Tous les jours, nous entendons des sons. Le chant des oiseaux, le bruit des touches sur un clavier et encore celui d’une page qui se tourne, il s’agit de sons du quotidien auxquels nous sommes tellement habitués que ne n’y prêtons plus attention. Ces bruits anodins sont au cœur du projet Cities and memory, initié par Stuart Fowkes en 2015.
Une carte interactive pour découvrir des sons enregistrés dans le monde entier
L’idée de son projet est simple : sur le site Internet www.citiesand memory.com, sont compilés plus de 7 000 sons, enregistrés aux quatre coins du globe. Sur la page principale du site web, vous trouverez une carte du monde interactive où vous pourrez alors cliquer sur un des (nombreux) points qui localise un enregistrement. Ce projet sonore couvre plus de 130 pays ! Vous pouvez alors choisir d’entendre le bruit du métro parisien à la station Châtelet-Les-Halles. Vous pourrez également écouter le bruit sourd des visiteurs découvrant l’intérieur du Taj Mahal. Si vous préférez le calme, nous vous conseillons d’opter pour le son des vagues de la plage Elgol beach en Ecosse ou encore le bruit de la glace qui se brise en Antarctique.
Quand les sons se transforment en œuvres d’art
Grâce à ce site web, vous pouvez voyager sans bouger de votre place. D’autant que chaque son a été enregistré sur le terrain, c’est-à-dire sur le lieu-même que vous avez sélectionné ! Cependant, ce projet a également une dimension artistique. En effet, pour chaque son enregistré, appelé « city », il existe une version remixée, remasterisée, nommée « memory ».
« Remixer le monde »
Ces « réinterprétations sonores » de l’enregistrement déjà existant prennent diverses formes : musiques électroniques, musique ambiante, art radiophonique… Comme l’explique Stuart Fowkes à nos confrères du magazine en ligne Alphr « nous remixons le monde un son à la fois, créant un monde sonore réel et alternatif entre lequel l’auditeur peut basculer à volonté (…) L’un est un enregistrement documentaire réel d’une époque et d’un lieu, et l’autre prend cet enregistrement original, ou des éléments de celui-ci, et crée quelque chose de nouveau, en fonction de la réponse artistique, de la mémoire et de la réaction de celui qui crée le son recomposé ou réimaginé ».
Réinventer notre rapport aux sons
L’objectif qui se cache derrière Cities and memory ? Nous questionner sur notre rapport aux sons, surtout à ceux qui nous sont tellement familiers qu’on n’y accorde aucune importance. Stuart Fowkes indique d’ailleurs « Le son est incroyablement important, et on ne lui accorde pas encore assez de crédit ou d’importance dans notre culture numérique de plus en plus obsédée par le visuel et dominée par les algorithmes (…) Le son est incroyablement proche de nous et nous est familier – si proche, en fait, que notre relation avec lui peut devenir complaisante avec le temps. »
En effet, l’ouïe est un des premiers sens dont nous disposons puisque des études scientifiques ont prouvé que les bébés entendaient déjà des bribes de sons lorsqu’ils étaient dans le ventre de leurs mères. Il a également été démontré que le son, comme l’odorat ou la vue, peut nous « débloquer » des souvenirs. Par exemple, lorsque vous entendez le générique d’un dessin animé que vous adoriez enfant, votre cerveau repense immédiatement à cette période et cela réveille des souvenirs liés à ce moment de votre vie.
Les sons, miroirs de notre mode de vie et témoignages pour les générations futures
En effet, l’enregistrement des sons permet de capturer des instants de notre vie actuelle, les immortalise et les préserve. Par exemple, certains bruits comme ceux d’une machine à écrire ont totalement disparus de notre quotidien puisque ces machines ne sont plus utilisées. Les sons fonctionnent donc comme un miroir de notre mode de vie et ceux d’aujourd’hui serviront de témoignages pour les générations futures qui les réécouteront. Cela leur permettra de comprendre comment nous vivions à notre époque.
Enfin, enregistrer les sons d’aujourd’hui permet aussi de les transmettre aux futures générations puisque malheureusement certains bruits comme le chant de plusieurs espèces d’oiseaux risquent de disparaitre à cause du dérèglement climatique. Leur enregistrement permet également de sensibiliser les générations actuelles à certaines problématiques (dérèglement climatique, impact de l’Homme sur la nature et le vivant…).
Une œuvre collective qui réunit des milliers de contributeurs
Seulement, Stuart Fowkes a vite compris qu’il ne pourrait pas mener à bien son projet seul. En effet, il faudrait passer ses journées à parcourir le monde pour enregistrer davantage de bruits. De plus, ce serait un travail titanesque de remixer seul ces milliers d’enregistrements. C’est pourquoi l’artiste a eu l’idée « d’ouvrir » son projet, de permettre à n’importe qui d’y contribuer. Ainsi, plusieurs centaines de personnes ont enregistré des sons puis les ont ajoutés sur le site Internet. Ensuite, des centaines d’artistes ont remixé ces enregistrements. Au total, plus de 2 000 personnes ont participé à ce projet !
Comme l’explique Stuart Fowkes « Il n’y aurait rien d’intéressant à n’entendre que des sons réinventés créés par moi, à partir d’enregistrements sur le terrain que j’ai pris. Mais je pense qu’il y a quelque chose de fascinant dans un processus mondial et ouvert qui permet à n’importe qui de contribuer à un son, et à n’importe qui d’apporter son talent, ses compétences, ses souvenirs et ses émotions pour recomposer ces sons. »
Cette initiative met donc en relation des centaines d’inconnus qui ne se connaissent pas, n’habitent pas aux mêmes endroits, n’ont pas la même culture mais qui collaborent sur un des plus grands projets sonores au monde ! Stuart Fowkes indique même « Ce que j’aime, c’est que je ne suis souvent rien de plus qu’un facilitateur pour les sons mondiaux – en mettant en relation un preneur de son au Brésil avec un musicien au Japon, qui collaborent sur un son de New York, via un projet basé à Oxford. ».
Ce projet artistique démontre donc que les sons nous relient au monde qui nous entoure mais également aux autres humains de cette planète. Il semble donc que Stuart Fowkes a réussi son pari puisqu’en visitant le site Internet de Cities and memory, on a qu’une seule envie : faire plus attention aux sons qui nous entourent, en apprécier la beauté voire accorder davantage d’importance à certains de ces bruits qui ponctuent notre vie quotidienne.