Qu’est-ce qu’une commission d’enquête ?
La commission d’enquête à l’Assemblée Nationale a pour but d’enquêter sur des faits qui ne donnent pas lieu à des poursuites judiciaires ou pour examiner la gestion de services ou d’entreprises publics. Les groupes présents dans l’Hémicycle désignent, à la proportionnelle, 30 députés. Elle est en vigueur pour une durée de maximum 6 mois.
Cette commission se distingue par ses pouvoirs d’investigation. Ils lui permettent d’obtenir les renseignements nécessaires à leurs enquêtes de manière très efficace. Elle a tout d’abord le droit d’obliger les personnes qu’elles convoquent à déférer leur convocation (droit de citation directe). La commission a également le pouvoir de contrôle sur pièces et sur place des rapporteurs. Elle peut aussi rendre publiques ses auditions et a une obligation de publier des comptes rendus.
Ces pouvoirs sont utiles car ils peuvent contraindre toute personne devant la commission, qu’ils soient haut-fonctionnaires, membres du gouvernement etc. Tous doivent venir s’expliquer devant elles. Les rapporteurs peuvent se rendre dans les institutions concernées, accéder à des documents confidentiels pour vérifier les faits directement. Les auditions sont publiques et accentuent donc la transparence des échanges. Tous déplacements, constats faits doivent faire l’objet d’un rapport écrit officiel. Cela empêche aux institutions d’ignorer ou d’enterrer les résultats d’enquête.
Ce qu’il faut retenir
L’audition de François Bayrou devant la commission d’enquête a duré environ 5h30. C’est une durée extrêmement longue pour ce type de format. Les auditions parlementaires ne dépassent en général pas les 2 heures. Cette longueur témoigne de la complexité et de la sensibilité de l’affaire.
Ce que l’on reproche précisément à Bayrou, c’est de ne pas avoir agi alors qu’il occupait des fonctions publiques majeures au moment des premières alertes. Il a été président du conseil général des Pyrénées–Atlantiques et député de la 2ème circonscription des Pyrénées-Atlantiques. Il a ensuite occupé le poste de ministre de l’Éducation nationale dans les années 1980 et 1990. Ces postes lui donnaient une réelle autorité sur les affaires éducatives et sociales. Il est aussi parent d’élèves de l’établissement. Tous ces rôles le décrédibilisent. Son ignorance face aux violences physiques, sexuelles et psychologiques subies par les élèves paraît difficile à croire.
Les députés ont concentré leurs questions sur la manière dont les violences avaient été traitées à l’époque. François Bayrou, de son côté, a maintenu son discours : il affirme n’avoir « jamais été informé »de violences, notamment sexuelles.
Lors de l’audition, plusieurs témoignages indirects sont venus contredire ses déclarations. Par exemple, Françoise Gullung, ancienne enseignante à l’établissement, a déclaré avoir alerté le ministre dès 1994. Bayrou rejette cette version et qualifie ses propos d’“affabulations”.
La présidente de la commission d’enquête évoque la nécessité de trouver des solutions pour prévenir les violences sexuelles et protéger les enfants à l’avenir. Bayrou propose donc la création d’une autorité indépendante qui lutterait contre les violences à l’école.
Audition sous hautes tensions
Dès les premières minutes, la tension s’est fait ressentir entre la présidente de la Commission des Affaires culturelles et de l’Education, la députée PS, Fatiha Keloua Hachi. A plusieurs reprises durant l’entretien entre les rapporteur.es et le Premier Ministre, la Présidente de la Commission a dû répéter à François Bayrou quel était son rôle dans cette commission d’enquête. Après plusieurs heures de débat, François Bayrou a même accusé l’instance de partialité. Pourquoi ? La présidente de la Commission n’a pas accepté que François Bayrou diffuse une vidéo de la professeure Françoise Gulung. Le Premier Ministre n’avait pas souhaité prévenir Fatiha Keloua Hachi jugeant qu’elle pouvait manquer de partialité et lui interdire de diffuser la vidéo qui selon lui prouvait toute son innocence.
En plus des tensions à l’encontre de la Présidente de la Commission, François Bayrou s’est attaqué à Paul Vannier, co-rapporteur de la Commission d’enquête et député LFI. Tout d’abord, en s’installant à sa place, François Bayrou a sorti le livre “La Meute”. Publié il y a 2 semaines, ce livre, écrit par Charlotte Benaïch pour Libération et Olivier Pérou pour Le Monde, enquête sur les rouages du système autour du Mouvement insoumis et de la personnalité de Jean-Luc Mélenchon. Le Premier Ministre s’est montré plus expressif au fil des heures, accusant Paul Vannier de menteur. La première question posée par le co-rapporteur portrait sur la phrase prononcée par François Bayrou à l’Assemblée Nationale en février dernier. Celui-ci assurait qu’il n’avait “jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles.”. Sous serment, François Bayrou s’est enfoncé dans ces accusations et change une nouvelle fois de version: il n’a jamais été informé de violences hors de ce qui pouvait être publié dans la presse.
Après Paul Vannier, Fatiha Keloua Hachi, c’est le travail des journalistes d’investigation de Médiapart qui s’est vu contesté. « Je ne lis pas Mediapart, c’est une hygiène personnelle, vous, vous en faites la Bible et les prophètes ! », répond-t-il à Paul Vannier qui citait le journal suite aux nombreuses révélations qu’ils ont pu faire depuis janvier dernier.
Alors quelle défense a été utilisée par le Premier Ministre face à ces 2 co-rapporteurs en quête de vérité pour les nombreuses victimes en attente ? Son principal argument constitait en une réfutation des témoignages de plusieurs personnes déjà questionnées par la Commission. Parmi celle-ci, Françoise Gullung, professeur à Bétharram, pendant que des faits de violences physiques et sexuelles étaient perpétrés par le Père Carricart. François Bayrou a tenté de montrer que la professeur avait menti durant son audition, ce qui a été démenti par la co-rapportrice Violette Spillebout, députée Ensemble, ainsi que Françoise Gullung. Elle explique: “J’ai alerté en son temps Monsieur Bayrou d’un problème grave à Betharram. Je déplore que, n’ayant rien fait, il a permis, inconsciemment parce qu’il n’a rien fait, que, pendant 30 ans supplémentaires, des enfants subissent des violences physiques et sexuelles. » « Je pense qu’il n’est pas sincère »
Violette Spillebout a ajouté après la tenue de l’audition: “À toutes ces femmes qui ont eu le courage, à un moment, dans un système de l’éducation nationale où il y a encore des omertas où, encore, des enseignants, lorsqu’ils dénoncent des faits délictueux, peuvent voir leur carrière freinée. Ça existe encore aujourd’hui, ce ne sont pas des faits du passé. Je salue leur courage”
Bayrou ou les victimes ?
La commission a clairement consacré son temps et son attention à la personne de Bayrou, délaissant ainsi les victimes. On a préféré se concentrer sur ses responsabilités passées et ses réactions face aux accusations. L’audition a pris des allures de procès où Bayrou devait prouver son innocence. L’analyse des mécanismes de violences est donc clairement passée au second plan.
L’ancien ministre de l’Éducation nationale a décrit la fin de cette audition comme un “moment libérateur”. Après quatre mois d’accusations et une couverture médiatique intense, François Bayrou a pu rétablir entièrement sa version des faits. Il s’est même attaqué à Mediapart en les accusant de faire de la désinformation, les menacant de porter plainte pour diffamation.
“Je peux regretter que cette audition se soit transformée en duel entre le Premier ministre et Paul Vannier” déclare Violette Spillebout, députée Ensemble. Cette commission cherche avant tout à faire la lumière sur les violences commises dans l’établissement et à proposer des solutions concrètes. Malheureusement cette polarisation du débat a déplacé l’attention que les victimes auraient dû avoir vers le Premier Ministre.
“C’est fatiguant, on ne va pas au fond du problème” ou encore “c’est de l’enfumage” a déclaré Eric Veyron, ancien élève de Notre Dame de Bétharram. Les victimes attendent encore qu’on reconnaisse leur souffrance et qu’on leur rende justice.