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La France légalise l’aide à mourir : avancée ou fracture ?

C’est un texte que les gouvernements successifs avaient repoussé, tour à tour par frilosité, prudence ou calcul. Le 27 mai 2025, l’Assemblée nationale a franchi un seuil symbolique : les députés ont adopté à une large majorité deux textes législatifs consacrés à la fin de vie. L’un vise à renforcer les soins palliatifs, l’autre légalise, sous conditions strictes, l’aide à mourir. Un tournant majeur pour le droit français mais un tournant qui ne fait pas l’unanimité.

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Annie Vidal, députée Renaissance s’exprime après le vote des deux lois sur la fin de vie, à l’Assemblée nationale, le 27 mai 2025. (Photo de Telmo Pinto via Getty Images)
Annie Vidal, députée Renaissance s’exprime après le vote des deux lois sur la fin de vie, à l’Assemblée nationale, le 27 mai 2025. (Photo de Telmo Pinto via Getty Images)

Un sujet longtemps évité

Depuis vingt ans, les lois sur la fin de vie se sont succédé sans jamais ouvrir pleinement la porte à l’euthanasie ou au suicide assisté. La loi Leonetti de 2005, puis la loi Claeys-Leonetti de 2016, avaient introduit la notion de « sédation profonde et continue jusqu’au décès », sans franchir le seuil de l’aide active à mourir. Pour beaucoup, ces textes représentaient une avancée. Pour d’autres, ils contournaient le cœur du sujet : celui du libre choix.

Emmanuel Macron, réélu en 2022, s’était engagé à « ouvrir un débat apaisé » sur la fin de vie. C’est dans cet esprit qu’est convoquée en 2023 une Convention citoyenne, composée de 184 Français tirés au sort. Leurs conclusions sont claires : 76 % se disent favorables à l’ouverture d’un droit à l’aide active à mourir, tout en insistant sur le besoin d’un accès équitable aux soins palliatifs.

Deux lois pour tenter un équilibre

Dans une démarche inédite visant à équilibrer les sensibilités politiques et éthiques autour de la fin de vie, le gouvernement a choisi de ne pas porter un projet unique, mais de soutenir simultanément deux propositions de loi distinctes : l’une émanant du groupe Renaissance, l’autre du groupe LIOT. Ce double soutien permet d’atténuer les tensions au sein de la majorité, en particulier parmi ses composantes les plus modérées, tout en répondant à des attentes différentes de la société.

La loi Vidal

La première proposition, portée par la députée Annie Vidal (Renaissance), met l’accent sur le renforcement des soins palliatifs et l’accompagnement des patients. Elle propose ainsi de créer un droit opposable aux soins palliatifs, permettant à chaque citoyen d’y accéder en cas de besoin. Cette mesure serait soutenue par un plan décennal ambitieux, doté de 1,1 milliard d’euros, destiné à améliorer l’offre de soins sur tout le territoire. Elle prévoit également la généralisation des « maisons d’accompagnement » dans chaque département, pour offrir un cadre plus humain et moins médicalisé aux personnes en fin de vie. Enfin, cette loi insiste sur la nécessité d’une formation spécifique du personnel soignant, afin de mieux les préparer à accompagner les patients et leurs proches dans cette étape délicate.

La loi Falorni

En parallèle, la proposition défendue par le député Olivier Falorni (LIOT/ Les Démocrates) introduit la possibilité d’une aide active à mourir, encadrée de manière stricte. Elle concernerait les patients majeurs atteints d’une maladie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme – sans définition rigide, pour laisser une marge d’appréciation médicale. Le discernement du patient devra être intact, attesté par plusieurs professionnels de santé, et un délai de réflexion incompressible sera imposé avant toute décision. L’acte d’aide à mourir pourra être réalisé soit par le patient lui-même, soit par un soignant volontaire, préservant ainsi la liberté de conscience des personnels médicaux. Cette clause de conscience est explicitement maintenue : aucun soignant ne pourra être contraint à participer à l’acte. Toutefois, l’État aura l’obligation de désigner un professionnel de santé si l’équipe en charge refuse d’intervenir, garantissant ainsi l’effectivité du droit nouvellement ouvert.

Ces deux textes, bien que porteurs de visions différentes, cherchent à établir un équilibre entre accompagnement renforcé et liberté individuelle, entre exigence éthique et réponse à la souffrance. Ensemble, ils témoignent de la volonté du législateur de traiter la fin de vie avec nuance, responsabilité et humanité.

Un vote sans unanimité

Avec une majorité qui adopte largement le texte, le texte est adopté, mais la ligne de fracture dépasse les clivages partisans. À Renaissance, certains s’abstiennent. À Horizons, la gêne est palpable. Les Républicains votent majoritairement contre, dénonçant un texte « flou », susceptible d’ouvrir à des dérives. Le Rassemblement national, lui, parle d’« euthanasie légalisée sans dire son nom ».

À gauche, les soutiens sont nombreux mais pas unanimes. Le PCF aurait préféré un texte plus inclusif, notamment pour les patients atteints de maladies neurodégénératives. Les écologistes appellent à une vigilance sur l’application réelle des soins palliatifs, pour éviter une logique de « double vitesse » entre ceux qui peuvent mourir dignement et ceux qui sont abandonnés aux déserts médicaux.

Attal dans la continuité de Macron

Dans un tweet publié suite à l’adoption des textes par l’Assemblée National, Gabriel Attal résume l’ambition du texte . Le Premier ministre se veut l’héritier de la méthode Macron : consultation citoyenne, recherche du consensus, équilibre entre liberté individuelle et cohésion nationale. Mais les critiques, y compris au sein de la majorité, rappellent que le sujet touche à des lignes sensibles, où les arguments rationnels peinent à l’emporter sur les convictions intimes.

Line Renaud, l’icône de ce combat

C’est peut-être la réaction la plus attendue. Line Renaud, figure historique du combat pour l’euthanasie, réagit dans un message simple et fort sur X  :

Depuis plus de dix ans, l’artiste milite aux côtés de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). En 2022, elle cosignait avec Olivier Falorni une tribune dans Le JDD intitulée : « Il est temps de légaliser l’aide active à mourir. » Pour elle, la loi n’est pas seulement un progrès législatif, c’est l’aboutissement d’un combat personnel et humain.

Une opposition morale et spirituelle

Face à l’émotion, les opposants insistent sur le risque d’un basculement éthique. Bruno Retailleau, président des Républicains et actuellement ministre de l’Intérieur, dénonce une loi qui « fait sauter tous les verrous » et « ouvre la voie à une société où la mort devient un soin comme un autre », dans une interview accordée au Journal du Dimanche le 10 mai 2025.

En complément, dans un tweet publié le 28 mai 2025, il affirme que « instaurer un délit d’entrave à l’aide à mourir avec une peine de deux ans de prison, c’est franchir une nouvelle limite qui n’est pas acceptable » Cette prise de position sur X (anciennement Twitter) renforce sa critique : au-delà de la légalisation, il s’oppose fermement à toute criminalisation des soignants qui chercheraient à dissuader un patient, soulignant que cela ouvre selon lui un précédent dangereux sur le plan éthique.

Dans un communiqué publié le 28 mai 2025, la Conférence des évêques de France exprime sa profonde inquiétude face à la légalisation de l’aide à mourir, dénonçant des « perspectives alarmantes ». Selon elle, ce texte risque d’entraîner un glissement culturel dangereux, où la mort provoquée devient une réponse normale à la souffrance. Loin d’adopter une posture purement religieuse, les évêques alertent sur le risque de pression sociale pesant sur les plus vulnérables — personnes âgées, isolées, malades — qui pourraient se sentir poussées à demander la mort pour ne pas être un fardeau.

Ils appellent à renforcer les soins palliatifs, seule voie selon eux pour accompagner dignement la fin de vie. Pour l’Église, une société juste se mesure à sa capacité à protéger les plus fragiles, non à légaliser une forme de renoncement collectif. Ce communiqué se veut ainsi un appel éthique à ne pas banaliser la mort médicalement provoquée.

Et maintenant ?

Le texte doit désormais être examiné par le Sénat en automne, où la majorité de droite pourrait le retarder, voire l’amender lourdement. Le gouvernement espère un vote définitif d’ici l’automne. Mais au-delà du calendrier parlementaire, le véritable enjeu sera celui de l’application.

Former les soignants, garantir une équité territoriale, accompagner psychologiquement les familles et les professionnels. L’adoption de la loi n’est qu’un début. Le débat sur la mort, lui, ne fait que commencer.

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