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La Revue nationale stratégique 2025 esquisse un nouveau cap pour la défense française

Lors de ses vœux aux armées en date du 20 janvier dernier, Emmanuel Macron avait déjà indiqué vouloir redéfinir les contours de notre défense globale. Le 13 juillet, il a fini par pleinement l’évoquer dans son discours aux Armées. Un plan, quatre priorités et onze objectifs stratégiques : à l’horizon 2030, la France se donne pour mission de proposer une feuille de route claire en matière de défense et de diplomatie.

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Trois Rafales de la mission PEGASE 2022, avions au service de l'Armée de l'Air et de l'Espace. © Louhane Pellizzaro
Trois Rafales de la mission PEGASE 2022, avions au service de l'Armée de l'Air et de l'Espace. © Louhane Pellizzaro

À l’occasion de la fête nationale, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDN) a publié par l’impulsion du Président de la République la Revue nationale stratégique 2025 (RNS 2025). Complétant les travaux réalisés en 2022 au début de la guerre en Ukraine, l’actualisation de ce document doctrinal prend particulièrement en compte la capacité de la France à imposer sa souveraineté et à garantir sa résilience dans un contexte accru de conflictualité avec la Russie. Présentée comme une feuille de route, la Revue propose des actions pour assurer “la défense globale du pays et du réarmement, y compris moral, de la nation” en lui dessinant ses quatre grands axes de défense, de protection, de dissuasion et de stabilité.

Réduire la propagation des menaces et des conflits

La Revue nationale stratégique 2025 dresse un constat sans détour : en détaillant l’évolution des menaces et des risques pesant tant sur la France que sur l’Europe et en établissant une typologie de celles-ci, le document pointe du doigt les affinités géopolitiques entre la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord qui alimentent l’expansion critique de la multiplicité des offensives autour du globe. Malgré l’omniprésence de l’OTAN – qui reste à ce jour la seule organisation en mesure de faire collectivement face à un conflit majeur en Europe –, les menaces internationales remettent en parallèle sur le devant de la scène la question de l’autonomie stratégique des pays européens. Face à elles, la France et les Européens doivent développer leurs capacités à mieux se défendre et à dissuader d’autres acteurs étatiques de mener des agressions sur le continent – notamment par des moyens communs. 

Bien que le contexte stratégique établi par la RNS 2025 repose majoritairement sur le rôle central détenu par la Russie dans la diversité des pressions et agressions exercées à l’encontre d’une pléthore d’États, les menaces exercées par d’autres acteurs étatiques demeurent encore et toujours multiples sur le plan international. L’intensification des actions hostiles d’intimidation, des cyberattaques, des sabotages et des manipulations d’information par la Russie sont certes au coeur des réflexions stratégiques, mais sont aussi à prendre en considération dans les menaces à venir à l’horizon 2030 envers l’Europe:

  • la réduction du soutien américain depuis l’élection de Donald Trump,
  • le risque sécuritaire posé par l’Iran au Moyen-Orient,
  • l’activisme de la Chine en rivalité avec les États-Unis pour devenir la première puissance mondiale en 2049,
  • la possible multiplication des théâtres de crise dans la zone indopacifique – avec notamment le développement par la Corée du Nord de ses armes nucléaires
  • la compétition généralisée entre puissances rivales sur le continent africain.

En constituant des défis majeurs en termes de sécurité et de défense nationale et en alimentant l’instabilité d’un monde en quête de paix, nul doute sur l’impact que toutes ces déstabilisations géopolitiques pourraient avoir sur le territoire français et sur l’urgence d’une vigilance davantage renforcée. Ces facteurs sont autant d’éléments factuels qui démontrent la nécessité de la réflexion portée par la RNS 2025 au sujet de l’évolution de l’outil de défense français – en particulier dans le cadre de l’autonomie stratégique européenne –, ainsi que des alliances du pays suivi du renouvellement de ses partenariats. 

Intégrer les enjeux de sécurité posés par l’international est une chose, mais les menaces nationales en sont aussi une autre. Si les menaces portées par d’autres acteurs étatiques constituent un danger majeur pour la stabilité du pays, d’autres à l’échelle purement nationale peuvent également constituer des facteurs de déstabilisation et fragiliser tant l’économie que la cohésion nationale. Avec le retour de la menace djihadiste, le développement de la criminalité organisée, la généralisation des attaques cybercriminelles ainsi que la multiplication des phénomènes de contestation violente et des stratégies agressives d’attaques hybrides, les objectifs fixés par le document ne visent pas qu’à faire porter le chapeau au contexte géopolitique actuel, mais considèrent aussi ces enjeux sécuritaires nationaux.

À cela s’ajoutent des enjeux énergétiques, économiques et d’accès aux matières premières, dans un contexte d’effondrement de la biodiversité comme conséquence première du changement climatique.

Contre l’accélération de ces menaces, le chef de l’État a annoncé une décision structurante pour l’avenir stratégique du pays : dès 2027, le budget des armées se verra doubler, entraînant avec lui un effort inédit permettant de garantir la sécurité de la Nation suivi du renforcement de la crédibilité de l’Europe. Concrètement, une actualisation de la Loi de programmation militaire sera proposée à l’automne 2025, 64 milliards d’euros seront consacrés à notre défense en 2027 – soit le double du budget de 2017 (32 milliards d’euros) –, mais sera également déployé un effort supplémentaire de plus de 3,5 milliards d’euros dès 2026 et 3 pour 2027. 

Toujours pour affirmer son ambition stratégique face à l’instabilité croissante du monde et la maximisation des menaces, la RNS 2025 place onze objectifs structurant l’action de l’État, mobilisant les armées et engageant l’entièreté de la Nation au centre de son intérêt. Parmi eux, s’y trouvent : 

  1. Une dissuasion nucléaire crédible et indépendante
  2. Une Nation résiliente face aux crises
  3. Une économie capable de soutenir l’effort de guerre
  4. Une puissance cyber renforcée
  5. Un pilier européen de défense dans l’Alliance atlantique
  6. Une Europe de la défense plus autonome
  7. Une diplomatie de défense plus active
  8. Une autonomie stratégique dans l’analyse et la décision
  9. Une capacité renforcée dans les champs hybrides
  10. Des armées prêtes à gagner la guerre avant la guerre
  11.  Une excellence technologique et scientifique souveraine

Dans l’ensemble, la RNS 2025 permet à la France d’afficher clairement son ambition d’être prête à affronter un éventuel conflit majeur à l’échelle européenne d’ici 2030. D’une part, son aspiration majeure repose sur sa capacité de faire face et remporter un quelconque conflit avec l’appui de ses alliés et partenaires, mais également en étant en mesure de gérer les conséquences d’actions déstabilisatrices pouvant se produire sur le territoire national.

Menaces et guerres “hybrides” au coeur des préoccupations stratégiques

En 2022, la Revue évoquait “un monde de tensions” en mettant l’accent sur les menaces agressives de la Russie depuis l’intensification du conflit russo-ukrainien – trois ans plus tard, elle s’étoffe en raison de l’alourdissement des conflits et des menaces, visant la multiplication des guerres dites “hybrides”. Sans avoir à tirer un coup de fusil, la particularité des menaces hybrides actuelles se trouve dans leur capacité à inscrire la pression exercée sur un pays cible dans une nette intimidation se situant en deçà du seuil des actions militaires. Au-delà des opérations traditionnelles, il s’agit de toucher l’entièreté d’une société afin de rendre impossible les réactions de l’État “ennemi”. À coups de claviers, de câbles sectionnés et de récits trafiqués, certains orchestrent une guerre de l’ombre dans l’unique but de faire vaciller la stabilité d’un pays en attaquant ses nerfs vitaux – communication, énergie, économie – tout en soufflant sur les braises de la discorde interne. À cet égard, la réponse apportée par le document face à la modernisation de ces attaques réside avant tout dans la protection et la mobilisation. La coordination public-privé est elle aussi essentielle pour garantir la détection et la neutralisation des menaces avant même que celles-ci ne prennent effet. 

Malgré la diversification des attaques, la “stratégie hybride” exercée par les acteurs de ces menaces ne repose pas uniquement sur des actions indirectes, mais aussi sur une phase militaire. À juste titre, la RNS 2025 prend soin de formuler sa propre définition : “Une stratégie hybride désigne pour la France le recours par un acteur étranger à une combinaison intégrée et volontairement ambiguë de modes d’actions militaires et non militaires, directs et indirects, légaux ou illégaux, difficilement attribuables”. Seulement, les actions “hybrides” deviennent paradoxalement clandestines ou infra-militaires, et perdent de leur sens initial défendu par ce même document. L’Institut Montaigne propose de substituer à ce concept celui de “conflictualité du temps de paix” afin de correctement désigner l’agressivité de ces actes inframilitaires. 

Si l’hosilité de ces actions se déroulant en temps de paix n’ont pas vocation à être couplées à des opérations militaires, elles n’en demeurent pas moins cruciales pour la stabilité de l’État. L’usage dérivé de la Revue produisant des contresens au sujet des guerres hybrides, considérer ces actions relève donc avant tout d’une stratégie de sécurité nationale visant à faire intervenir des moyens extérieurs en temps de paix, et non purement militaire. 

Même si le document se heurte à quelques contradictions envers la définition qu’il apporte aux actions hybrides, il n’en demeure pas moins que leur croissance mène à reconsidérer la stratégie de défense française et européenne en pensant la guerre de manière plus réaliste qu’en 2022. Mais à trop vouloir la remporter – dès lors qu’elle dispose des moyens nécessaires pour la mener à bien –, la France ne parvient toujours pas à renouveler concrètement ses orientations stratégiques. L’actualisation de la revue dresse plus un constat des menaces qu’une modernisation et un renouvellement stratégique face à la polyvalence des actions hybrides. Sans trop détailler, la Revue affirme plutôt que la France sera prête “matériellement et moralement, pour prévenir, faire face et gagner avec ses alliés et partenaires une guerre majeure de haute intensité dans le voisinage de l’Europe” d’ici 2030. 

Dompter les divisions pour lever la Nation 

Entre rivalités systémiques et persistance des menaces hybrides, le gouvernement affirme que la sécurité de la France doit redevenir l’affaire de la Nation dans son ensemble, et non uniquement celle du seul appareil militaire. Le pari de la RNS 2025, en s’orientant vers une tentative de revitaliser un sentiment d’appartenance national fragilisé traversant les fractures sociales et la perte du sens collectif animés par le doute civique, relève d’une question d’incarnation durable d’un récit national commun. La volonté est assumée : le document entend faire émerger un véritable modèle de défense partagée, s’appuyant sur des viviers de citoyens engagés, prêts à apporter leur implication dans la sécurité collective du pays. 

Afin de structurer l’engagement dans l’optique d’ancrer la défense dans les territoires, le gouvernement entame une profonde transformation de la Journée défense et citoyenneté (JDC) s’adressant aux plus jeunes. Un triptyque est proposé via une interface numérique pour orienter les bénéficiaires du dispositif : la réserve de sécurité nationale, le service de sécurité nationale, ou encore un vivier de bénévoles et volontaires. Ces trois parcours d’engagement doivent permettre de construire une “nation résiliente” par une accessibilité et une lisibilité de l’engagement tant accrues que efficaces au service de l’intérêt général. Récemment annoncée, la nouvelle formule “militarisée” de la JDC sera progressivement dispensée sur l’ensemble du territoire métropolitain à l’automne, avant d’atteindre les outre-mer d’ici 2026. En s’inscrivant dans le contexte de durcissement de la conflictualité dans le monde, cette journée se veut désormais non plus instructive mais immersive : dès la rentrée, les jeunes concernés de 16 à 25 ans auront droit à un programme organisé autour de la journée type d’un soldat. De la cérémonie de lever de couleurs à La Marseillaise, les bénéficiaires du dispositif deviendront également lecteurs de la charte des droits et devoirs du citoyen français, avant de passer à des activités plus militarisées, telles que du tir sportif laser, des jeux de stratégie, un repas autour d’une ration de combat, l’expérimentation du métier de militaire via la réalité virtuelle, et plus encore. Adieu les diaporamas et quizz : la décision de faire de la JDC une passerelle assumée vers le recrutement amorce un chemin inédit. 

Dans la droite ligne de la RNS 2025, l’État mise désormais sur une territorialisation assumée de l’effort national. Les départements sont appelés à devenir le véritable pivot de cette mobilisation, orchestrée par une Garde nationale entièrement repensée. Cette dernière aura pour mission de fédérer sous une même bannière les multiples dispositifs de réserve, de volontariat et de bénévolat existants. Pour fluidifier cet écosystème encore morcelé, un système d’information unifié sera déployé, garantissant une gestion coordonnée des ressources humaines engagées. En complément, un guide national des réserves et du bénévolat sera mis à disposition afin d’orienter efficacement chaque volontaire vers la structure qui correspond le mieux à ses compétences et à sa disponibilité. Ces nouvelles briques visent à lever les obstacles juridiques et administratifs qui freinent encore l’engagement citoyen, et à donner à la mobilisation nationale l’ampleur et la réactivité qu’exigent les enjeux de défense et de résilience du pays.

Prévues pour 2026, les réserves militaires connaîtront elles aussi des évolutions majeures comprenant tant une montée en puissance de leurs effectifs que du nombre de jours d’activité par réserviste. Leurs missions devront aussi s’élargir, avec une priorité donnée à la protection du territoire national, au soutien logistique et à l’appui des opérations extérieures. En parallèle des réserves opérationnelles traditionnelles, la Direction générale de l’armement (DGA), en lien avec les acteurs de la base industrielle et technologique de défense (BITD), prévoit de faire naître une réserve industrielle de défense. L’objectif principal résiderait dans le maintien des chaînes de production stratégiques en période de crise.

Outre la militarisation de la société française, le texte vient mettre l’accent sur la nécessité de diffuser une culture de la résilience à l’échelle nationale. Cette année, le gouvernement diffusera un guide de résilience à destination de la population qui rénovera les dispositifs d’information sur les menaces, modernisera les canaux de communication et introduira des modules sur les enjeux de défense dans les cours d’éducation civique. Parallèlement, les collectivités territoriales seront chargées d’identifier les compétences humaines et économiques présentes sur leur territoire – qu’il s’agisse d’individus, d’entreprises ou d’associations – et actualiseront également leurs plans de sauvegarde. Pour les accompagner, l’État renforcera son soutien en modernisant les centres opérationnels et en conférant aux préfectures un rôle accru dans la protection de la sécurité économique et la lutte contre les ingérences.

D’une stratégie de défense nationale à la sécurité économique

Malgré la pluralité de la conflictualité s’invitant sur tous les champs de bataille qui soient, la défense du territoire français ne se joue plus uniquement au front, mais aussi dans les start-ups, les laboratoires, les chaînes logistiques ou encore les conseils d’administration. Alors que les tensions géopolitiques s’intensifient tant aux frontières de l’Europe que dans les espaces hybrides, l’actualisation de la Revue place au centre de son intérêt une nouvelle priorité : celle de protéger le tissu industriel, technologique et scientifique national face aux menaces extérieures. La condition nouvelle d’une sécurité nationale garantie émanant de cette doctrine stratégiquement naissante repose de facto sur la sécurité économique. 

Ce repositionnement stratégique assumé s’appuie tout particulièrement sur la rénovation du dispositif interministériel de sécurité économique datant de 2019. Grâce à l’étroite coordination entre les ministères de l’Économie, des Armées, de l’Intérieur, de l’Enseignement supérieur et des Affaires étrangères, la mission de ce dispositif repose principalement sur une détection et une analyse accrues dans le but de contrer toute menace économique pouvant atteindre les intérêts vitaux de la Nation. Désormais, les autorités françaises ne voient plus seulement la souveraineté économique comme un enjeu de contrôle majoritaire. Même une participation minoritaire au capital, une alliance technologique bancale ou un projet commun trop déséquilibré sont considérés comme des failles potentielles dans l’armure nationale. Cette vigilance accrue s’inscrit dans une doctrine plus large : bâtir, pierre après pierre, une résilience à toute épreuve dans les secteurs stratégiques.

Puisque PME et start-ups sont à présent perçues comme des actifs de souveraineté à part entière, la stratégie nationale ne vise plus seulement les grands groupes. En prévoyant que ces entreprises puissent bénéficier de diagnostics de sécurité économique, de conseils juridiques afin d’utiliser la loi de blocage de 1968 interdisant aux entreprises françaises de transmettre certaines informations à des entités étrangères (sauf autorisation préalable de l’administration), mais également de financements sécurisés, la RNS 2025 fait naître un double objectif sur le front de la sécurité économique : protéger ces derniers des prédateurs étrangers tout en leur évitant d’avoir à trancher entre survie financière et souveraineté stratégique. 

Derrière les lignes de la RNS 2025, un tournant se dessine : la France ne se contente plus de protéger ses intérêts, elle entend désormais dissuader. Dissuader les concurrents de s’attaquer à ses fleurons industriels, les puissances étrangères de multiplier des audits jugés abusifs, mais également parvenir à enfin dissuader les investisseurs de se détourner de secteurs de défense sur la base de malentendus réglementaires. La sécurité économique n’est plus un simple bouclier, elle devient une politique publique prioritaire. En tant que levier d’influence, d’instrument de puissance et de vecteur de rayonnement, elle est désormais érigée au rang de fonction stratégique aux côtés de la dissuasion nucléaire, de l’intervention militaire et/ou de la cyberdéfense. 

Face aux divers tournants que la guerre adopte, moderniser cette Revue semblait être une priorité afin de s’ériger en pionnier de la stratégie de défense française. Faire de la France une Nation prête à affronter les défis de demain avec lucidité, unité et résilience, telle est l’ambition portée par la Revue nationale stratégique 2025 en proposant une France pleinement réarmée – y compris sur le terrain économique.

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