Le 7 juin 2025, dans un entretien pour Mediapart, Christophe Soulard, magistrat et premier président de la Cour de cassation de France, a fait part de ses craintes concernant la perception du système judiciaire. Il s’inquiète en effet de la montée du populisme anti-judiciaire, qui remet en cause la légitimité des décisions des tribunaux. Ce phénomène se remarque de plus en plus dans plusieurs États, et représente un danger pour les magistrats et leurs fonctions. Comment se traduit la montée de ce populisme qui remet en question l’application des principes fondamentaux associés à la justice dans un État de droit ?
Populisme, Etat de droit, gouvernement des juges
Pour comprendre la situation, une définition des termes est nécessaire de prime abord.
Premièrement, le populisme désigne une manière de s’adresser, à travers des discours et des postures, à une classe d’électeurs (généralement populaire). Le but défendu est de faire entendre la voix du peuple en dénonçant la corruption des classes supérieures. Cela consiste à créer une division entre deux parts de la société, rejetant celle qui s’oppose à la sienne.
L’État de Droit est un concept qui apparaît dans les théories de Hans Kelsen au XX° siècle. Selon lui, il se caractérise par « un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée ». De plus, l’égalité devant la loi ainsi que la séparation des pouvoirs constituent des piliers de l’État de droit. L’ensemble de ces éléments permet de ne pas être soumis à un pouvoir arbitraire.
Le gouvernement des juges est un terme dont la signification a évolué depuis sa création. A l’origine, il s’emploie pour parler de l’ingérence du pouvoir judiciaire dans le pouvoir législatif pour annuler des lois. Aujourd’hui, il n’est plus question de l’intervention des juges sur d’autres pouvoirs. Il caractérise l’égalité de tous les individus devant la loi, indépendamment de leur fonction. On retrouve particulièrement ce débat lorsqu’il s’agit de rendre la justice pour des responsables politiques.
Comment fonctionne le système judiciaire en France ?

En France, la séparation des trois pouvoirs permet l’indépendance de l’autorité judiciaire. Celle-ci est garantie par le premier alinéa de l’article 64 de la Constitution de 1958. La loi s’applique par les juges, les cours, les tribunaux et les avocats. Ils doivent rendre des décisions de justice en toute impartialité.
L’indépendance et l’impartialité sont deux principes fondamentaux en France dans le domaine judiciaire. Ils sont par ailleurs défendus par leur inscription dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En effet, l’article 6 dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi. ».
Comment se caractérise le populisme anti-judiciaire ?
Le populisme anti-judiciaire vise donc à critiquer et remettre en question les décisions des institutions qui se chargent de rendre la justice. Christophe Soulard s’inquiète de la fréquence croissante de l’emploi de ce discours dans les médias. En effet, il souligne que « des personnes qui occupaient ou qui occupent encore des positions institutionnelles relativement importantes, des hommes et des femmes politiques de premier plan, mais aussi d’anciens membres de juridictions, des professeurs de droit de renom » contestent les décisions de justice.
Mais la contestation du système judiciaire ne s’arrête pas seulement à des prises de parole dans les médias. La sécurité des magistrats est également menacée directement. Les agressions et intimidations représentent des risques réels pour ces derniers. La procureure de la République à la Martinique, dans un article du Monde, a par exemple fait part d’agressions et menaces à répétitions. Elle a fait face à de nombreux pochoirs avec des insultes, mais aussi des menaces directes et encerclement par des individus à moto alors qu’elle se déplaçait dans son véhicule.
La juge qui a prononcé la peine de Marine Le Pen, Bénédicte de Perthuis, a aussi subi des menaces sur les réseaux sociaux. Un utilisateur de la plateforme X, a répondu à un tweet mentionnant le nom de la juge. Il a publié une photo de guillotine suivi d’un commentaire menaçant. Des menaces de mort envers les 3 magistrats chargés du procès ont aussi été publiées sur le site d’extrême droite Riposte Laïque.
En France, les critiques contre la justice se multiplient
Aujourd’hui, le système juridique français fait face à des critiques pour ses décisions et pour diverses raisons selon les contextes. Divers exemples ont été couverts dans les médias.
Le procès de Marine Le Pen a par exemple fait l’objet de vives contestations de la part des sympathisants de l’ex-présidente du Rassemblement National. Elle-même, à la suite du verdict, a dénoncé un procès politique. Elle a exprimé qu’elle a compris « au bout de deux heures d’audience que nous ne serions pas jugés normalement ». Elle a notamment dénoncé la mise en place de l’exécution provisoire de son inéligibilité. Selon elle, cela représente une violation de la souveraineté du peuple, au profit du pouvoir des magistrats de première instance.
Le procès de l’ancien président Nicolas Sarkozy a également connu de nombreuses critiques quant aux peines réclamées par les procureurs. Les interventions sur les plateaux télés se sont accumulées pour dénoncer une réquisition trop sévère à l’encontre de l’accusé. La question du manque de preuves est l’argument principal pour contrer les réquisitions.
Un exemple récent de critique de la justice est le discours tenu par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Il s’est exprimé après les débordements survenus le soir de la victoire du PSG en Ligue des Champions. Le garde des Sceaux a estimé que les condamnations « ne sont plus à la hauteur de la violence que connaît notre pays ». Il appelle par ailleurs à aménager la loi en supprimant les aménagements de peine et le sursis. Il réclame aussi « la mise en place d’une condamnation minimum systémique une fois la culpabilité reconnue ».
Un phénomène qui soulève des questionnements et inquiétudes
Ces menaces peuvent montrer une remise en question du système judiciaire et de son fonctionnement. Selon Christophe Soulard, le populisme anti-judiciaire laisse penser « que les juges empêcheraient les législateurs d’adopter des lois, et qu’ils empêcheraient le gouvernement de gouverner. »
De plus, il peut se poser la question de l’acceptation de l’abolition des privilèges devant la loi. Ce principe est en vigueur depuis 1789 en France. Ce principe permet d’appliquer la loi de la même façon pour tous les individus. Cela inclut les responsables politiques lorsqu’ils commettent une effraction. Il en revient à questionner le principe de l’égalité devant la loi, principe fondamental des régimes démocratiques.
La procureure générale de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau, a exprimé sa préoccupation face aux violences subies par les magistrats dans un entretien pour France Inter. Selon elle, « on assiste à une dérive extrêmement inquiétante ces dernières années. » Elle évoque également les violences contre divers corps de métiers incarnant une figure d’autorité, comme les professeurs, les policiers et les gendarmes.
Un phénomène qui se répand à l’échelle mondiale

Les contestations face au système judiciaire ne se remarquent pas seulement en France. Dans d’autres pays, on peut voir qu’elles se manifestent également sous diverses formes. En effet, on peut voir, par exemple, un rejet du droit international : la Hongrie a officiellement annoncé son retrait de la Cour Pénale Internationale le 20 mai 2025. Cette décision représente une symbolique forte à la suite de l’accueil de Benyamin Netanyahu, visé par un mandat d’arrêt de la CPI.
En Italie, un conflit entre Giorgia Meloni et les magistrats a lieu concernant les centres de détentions pour migrants construits en Albanie. En effet, les juges s’opposent à ce projet de politique migratoire. Ils ordonnent le rapatriement des migrants ne remplissant pas les conditions qui justifiaient l’expulsion. La présidente dénonce les décisions de certains magistrats. De plus, elle avance qu’ils empêchent « le gouvernement de contrôler l’immigration illégale ». Certains juges, face à cette situation, s’inquiètent de l’état de la démocratie.
En mars 2025, le gouvernement israélien a ordonné la destitution de la procureure générale Gali Baharav-Miara. D’anciens magistrats de la Cour Suprême ont partagé leur inquiétude quant à l’impact de cette décision sur le statut d’État de droit d’Israël.
Enfin, aux Etats-Unis, un conflit entre le système judiciaire et le président est notable. En mars 2025, Donald Trump a accusé de corruption James Boasberg, un juge fédéral de Washington. Celui-ci avait demandé l’interruption de l’expulsion de migrants durant 14 jours. Cette accusation s’est suivie d’une demande de destitution de ce juge, ainsi que de propos dégradants à son égard. Le président de la Cour suprême américaine a par la suite contredit ces propos. Cela révèle la division entre le président et le système judiciaire.
Pour en savoir plus sur le procès de Marine Le Pen, voici un article de CSactu sur les conséquences du verdict : https://www.csactu.fr/5-ans-ineligibilite-le-pen-tournant-politique-francaise/