Le maire centriste de Bucarest, Nicușor Dan, a recueilli 53,6% des suffrages lors de l’élection présidentielle roumaine ce dimanche 18 mai. Il a donc été élu président devant George Simion, le chef du parti nationaliste Alliance pour l’unité des Roumains (AUR). Mais le premier tour de cette élection, deux semaines auparavant, ne présageait pas une telle victoire. En effet, le dimanche 4 mai, George Simion s’était largement imposé, récoltant plus de 40% des voix, contre 21% des voix pour Nicușor Dan, qui s’est difficilement qualifié pour le second tour. Ce changement politique s’est opéré durant l’entre-deux-tours de l’élection.
Une forte mobilisation contre l’extrême droite
L’élection présidentielle roumaine survient cinq mois après l’annulation d’un premier scrutin entaché de soupçons d’ingérence russe, où Calin Georgescu, candidat d’extrême droite inconnu avant ce 24 novembre, est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle. Cette deuxième élection se place donc dans un climat tendu entre pro-européens et nationalistes d’extrême droite.
Entre les candidats, deux visions s’opposent. George Simion est opposé à l’Europe et se montre très critique envers les « politiques absurdes » de Bruxelles. Admirateur du président américain Donald Trump, il est aussi contre l’aide militaire à l’Ukraine, qu’il estime trop coûteuse et souhaite y mettre un terme. Il exige une « compensation financière » pour l’assistance fournie jusqu’à présent et prône « la neutralité », tout en se défendant d’être « l’ami de Vladimir Poutine ». George Simion et le parti d’extrême droite roumain se positionnent en faveur de l’économie roumaine, qui fait face à des difficultés depuis la chute de l’URSS. La Roumanie est l’un d’un des pays les plus pauvres de l’UE, et les candidats se rassemblent donc derrière une population rurale qui voit son argent partir dans l’aide à l’Ukraine. Mais lors de ce scrutin, le pays a également été surpris de constater que George Simion a reçu une majorité de votes de la part des électeurs des villes, qui ne représentent pas l’électorat habituel du candidat.
De l’autre côté, Nicușor Dan, se positionne comme un fervent Européen, favorable à aider l’Ukraine, à rester dans l’Union Européenne et dans l’OTAN (alliance militaire euro-atlantique). Au vu de l’avance du candidat d’extrême droite, l’entre-deux-tour a été capital pour Nicușor Dan. En effet, il a bénéficié d’une forte participation des électeurs pro-européens craignant un tournant vers la Russie, notamment des Roumains de l’étranger. Le taux de participation s’est élevé à près de 65 %, contre seulement 53 % au premier tour. Les électeurs urbains, les femmes et les minorités ethniques ont largement voté en sa faveur pour faire barrage au candidat d’extrême droite.
Mais si Nicușor Dan a bénéficié d’un soutien pro-européen massif, George Simion a aussi fait les frais d’une série de faux pas durant l’entre-deux-tours. En plus d’avoir démontré une centaine agressivité lors de ses prises de parole, son discours politique teinté d’extrémisme a baissé et les électeurs ont pu découvrir une grande incompétence en politique étrangère. Il a également refusé de participer aux débats, ce qui a fortement aggravé la situation.
Le sursaut des électeurs roumains a donc empêché que le pays bascule dans une extrême droite nationaliste virulente, anti-européenne et anti-ukrainienne. Mais il ne faut pas oublier qu’il existe une grande divergence entre les grandes villes, plutôt orientées vers l’Europe, et les petites villes et les campagnes, plus conservatrices et souvent en souffrance. Mais malgré cette victoire du candidat pro-européen, George Simion a contesté son succès, s’appuyant sur des faits d’ingérence de la part de la France.
George Simion conteste sa défaite
L’élection présidentielle ne s’est pas arrêtée à la fin du dépouillement des votes. Mardi 20 mai, George Simion a annoncé son intention de déposer un recours pour obtenir l’annulation du scrutin en raison d’« ingérences extérieures », notamment de la France. « Je demande officiellement à la Cour constitutionnelle d’ANNULER l’élection », a-t-il écrit sur le réseau social X. « Pour les mêmes raisons » qui avaient provoqué l’annulation du scrutin de novembre : « des INGÉRENCES EXTÉRIEURES », a-t-il ajouté, dans un message accompagné des drapeaux de la France et de la Moldavie, où vit une importante communauté d’expatriés roumains. Le candidat d’extrême droite affirme disposer de « preuves irréfutables (…) d’une tentative orchestrée » visant à influer sur le résultat des élections. Mais quel est le rôle de la France ?
Dimanche 18 mai, le jour de l’élection, Pavel Durov, le fondateur de Telegram actuellement mis en examen par la justice française, a accusé la France d’avoir cherché à « censurer des voix conservatrices » en Roumanie. À travers une série de messages publiés sur Telegram, Pavel Durov blâme le directeur de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Nicolas Lerner, de lui avoir demandé de censurer ces voix.
Ces messages ont fait réagir les deux camps. George Simion l’a aussitôt partagé, tandis que Nicușor Dan s’est offusqué d’une « tentative manifeste d’influencer le résultat » du scrutin. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères roumain a, quant à lui, dénoncé une « campagne virale de fausses informations » sur les réseaux sociaux, notamment sur Telegram, visant à « influencer le processus électoral » et portant « une nouvelle fois les marques d’une ingérence russe ». Le Quai d’Orsay a vivement démenti les accusations du patron de Telegram, qui ne disposait d’aucune preuve, suivi de la DGSE.
Le jeudi 22 mai, la Cour constitutionnelle roumaine a annoncé le rejet « à l’unanimité » du recours déposé par George Simion après sa défaite au second tour de la présidentielle, la jugeant « infondée et avec pour seul objectif de saper la confiance des citoyens dans les institutions de l’État », selon un communiqué. La victoire revient donc de droit à Nicușor Dan, clôturant ce chapitre houleux de l’histoire politique roumaine.