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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

La laïcité sur le ring des contestations

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Manon DELASSUS

Fin 2023, le Sénat relatait « une augmentation de 120 % des atteintes à la laïcité » dans les établissements scolaires. Ce constat s’inscrit dans une série d’incidents défrayant les chroniques pour le meilleur et pour le pire. Mais quand est-il sur le terrain ?  Point sur la situation. 

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La laïcité au coeur des débats ©Freepik
La laïcité au coeur des débats ©Freepik

Assassinat des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, polémique à cause d’un tableau nu, refus de suivre des cours, contestation du contenu de certains enseignements pour des raisons religieuses…

Du plus grave au plus subtile, nombreux sont les incidents ramenant la question du respect de la laïcité sur le tapis. Nicolas Boudeele, professeur d’Histoire – Géographie dans un collège de région parisienne classé en zone prioritaire (REP), et Stéphane Aurousseau, bénévole pour la Ligue de l’enseignement, livrent leur point de vue sur la question.   

Des incidents notables 

La résurgence de la religion parmi les jeunes générations mais aussi l’évolution quant à la perception de la laïcité amènent parfois certaines difficultés concernant son respect et sa compréhension. 

« Près d’un lycéen sur deux du secteur public (48%) rapporte avoir déjà observé des élèves contester le contenu même des enseignements au nom de leurs convictions religieuses », rapportait ainsi une enquête Ifop publiée en décembre 2021. Depuis, le phénomène semble même s’être accentué.

« Quand cela nous arrive, on prend le temps de discuter avec l’élève pour comprendre ce qui l’a conduit à faire ça », commence Nicolas Boudeele, qui enseigne l’Histoire-Géographie depuis près de 20 ans.  

Une discussion peut être engagée avec les parents. Les faits majeurs sont rapportés au chef ou à la cheffe de l’établissement, qui s’en réfère au rectorat si nécessaire.  

« Le nombre de faits signalés dépend des principaux et de leur politique, mais les cas les plus graves sont remontés par tout le monde », reprend l’enseignant.

« Dans notre établissement, ces incidents sont certes plus récurrents, mais se cantonnent tout de même à une minorité d’élèves », nuance ensuite Nicolas Boudeele avant d’ajouter : « Il ne faut pas non plus oublier que ce sont des ados. Quand on demande après coup une explication à ceux qui ont contesté ou se sont opposés à regarder certaines choses, ils avouent parfois avoir voulu se faire remarquer ».

Et des remises en cause plus insidieuses

Il y a les incidents à fort retentissement qui mettent tout le monde d’accord. Mais, il y a aussi des comportements plus compliqués à cerner. Plutôt que de s’exprimer tout haut sur la question, des élèves préfèrent jouer la carte du silence. Une double peine pour les professionnels de l’éducation qui sont alors dans l’impossibilité de fournir un contre point de vue.

« Certaines familles disent à leur jeune de ne pas écouter ce que disent les profs, que ce n’est pas la réalité. C’est peut-être le plus compliqué car ce sont des élèves qui en classe se ferment. On ne peut pas échanger avec eux pour connaître leurs arguments et contre-carrer leur vision des choses », regrette Nicolas Boudeele.  

Cette forme de silence n’est pas inconnue à Stéphane Aurousseau. « Lors d’une intervention, il manquait plus de la moitié de la classe », déplore-t-il. Des absences qui en disent parfois long sur les tensions qui règnent autour de ce sujet. « Je me suis même demandé si j’allais réellement aborder toutes les questions pour lesquelles il était venu », complète-t-il.

Là sont les dégâts causés par ce genre de situation. Craignant le passage du silence aux vives réactions de la part de ceux dont les idéaux sont bousculés, de plus en plus d’acteurs du milieu admettent se censurer quant à ces sujets.

« Il y a des profs qui refusent d’aborder la laïcité avec les élèves, que ce soit par une leçon ou pour rebondir sur des faits d’actualité. C’est une peur motivée par un contexte sociétal, mais qui n’est pas complètement rationnel. Certains se censurent dans des endroits considérés comme plus calmes, quand d’autres ne le font pas dans des secteurs à priori plus à risques », assure Stéphane Arousseau.

De multiples confusions

Laïcité, un mot connu de tous mais qui fait l’objet de tant de quiproquos. Apprendre de quoi il s’agit pour savoir de quoi l’on parle est fondamental. En définir les contours, c’est se prémunir contre de potentielles confusions qui induirait des débats contre-productifs.

« En 6ème, les élèves n’ont aucune idée de ce que c’est. Pour eux, c’est juste un concept pour les empêcher d’exercer leur religion normalement. Il y a pleins de choses à déconstruire. La première année de collège, on enseigne la définition, et en 5ème, l’historique. En quatrième on aborde les débats politiques autour de cette notion », explique Nicolas Boudeele.  

Même regard pour Stéphane Aurousseau, qui commence toutes ces interventions en réexpliquant ce terme. « La définition donnée est souvent incomplète », détaille-t-il.

Un éclair passe dans ses yeux. Lui revient rapidement en tête ce moment où il se trouvait en situation de sensibilisation. Il se tenait devant un groupe de jeunes de 18 à 25 ans en Service Civique.

« C’était un groupe assez ouvert car multiculturel. Pourtant quand je leur ai demandé de définir la religion, ils se sont cantonnés à l’idée d’intimité convictionnelle. Je les ai surpris en leur répondant que leur définition n’était que parcellaire. Se limiter à ça, c’est omettre toute la dimension politique. La religion c’est aussi un dogme ayant des prétentions sur la sphère sociale. La séparer de l’État, c’est éviter son utilisation comme instrument de pouvoir. On ne peut pas bien comprendre le principe de laïcité si cette idée n’est pas intégrée », conclut Stéphane Aurousseau. Ce constat, il le fait également chez les adolescents.   

Mais c’est quoi au juste ?

En quelques mots, la laïcité c’est un principe républicain qui garantit la liberté de culte et l’égalité des citoyens quelle que soit leur religion. Mais également la neutralité de l’État et la séparation du politique et du religieux. La loi 1905 de séparation de l’Église et de l’État est d’ailleurs considérée en France comme son socle.

Ce qui rend la laïcité si complexe à traiter et comprendre, c’est sans doute son interprétation fluctuante au fil du temps. Ferdinand Buisson, l’un de ses premiers théoriciens, la considérait déjà comme « un lent travail des siècles ». La loi de séparatisme datant d’août 2021 et l’interdiction de l’abaïa dans les écoles en septembre dernier en sont bien des exemples.

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