectateur.

Lellouche plonge tout entier dans cet écueil ; si sa mise en scène est effectivement réussie esthétiquement, elle n’en est pas moins beaucoup trop présente, transformant le métrange en une sorte d’exercice de style trop riche et complet. Cela semble paradoxal, voire antinomique, de dire d’un film qu’il contient trop de mise en scène. Dans le cas de “L’Amour Ouf”, cela se traduit par une incohérence entre les procédés utilisés, tant et si bien que le résultat final ressemble plus à un fourre-tout indigeste qu’à une œuvre nuancée et équilibrée.

Vous reprendrez bien un peu de violence ? Non ? Ah, Gilles a dit oui

Mais surtout, il est difficile de parler de “L’Amour Ouf” sans mentionner à quel point il est daté dans son fond, étant adapté d’un texte de presque trente ans, ancré dans une décennie révolue dont les mœurs ont, depuis, énormément évolué. 

À ce titre notamment, la représentation des violences conjugales et la position des personnages féminins font incroyablement défaut, voire tâche, dans le récit. S’il est là aussi difficile d’en parler sans spoiler, je terminerai en évoquant le personnage d’Adèle Exarchopoulos, Jackie adulte, n’ayant jamais su vivre, ni même voulu apprendre, sans les hommes, n’ayant pas de caractéristiques et d’enjeux lui étant propres sans l’adjonction d’une figure masculine.

“L’Amour Ouf”, quand bien même rempli de bonne volonté, est un gros manqué pour son cinéaste, qui aurait pu, en actualisant son récit et en développant son scénario, marquer le cinéma français de cette année. 

S’il n’est pas foncièrement désagréable, “L’Amour Ouf” reste un film qui aurait pu être bien plus que ce qu’il n’est finalement. C’est (très) dommage. 

Pardonnez l’expression finale, mais “L’Amour Ouf” n’a de ouf que son titre.

SC'A

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