Avec 450 millions de personnes et 27 gouvernements, l’Union européenne se positionne comme un acteur clé du Proche-Orient. Doté d’outils majeurs, l’Europe serait, selon les décisions internes, en capacité de réguler le conflit en cours dans cette région du globe. Ne faisant pas partie intégrante du conflit, elle pourrait pourtant jouer de son influence afin de contribuer à la paix – ce qui n’a, à l’heure actuelle, su sortir de l’hémicycle européen. Comment l’Union pourrait-elle interroger les acteurs impliqués au sein d’un tel conflit historique dans la région et aider à construire ces doubles États dans l’optique de parvenir à un accord de paix durable ? Afin de décrypter la multiplicité des enjeux géopolitiques et européens dans un conflit en pleine globalisation, CSactu s’est rendu ce mercredi 18 juin 2025 dans les coulisses de l’épicentre européen strasbourgeois.
Une Europe active ou passive ?
Accord d’association entre l’Union européenne et Israël en vigueur depuis juin 2000, financement au profit d’une entreprise d’armement israélienne, ou à l’inverse, plus de 25 ans d’aide humanitaire et de développement des Palestiniens au compteur, la position spécifique de l’Union européenne reste complexe à identifier. Avec un pic évolutif en matière d’aide humanitaire depuis 2023 à Gaza, celle-ci est parvenue à atteindre l’équivalent de 450 millions d’euros en deux ans. Conjointement avec les accords du G7, l’Union européenne a également déployé d’importants efforts diplomatiques en approuvant pleinement l’accord de cessez-le-feu conclu entre Israël et le Hamas en janvier 2025. Dans un autre temps, une base légale des échanges entre l’Union européenne et Israël perdure depuis juin 2000 avec l’accord d’association. La Commission européenne indique que ce dernier vise à fournir « un cadre juridique et institutionnel approprié pour le dialogue politique et la coopération économique entre l’UE et Israël ». En raison de l’intensification des offensives de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, a annoncé le 20 mai dernier son réexamen.
Pour autant, derrière ces apparences trompeuses, la réalité est tout autre. En juin 2025, Disclose, Investigate Europe et Reporters United ont révélé qu’un projet nommé “Actus” de développement de drones militaires financé par l’Europe et sept gouvernements européens – dont la France – a obtenu, en mai 2024, un financement de 42 millions d’euros d’argent public. Problème : une partie de cette enveloppe profite à Israel Aerospace Industries, un géant israélien de l’armement. Alors même que l’Union affiche son soutien au cessez-le-feu et à la paix, en affirmant qu’elle “est résolument attachée à une solutions à deux États, où Israël et un État palestinien vivraient côte à côte dans la paix et la sécurité”, des fonds européens servent à renforcer l’industrie militaire d’un des belligérants. Une révélation qui relance un débat sur la place d’Israël dans les politiques de sécurité et de défense de l’Union, et plus largement sur le contrôle des fonds européens dans un financement indirect à un service profitant à un État au pratique humanitaire contesté.
Cet appel à la paix dans cette région du globe ne date pas d’hier : le 1er mars 2005, un rapport d’information fut déposé par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le rôle de l’Union européenne dans la solution au conflit au Proche-Orient. Le document pointait déjà des enjeux toujours brûlants, tels que de faire de l’espace euro-méditerranéen une zone de paix et de prospérité, en positionnant l’Union européenne et les États-Unis comme acteurs de premier plan dans cette quête de solution durable pour et entre Israël et la Palestine. Si les failles actuellement débattues sont depuis vingt ans la cible d’interrogations institutionnelles, celles-ci continuent à se heurter aux contradictions d’une Union qui ne parvient toujours pas à adopter une ligne politique claire et commune afin de stabiliser des tensions vieilles de 46 ans au Proche-Orient. Si l’Europe se veut un acteur de paix, son absence de mesures coercitives et la complexité de ses choix économiques fragilisent sa crédibilité sur la scène internationale et alimentent des dissensions internes.
Malgré les divisions entre les Vingt-Sept, la position officielle de l’Union européenne repose sur la relance du processus de paix pour parvenir à une solution durable à deux États, comme souligné il y a désormais 20 ans de cela. Alors que de plus en plus de gouvernements envisagent de reconnaître officiellement l’État de Palestine, cette dynamique diplomatique pourrait renforcer la légitimité de l’Autorité palestinienne. Une reconnaissance accrue sur la scène internationale serait perçue comme un soutien à sa capacité à gouverner la bande de Gaza, en alternative au Hamas, mouvement de résistance islamiste et nationaliste palestinien, qui contrôle actuellement le territoire. Néanmoins, certains analystes soulignent que l’Europe se doit d’affronter le tabou de sa loyauté à l’égard d’Israël. Une Europe finalement lente dans l’impact de ses décisions et de ses actions qui demeure immobile en raison du dissensus interne de la part de ses membres.
L’hémicycle soucieux de la situation génocidaire
Malgré des actions diplomatiques et humanitaires promues par l’Europe ainsi que les nombreuses attaques menées par l’armée israélienne à Gaza, le Parlement européen a attendu près de 20 mois pour officiellement employer le terme de génocide le 18 juin 2025, afin de qualifier les actions commanditées au Proche-Orient. Employé lors du débat d’actualité Mettre fin au génocide à Gaza : il est temps pour l’UE de prendre des sanctions initié par le groupe The Left, cette qualification a également été reprise par des députés relevant de groupes de centre-droit dans les propos de députés relevant du groupe majoritaire au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE). Une utilisation quasi généralisée, synonyme de victoire politique majeure selon l’eurodéputée Rima Hassan du groupe The Left.

Dans une interview accordée à CSactu le 18 juin 2025, elle affirme dans l’enceinte du Parlement européen de Strasbourg que l’utilisation de ce terme est un « prérequis indispensable et un pas nécessaire pour l’Europe avant d’avancer sur le terrain des sanctions ». L’emploi de ce terme doit cependant encore prendre de l’ampleur et gagner les rangs des groupes d’extrême droite avant d’obtenir des résultats concrets qui permettront de « mettre fin à l’impunité d’Israël et d’obtenir justice », alors même que la situation à Gaza ne relève plus du droit à l’autodéfense d’Israël. Si Rima Hassan adopte depuis toujours une posture militante dans la résolution de ce conflit, elle affirme pour autant que son groupe politique ne demande pas à l’Union européenne de se présenter elle aussi en tant que pionnière du militantisme palestinien, mais uniquement « de se conformer au droit international, qui est par ailleurs promu dans tous les accords d’association que l’Union européenne a avec les autres pays ».
Selon elle, l’Union européenne a pour devoir essentiel de fournir le minimum syndical en faisant « respecter ses propres engagements en condamnant les crimes et exactions commises par l’État d’Israël qui viole le droit international, et de suspendre l’accord d’association en place au vu du non-respect des droits humains flagrant de le part d’Israël ». Plus qu’un devoir, suspendre toutes les collaborations militaires constituerait une obligation légale pour l’Europe : « Près de 40% des exportations d’armes viennent de l’Union européenne. Nous avons une responsabilité historique sur cette question – qui est aujourd’hui très concrète – sur les crimes qui sont perpétrés. » Interrogée sur la question des victimes civiles, l’eurodéputée alerte au micro de CSactu que « 85% des infrastructures à Gaza ont été littéralement détruites, 90% des écoles ont été rasées, ainsi que les universités. […] Tout cela doit être de nouveau reconstruit et financé. Le peuple palestinien doit être soutenu ».
Reposant sur la base des principes de « cohérence et de crédibilité », Rima Hassan fait un parallèle avec la situation russo-ukrainienne et soulève un questionnement crucial pour l’équilibre international actuel et futur : « Nous n’aurions pas accepté que l’Union européenne s’allie avec la Russie. Sacrifier le peuple ukrainien au nom d’alliances avec un régime qui fait lui aussi l’objet d’un mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale aurait été indigne, alors pourquoi devrions-nous accepter cette alliance avec le régime israélien ? ». Plongés au sein d’un affrontement historique, l’eurodéputée conclut cet entretien en tirant le signal d’alarme sur l’incompréhension de ces dirigeants européens inactifs, pourtant acteurs de ce conflit : « Il faut que nos décideurs comprennent que c’est une question du présent mais aussi d’avenir. Dès maintenant, il est essentiel de donner une direction qui fasse sens pour notre avenir d’européen et qui corresponde à la volonté des citoyens européens. Nous ne demandons pas à l’Union européenne d’aimer plus les Palestiniens que les Israéliens, seulement qu’elle respecte le droit international ».

De l’autre côté de la rive politique, Jordan Bardella, eurodéputé du groupe Patriotes pour l’Europe, se déclare en conférence de presse “extrêmement préoccupé par la dégradation de la situation sécuritaire et géopolitique du Moyen-Orient”. À l’inverse de ses opposants, il prend ouvertement la défense d’Israël et revendique son droit de se défendre face aux proxys (Hamas, Hezbollah et Houthis) employés par le régime dictatorial iranien qui mène selon lui « une guerre contre Israël depuis plusieurs années ». Si Jordan Bardella a condamné les attaques de l’Iran, il est cependant resté muet sur celles menées par Israël dans l’enclave palestinienne, justifiant ce qu’il refuse encore d’appeler un génocide.
Lors du débat d’actualité, les députés de différents bords politiques allant de l’extrême gauche au centre-droit ont largement manifesté au sein de l’hémicycle leurs inquiétudes quant à la situation génocidaire en cours dans la bande de Gaza. Tous ceux faisant partie de ces divers groupes politiques ont dénoncé le caractère illégal des actions menées par l’armée israélienne, résidant majoritairement dans le fait de cibler délibérément des civils. Abordant l’aide humanitaire accordée à l’enclave, les eurodéputés affirment que celle-ci devient une cible et se transforme en une arme pour Israël en dépit du droit international. Alors que le carburant servant à alimenter les centrales électriques commence à manquer, tous revendiquent que l’aide humanitaire doit avoir le droit d’entrer librement afin de porter secours aux 11 millions de Gazaouis et s’accordent sur une solution commune afin de faciliter l’entrée de l’aide : faire appel à l’ONU et non à des organismes privés.
Parlant au nom des citoyens européens, tous les députés investis dans le débat et situés de la gauche au centre-droit de l’échiquier politique s’accordent pour dire que l’Union européenne doit prendre des mesures pour mettre fin à ce génocide avant qu’il n’embrase tout le Moyen-Orient – une posture néanmoins entamée par une escalade du conflit allant jusqu’à faire apparaître des divergences géopolitiques et des attaques entre Israël et l’Iran. La réponse aux bombardements iraniens de l’État hébreu ont par ailleurs uniquement servi de couverture, étouffant les crimes perpétrés à Gaza qui ne connaissent aucun répit depuis l’invasion israélienne en octobre 2023.
Alors que la dignité humaine est en péril, mettre fin à l’échec et au silence de l’Europe doit, depuis l’intensification du conflit, plus que jamais être une priorité.
Peu d’actes européens sur le dossier Iran-Israël
Après douze jours d’affrontements, Israël et l’Iran ont accepté la trêve initiée par le 47e président des États-Unis dans la nuit du 23 au 24 juin 2025 via son réseau Truth Social. Saluée par la diplomatie européenne, les dirigeants européens ont fait preuve d’impuissance sur ce dossier. Les Européens sont en effet restés muets face aux frappes américaines sur les sites nucléaires iraniens, menées avec la redoutable bombe GBU-57, en dépit des recommandations européennes violées par Trump.
Si les dirigeants européens s’accordent à dire que l’Iran ne doit pas accéder à l’arme nucléaire, ils ont réclamé un retour à la « table des négociations » pour éviter toute escalade du conflit. Chose promise, chose due : les ministres des Affaires étrangères français, allemands et britanniques ainsi que la haute représentante de l’Union européenne, Kaja Kallas, ont retrouvé ce vendredi 20 juin 2025 à Genève leur homologue iranien, Abbas Araghchi, dans une ultime tentative de négociation. La présence de ces trois pays européens n’a rien d’un hasard, puisque communément appelées les E3, ils ont joué un rôle majeur dans les négociations antérieures relatives à l’accord nucléaire initial de 2015 avec l’Iran. Tandis que la réunion n’avait pas encore touché à sa fin, Donald Trump déclarait sur un ton eurosceptique que « L’Europe ne va pas pouvoir aider sur ce sujet ». Une posture pourtant remise en cause via une source diplomatique rapportée par Le Monde, qui affirmait que les représentants étaient « prêts à faire beaucoup de concessions, avant même que les Américains ne frappent ».
Malgré cette réunion diplomatique, les protagonistes se sont simplement engagés à poursuivre les discussions et ne sont aucunement parvenus à faire surgir une solution concrète. Les bombardements américains ayant eu lieu au lendemain de ces échanges étaient certes imprévus, mais ont eu raison de l’Europe et ont débouché sur ce qu’aucun dirigeant européen ne fut capable d’amorcer : un cessez-le-feu.
Du côté de l’Iran, Ali Bahraini, ambassadeur et représentant permanent de l’Iran auprès des Nations unies à Genève, a déclaré le 19 juin 2025 lors d’une interview accordée à Euronews que l’Europe fut en partie responsable du conflit entre les deux pays. « Nous demandons à l’Europe de pousser Israël à mettre fin à l’agression. L’Europe doit assumer sa responsabilité et mettre fin à l’impunité dont jouit Israël. L’Europe doit cesser d’aider ou d’assister Israël financièrement, militairement ou par le biais de ses services de renseignement. Et l’Europe devrait jouer un rôle important en expliquant aux États-Unis et à Israël que la technologie nucléaire iranienne n’est pas quelque chose qu’ils peuvent détruire ».
Paralysés par leurs divisions et spectateurs impuissants au Proche-Orient, les Européens ont perdu toute crédibilité sur la scène internationale. Pendant que l’Allemagne célébrait une « bonne nouvelle pour le Moyen et le Proche-Orient, mais aussi pour l’Europe », la France affichait son inquiétude face aux frappes américaines, Emmanuel Macron dénonçant des actions « illégales ». Si l’Europe a tenté une médiation sans grand succès, la première puissance mondiale a une nouvelle fois parlé plus fort que le reste du monde.
De multiples solutions qui font encore dissensus
En février 2022, l’Union européenne n’a pas hésité à émettre des sanctions envers la Russie dans le cadre du conflit russo-ukrainien – notamment en suspendant les importations de gaz russes –, mais le dossier devient explosif lorsqu’il s’agit de l’État hébreu. Sous la pression croissante de l’opinion publique, les Vingt-Sept restent paralysés par des réticences profondes croissantes, voire des tabous, qui bloquent toute tentative de sanction claire contre Israël. Le pays reste identifiable sous le terme de “démocratie”, marqué par une histoire qui pèse lourd sur les consciences européennes, ce qui donne lieu à une Europe divisée, incapable de parler d’une seule voix. Lorsque des pays comme l’Espagne, l’Irlande ou la Belgique plaident pour des sanctions fermes envers la situation dans la région, d’autres continuent de jouer la carte de l’opposition. L’Allemagne, prisonnière de son passé, refuse toute sanction contre l’État hébreu. La Hongrie de Viktor Orban adopte la même ligne. Le mois dernier encore, Budapest déroulait le tapis rouge à Benjamin Netanyahou, premier ministre israélien, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.
Face à l’impasse politique et à l’ampleur du drame palestinien, la France amorce quant à elle un tournant : elle n’exclut désormais plus de reconnaître officiellement l’État palestinien. Tant de positions reflétant une union qui, malgré les tentatives, demeure désunie.
Beaucoup d’eurodéputés défendent une suspension de l’accord d’association, un embargo sur les armes, des sanctions ciblées contre les responsables ainsi qu’un cessez-le-feu total suivi d’une ouverture vers une possible enquête internationale. Pour autant, et faute de consensus européen, aucune des mesures énoncées ne parvient à s’appliquer durablement. Les retards et blocages institutionnels doivent être imputés aux désaccords internes qui donnent l’impression d’une Europe bras ballants, hypocrite, déroulant un tapis rouge à Benjamin Netanyahu (propos d’eurodéputés recueillis lors du débat d’actualité Mettre fin au génocide à Gaza : il est temps pour l’UE de prendre des sanctions au Parlement européen le 18 juin 2025). D’un côté, les groupes The Left, S&D, ou Renew Europe soutiennent des politiques concrètes et en appellent à l’humanisme des dirigeants européens. De l’autre, les groupes d’extrême droite comme Patriotes pour l’Europe suivent la ligne d’un soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël, au nom de l’alliance de nature politique et de la proximité idéologique avec le régime du premier ministre israélien. Des divergences qui se reflètent clairement dans les derniers travaux institutionnels européens.
Le dernier rapport en date, rendu par la vice-présidente de la commission européenne Kaja Kallas est encore une fois accablant et fait de nouveau ressortir les désaccords internes à l’Union. Rassemblés à Bruxelles le 26 juin 2025, les Vingt-Sept ont pu apprendre par ce rapport qu’Israël n’enfreignait pas moins d’une trentaine de principes – pour certains fondamentaux – du droit international. La suspension de l’accord d’association a donc une énième fois refait surface, avec les prises de positions des pays membres relatives à cette voie empruntée.
La suspension de l’accord nécessitant l’approbation unanime des pays membres, et faute d’entente à Bruxelles, le blocage demeure et laisse place à des mesures symboliques de « suivi de la situation ». Il faudra donc attendre le mois de juillet pour qu’une nouvelle séance ait lieu. Celle-ci pourrait, cette fois, déboucher sur des sanctions et ouvrir la voie à des solutions concrètes de la part des dirigeants européens, qui, pour l’instant, semblent compter sur Donald Trump pour faire pression sur le Premier ministre israélien en vue d’un cessez-le-feu. Ce dernier a déjà su se montrer crucial dans les négociations avec l’Iran, là où les Européens ont tenté de faire entendre une voix politiquement inaudible.