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A l’Assemblée, la « réforme Dati » de l’audiovisuel public devra encore attendre face à la désapprobation générale

Ce lundi 30 juin 2025 était vraisemblablement synonyme de dernière chance pour Rachida Dati. Soucieuse de porter à bien sa réforme de l’audiovisuel public, la Ministre de la culture soumettait aujourd’hui ce projet au vote décisif de l’Assemblée Nationale. Passée cette date et sans approbation de l’hémicycle, le menaçant projet de réforme, craint et critiqué par les syndicats de journalistes, ne pourra vraisemblablement pas voir le jour et serait condamné à naviguer dans fin entre le Sénat et l’Assemblée. S’il venait cependant — à force de négociations et de compromis — à être adopté, cela marquerait un tournant bouleversant pour le paysage médiatique et l’audiovisuel public français. Entre choix stratégiques élaborés par la ministre, volonté de modernisation, et à l’inverse craintes pour l’indépendance journalistique, quel avenir la réforme de l’audiovisuel public propose alors au journalisme français ?

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© Lou Bazart-Gelly
© Lou Bazart-Gelly

Validé en première lecture au Sénat en 2023, les différents évènements politiques — d’abord la dissolution de l’Assemblée, puis des incidents entre la ministre et le personnel de l’Assemblée lors de l’examen du projet en avril — ont freiné l’arrivée du texte au palais Bourbon. Ayant depuis été nommée au gouvernement et reprenant la proposition de sénateur du centre Laurent Lafon, Rachida Dati n’a pas manqué de manifester et de réitérer sa volonté d’aller au bout de cette réforme, soutenue par le Président et le Premier Ministre. Le rejet en bloc de l’Assemblée, adoptant une motion de rejet en fin d’après midi, vient cependant soulever des questions plus profondes quant à l’approbation de cette réforme qui déçoit les deux opposés de l’hémicycle.

Vers un modèle de holding inspiré du privé

Rassembler tous les médias publics français sous une seule et même enseigne, c’est le but que se donne cette réforme. Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et l’INA, la réforme ne concernant pas Arte et TV5 Monde, ne seraient alors plus des médias distincts mais bel et bien rassemblés sous un seul nom relevant d’une société mère: France Médias. De cette façon, les médias seraient amenés à conduire des actions communes à la manière du média britannique de la BBC, ou de ce que les médias ont historiquement été: l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française).

Non seulement inspiré des chaines américaines, que la ministre souhaite concurrencer, le projet Dati s’inspire aussi des médias privés comme BFMTV ou le duo Europe1 & CNews. Comme le souligne la députée Génération.s, membre de la commission Culture à l’Assemblée, « le projet s’appuie sur des exemples du privé, comme ceux de Rodolphe Saadé ou de Vincent Bolloré, à savoir une télé, une radio et éventuellement d’autres médias sous une même marque, avec les mêmes incarnations, les mêmes présentateurs ». L’ancienne directrice de France Inter a dans un rapport, suivi cette ligne du privé recommandant d’organiser la future holding exécutive en filiales, constituées autour de la proximité (ICI), l’information continue (Franceinfo), Radio France et France Télévisions.

A la différence du privé, ce modèle limiterait la publicité dans l’audiovisuel public en fixant un plafond aux recettes publicitaires et de parrainage. Des mesures de plafonnement étant déjà prises mais contournées dans certains médias publics, la holding permettrait une réglementation de la publicité plus stricte, la limitant et réduisant moins le spectateur à un consommateur.

Si la réforme venait à être adoptée, les médias concernés devraient connaitre une série de remaniements jusqu’à être finalement rassemblés en 2026 sous le même nom. France Médias serait alors dirigé par un.e PDG nommé pour cinq ans par l’Arcom, qui présiderait également les conseils d’administration des quatre filiales concernées. Laurence Bloch a par ailleurs apporté sa touche à ce modèle, préconisant la nomination d’un directeur d’information chargé des prérogatives éditoriales.

Une réforme menaçante et controversée dénoncée par les professionnels du métier

Si selon la principale intéressée ce projet vise à protéger les médias publics de l’influence grandissante des médias privés, beaucoup y voient en réalité une attaque à l’audiovisuel public. C’est pour le moins ce que dénoncent les syndicats depuis l’annonce de la réforme. La réforme permettrait en effet à l’Etat de “faire des économies” ce qui affaiblirait d’avantage le service public. Face à cette menace, les syndicats ne manquent pas de faire entendre leurs voix.

Appelant à la grève le jeudi 26 juin, l’intersyndicale de Radio France (CFDT, CGT, FO, SNJ, SUD, UNSA) entend lancer un mouvement de protestation illimité, bientôt rallié par l’INA, France Télévisions et France Médias monde, dont les syndicats ont appelé à la mobilisation ce lundi. Si Radio France apparait alors comme la première voix, c’est que sa situation est d’autant plus en péril: le projet de holding mais aussi la fermeture de programmes inquiète les journalistes.

Entre la fermeture annoncée de la station Mouv’, le projet ICI pour les antennes locales déjà controversé, et plus récemment la reprogrammation de l’émission d’investigation “Secrets d’info” et “Interception”, l’emprise des directeurs sur les programmes se fait déjà trop grande. Une holding dirigée par un seul PDG serait fatale pour les programmes de la maison de la Radio. Derrière les discours d’efficacité, c’est une vision marchande du service public qui semble prendre le pas, et c’est précisément ce que dénoncent et ce contre quoi se battent les syndicats de journalistes depuis des années, défendant leur liberté.

Ce lundi marquait donc une nouvelle journée de mobilisation pour Radio France et son personnel, ainsi que tous les média concernés qui espèrent faire reculer un projet perçu comme une menace directe à leur indépendance éditoriale et à la qualité du service public. La motion de rejet votée à l’Assemblée peut peut être sembler être une victoire mais le monde de l’audiovisuel public n’en reste pas moins en danger dans un futur proche, l’échéance n’étant « que » retardée.

Un choix stratégique orchestré dans les coulisses du pouvoir

Désormais portée par Rachida Dati, la réforme s’inscrit dans une stratégie politique en vue des municipales parisiennes, la Ministre ayant toujours tenu au poste occupé aujourd’hui par Anne Hidalgo. Elle n’en demeure pas moins un projet initié en interne dès 2017, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron fraichement arrivé au pouvoir.

Dès le début de son mandat, le Président annonçait vouloir mettre en place une révolution dans l’audiovisuel public. Si ce projet a été contraint de rester dans les cartons en raison de la crise du Covid-19, les premiers signes d’un semblant de holding apparaissent dès 2016 avec la création de la chaîne de télévision France Info, dédoublant la fréquence qui appartenait alors à la radio; mais également le projet plus récent, et également détracté par le SNJ, d’ICI visant à rapprocher les antennes filiales locales de France 3 et France Bleu.

De plus, depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les modes financements accordés à l’audiovisuel public ont également connu des changements, s’accompagnant de craintes et de mobilisations du personnel concerné. Il est important de souligner qu’à l’année, le service audiovisuel public coute 4 milliards d’euros. Jusqu’en 2020, c’est la redevance télé, payée par tous les français possédant un poste de télévision, qui récoltait cette somme. Mais dès lors et à l’heure actuelle, cette somme est obtenue grâce au prélèvement d’une partie des recettes de la TVA, accordée par l’Etat au service public. Cette mesure prise par le gouvernement instaure une forme de dépendance économique, menaçant les médias et leur liberté, ce qui n’était pas le cas avec la redevance. Cette mesure étant censée prendre fin au terme de l’année 2025, la réforme portée par Rachida Dati est le point d’orgue des mesures prises depuis presque 10 ans.

En effet, ce nouveau modèle de holding vise à refonder totalement le mode de financement de l’audiovisuel public. Cette refonte du système avait été préconisée en 2015, dans un rapport sénatorial rendu par Jean Pierre Leleux et André Gattolin, prévoyant la création de “France Médias” à 2020. Si leur rapport vante un modèle conçu pour durer et dont le but est de renforcer les médias d’état, nombreux sont aujourd’hui ceux qui redoutent qu’il n’ouvre au contraire la voie à un contrôle renforcé du pouvoir exécutif sur l’information publique, au détriment de l’indépendance éditoriale.

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