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Gorilles masqués et vérités crues : qui sont les Guerrilla Girls ? 

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Couverture du livre « Guerrilla Girls: The Art of Behaving Badly », publiée par les Guerrilla Girls, Chronicle Books, 2020.

Elles sont masquées, elles sont furieuses, elles sont drôles et elles frappent là où ça fait mal. Depuis près de quarante ans, les Guerrilla Girls, un groupe d’artistes féministes, mènent une guérilla graphique et féministe dans les coulisses feutrées du monde de l’art.
Leur cible ? Le sexisme, le racisme et l’hypocrisie des grandes institutions culturelles. Leur arme ? Des affiches coup-de-poing, de l’humour acide, des chiffres qui claquent. Mais toujours avec un style visuel inimitable et ce qu’on appelle le “culture jamming” en français, le détournement culturel. C’est le fait de détourner pour en faire une critique et ainsi évacuer d’autres messages. Mais qui sont-elles vraiment ? Retour sur l’histoire explosive de ce collectif qui a changé les règles du jeu… sans jamais montrer son visage.

La naissance d’une révolte : le 14 juin 1984, une manifestation forme le groupe


En 1984, le Museum of Modern Art (MoMA) à New York organise une exposition qui réunit 169 artistes qui est intitulée “Un aperçu international sur la peinture et la sculpture récentes”. Pourtant, sur 169 artistes seulement 13 sont des femmes, et les noirs sont encore moins représentés. Une manifestation organisée à l’extérieur du musée ne semble susciter aucune réaction, ni de la part des employés, ni de celle des visiteurs. C’est alors que sept artistes femmes décident alors qu’il est temps de changer d’approche. Neuf mois plus tard, naît le collectif Guerrilla Girls. Leur apparition se fait dans l’Amérique de Reagan. Dans un contexte politique fortement imprégné de conservatisme, où la société est traversée par ce qu’on appelle la “guerre culturelle”.

Un style visuel, un masque, un message.

Elles créent et diffusent des affiches percutantes, posant frontalement la question du sexisme et du racisme dans le milieu artistique. Avec un ton à la fois direct, piquant et accessible, elles les collent un peu partout dans les rues de Manhattan. Des affiches qui mêlent habilement humour et données chocs, avec des messages frappants en gras noir sur fond blanc. L’une des toutes premières d’entre elles dresse un constat implacable : sur l’année écoulée, une seule exposition d’artiste femme figure au programme de quatre grands musées.

Et, l’une des plus connues, datant de 1989, pose la question :« Do women have to be naked to get into the Met. Museum? »
Moins de 5 % des œuvres y sont signées par des femmes. Mais 85 % des nus représentés sont des corps féminins. Cette stratégie, elles l’appellent le weenie count. Elles vont sur place, comptent les œuvres, notent les déséquilibres, puis balancent les résultats dans l’espace public, en pleine rue.

Affiche réalisée par les Guerrilla Girls, 1989

À mesure que leur notoriété grandit, les Guerrilla Girls choisissent de porter des masques de gorille, un clin d’œil ironique né d’une coquille d’un de leurs membres entre guerrilla et gorilla. Ce déguisement devient leur marque de fabrique et leur permet de préserver leur anonymat. Chacune adopte alors le nom d’une figure féminine de l’histoire de l’art, comme Frida Kahlo ou Käthe Kollwitz. Afin de rappeler la mémoire de tous les grands noms féminins de l’histoire de l’art, qui sont, pour elles, trop négligés. Au fil du temps, une cinquantaine d’autres artistes rejoignent le collectif, certaines pour quelques semaines seulement, d’autres pour plusieurs décennies.

Devenir membre des Guerrilla Girls 

Pour rejoindre les Guerrilla Girls, ça ne se fait pas n’importe comment : il faut être invitée. Le groupe fonctionne par cooptation, et chaque nouvelle recrue est accompagnée par une ancienne qui la forme. Comme il n’y a pas de structure officielle ni de hiérarchie rigide, le collectif reste assez ouvert, même envers des personnes extérieures influentes qui soutiennent leur cause. Comme l’a dit l’une d’elles : « Avoir parmi nous des gens influents qui donnent du crédit au fait d’être une Guerrilla Girl, ne peut que nous renforcer, même si elles n’ont jamais été Guerrilla Girl ». Les hommes, eux, ne peuvent pas faire partie du groupe, mais ils peuvent apporter leur soutien. En effet, elles soulignèrent souvent que les alliés masculins sont importants dans le combat pour l’égalité. Cela dit, dès 1995, les Guerrilla Girls ont commencé à réfléchir à cette question. Aujourd’hui, le collectif rassemble des femmes ou des personnes s’identifiant comme femmes de tous âges, de toutes origines et de toutes orientations sexuelles, unies par une même volonté de changer les choses.

Masquées, mais jamais silencieuses.

En 2001, les Guerrilla Girls se divisent en plusieurs branches, Guerrilla Girls Inc., GuerrillaGirlsBroadBand et Guerrilla Girls On Tour. Ce qui les unit malgré cette séparation, c’est leur volonté commune de créer un art engagé, porteur de revendications, avec l’objectif de repenser et de réinventer le féminisme à travers leurs actions.
Leur critique s’est élargie bien au-delà des musées : Hollywood, la politique, les stéréotypes culturels sont devenus leurs terrains d’action. Toujours avec ce ton direct, ironique, et résolument engagé. Leur style détourne les codes de la pub pour dénoncer, choquer et faire réagir.

Quarante ans plus tard, leurs masques n’ont rien perdu de leur force : leur art dérange, dénonce, inspire. Leur but n’est pas de plaire, mais de bousculer, et tant que l’inégalité persistera, elles continueront à frapper, en noir et blanc, sur les murs du monde.

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