Une opposition fragmentée
Si des alliances ont germé il y a plusieurs années, comme la Coalition pour la Nouvelle République (CNR) par Maurice Kamto et ses alliés en 2018, la fragmentation des partis politiques demeure un problème récurrent. Cette année, plusieurs candidats ont déclaré leur intention de se présenter. Aucune candidature n’est cependant officiellement valide, le processus de validation n’ayant pas encore été finalisé. Plusieurs candidats potentiels se sont fait connaître depuis. Maurice Kamto, par exemple, principal leader de l’opposition avec son parti Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), compte à son actif une précédente candidature. Eric Essono Tsimi, écrivain et enseignant-chercheur, est également sur la liste. D’autres représentants des partis politiques, tels que le Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN) et le Parti de l’Union (Univers), sont également connus du grand public. A leurs côtés se trouvent les candidats indépendants, connus ou non du monde politique.
Entre candidatures spontanées et candidatures indépendantes : focus sur les 3 derniers candidats
C’est sous forme de vidéo publiée sur Facebook et TikTok qu’Asong Michael Khumbah, Bijou Gerardine Onkmakagne et Valère Bertrand Bessala ont annoncé leur candidature à l’élection présidentielle . Asong Michael Khumbah est le premier à avoir ouvert le bal en février. Diplômé en droit et en médecine à Douala et membre de l’Ordre du barreau du Rwanda, il ne présente pas de parcours politique connu. Ses idées phares : l’instauration d’un système éducatif basé sur le talent, la construction d’un barrage hydroélectrique à Menchum – département du Nord-Ouest au Cameroun, et la réduction du mandat présidentiel de 7 à 4 ans.
Bijou Gerardine Ongmakagne, fondatrice de la maison de couture Zuhaitz Couture à Paris, a annoncé sa candidature le 22 avril. Inconnue du bataillon politique, elle plaide en faveur de la justice sociale, visant « à construire un État plus équitable où chaque citoyen a sa place », peut-on entendre dans sa déclaration. Entrepreneure, ses convictions principales se tournent vers les réformes du système éducatif et sanitaire et elle prône la valorisation des petites et moyennes entreprises (PME) à travers des formations qualitatives, en particulier pour les startups.
À six jours d’intervalle, c’est au tour de Valère Bertrand Bessala, haut fonctionnaire camerounais et leader du Parti Jouvence, de prendre sa caméra. Bien connu du milieu politique – ancien préfet adjoint du département du Diamaré, ancien sous-préfet et ancien inspecteur de l’administration préfectorale dans la région de l’Extrême-Nord en 2021 – il souhaite recentrer la gouvernance sur les besoins de la jeunesse et instaurer une nouvelle éthique politique au Cameroun. Pour ce faire, il propose l’instauration d’un « juge capital » chargé de sanctionner sévèrement les actes de corruption et les infractions graves afin de restaurer l’État de droit, ainsi qu’une restructuration de l’administration publique pour la rendre plus efficace, transparente et au service des citoyens. Pratique pourtant très courante au Cameroun, ces trois candidats potentiels annoncent une transformation de l’utilisation des réseaux sociaux, changeant la position du pion vituel de la « communication » sur l’échiquier politique.
Un renouveau du ring virtuel
Si mettre les réseaux sociaux au cœur de la communication ne présente rien d’innovant au Cameroun, l’explosion des candidatures spontanées par ce canal change subtilement les règles du jeu. En effet,en choisissant les réseaux sociaux pour déclarer leurs candidatures, les candidats les définissent comme étant le terrain principal sur lequel ils vont s’affronter et s’exprimer. Ainsi, tous les candidats se font concurrence sur cet espace à raison de moyens numériques équitables. Mais, dans un pays où 56,1 % de la population est restée hors ligne début 2024 (DataReportal), l’usage des réseaux sociaux comme épicentre de communication questionne la capacité des candidats à porter leurs convictions de façon qualitative en dehors de la sphère numérique, loin des problématiques d’ internet, où se trouvent la majorité des votants.
Utiliser les réseaux sociaux est une chose, mais en maîtriser l’art de la communication en est une autre. Un tel recours aux réseaux sociaux inclu une communication digitale et politique excellente des candidats indépendants, sur un terrain déjà marqué par la présence de leurs opposants. Parmi eux, Joshua Osih, membre du Social Democratic Front (SDF) et candidat à l’élection présidentielle de 2018, est reconnu pour son utilisation proactive des réseaux sociaux, notamment sur « X » pour la diffusion de ses idées. Les réseaux sociaux représentent donc un défi déterminant pour les candidats, où leurs apparitions et prises de parole feront l’objet d’analyses tant sur leur personnalité que sur leur programme.
Appréciés par la diaspora pour leur audace et leurs innovations, les candidats indépendants sont en ligne de mire des critiques, rendant la prise au sérieux de leur candidature d’autant plus complexe. Bijou Ongmakagne, première femme à se porter candidate à l’élection présidentielle, en est l’exemple numéro un. Sa communication digitale est jugée trop légère par certains analystes civils ou politiques, tels que Missiva Yvana, connue sous le nom de « La Periztocratie » sur les réseaux sociaux. Ajouté au contexte d’insécurité dans les régions anglophones et lasituation économique stagnante du pays, les réseaux sociaux se révèlent incontournables pour mettre en lumière ces candidatures et séduire l’électorat.
Ces enjeux mettent le doigt sur le sujet des « fake news » et de la désinformation, qui peuvent influencer les perceptions et détourner l’attention des vrais enjeux.Il est ainsi possible chaque année d’observer de nombreux blogs annoncer la mort du président pourtant bien en vie. L’impact des réseaux sur les jeunes électeurs et les défis liés à l’accès à Internet sont de ce fait inhérents aux élections et, dans le contexte camerounais, encore plus poignants.
Paul Biya : l’incertitude d’une candidature
Alors qu’il a annoncé « continuer à œuvrer pour une profonde mutation sociale et la création d’une véritable nation camerounaise » (X), suggérant qu’il projette sa présidence au-delà de son mandat actuel, l’absence de mention claire de candidature soulève des interrogations quant au renouvellement de ses vœux politiques. À la tête du pouvoir depuis 1982 par son parti le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le président sortant ne semble toutefois pas avoir dit son dernier mot en politique. Le 27 février dernier, Paul Biya a exprimé sur X sa reconnaissance du camfranglais , langage à la croisée du français, de l’anglais et du pidgin essentiellement utilisé par les jeunes, en le qualifiant de « génie » au rang des langues nationales du pays, montrant un intérêt notoire pour la jeunesse visiblement l’électorat à conquérir et donc un positionnement de candidat à l’ election.
Entre candidatures spontanées, stratégie digitale, satisfaction des électeurs et position ambiguë de renouvellement de candidature, une question capitale se pose : ces élections marqueront elles un vrai tournant politique au Cameroun ou seront-elles la réaffirmation de près d’un demi-siècle de pouvoir ?