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Le duo Macron-Starmer uni pour réguler l’immigration clandestine

Durant ses trois jours de visite d’Etat, du 8 au 10 juillet, chez son homologue d’outre-manche, Emmanuel Macron a traité d’une multitude de sujets. Cependant, Ce n’est qu’au terme de cette visite, conclue par le 37e sommet franco-britannique, que leurs échanges ont véritablement résonné. De ce sommet, est né le projet d’un “programme pilote de retour des migrants”: un programme qui vise à réguler l’immigration clandestine grâce à un processus d’échange de migrants entre les deux pays. Bien que salué par les soutiens des deux dirigeants, l’accord n’a pas connu le même écho et est même apparu comme polémique auprès des multiples associations qui fournissent de l’aide et soutiennent les migrants massés dans les camps du Nord de la France. Au delà de la question de l’immigration, cet accord soulève des enjeux plus profonds et s’inscrit dans une lignée stratégique convenue entre les deux pays signataires.

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© Lou Bazart-Gelly

A l’heure où de tristes records tombent chaque année répertoriant les traversées clandestines de la Manche — entre nombre de morts par noyade croissants, accidents dramatiques et politiques de renforcement rendant les traversées toujours plus dangereuses — il devient impératif d’encadrer cette traversée et de proposer des voies d’entrée au Royaume-Uni légales et sûres. Pour autant, dans une volonté toujours plus marquée de la part du gouvernement britannique mené par Keir Starmer, de sélectionner les migrants légitimes d’entrer sur le territoire, de nouveaux dispositifs politiques de filtrage, de renvoi, et d’examen des demandes d’asiles voient le jour. Novateurs et salvateurs, ou à l’inverse destructeurs et déstabilisateurs de la situation de crise déjà en cours, comment ces politiques coordonnées entre Paris et Londres redessinent-elles la gestion des flux migratoires à travers la Manche ?

En amont du sommet, le dirigeant britannique avait déploré la situation actuelle dans la Manche, soulignant le fait que cela ne “pouvait pas continuer ainsi”. C’est donc dans une volonté de mettre fin aux traversées clandestines, dont le nombre a cette année battu des records, que Keir Starmer s’est présenté au sommet bilatéral se tenant le 10 juillet, pour présenter sa solution miracle. Cette solution se fonde sur un accord basé sur une politique du “un pour un”: pour chaque migrant arrivé clandestinement au Royaume-Uni repris par la France, Londres s’engage à accueillir un demandeur d’asile. En procédant de cette façon, le Royaume-Uni renverrait cinquante migrants par semaine vers la France, acceptant le même nombre de demandeurs d’asile. Bien qu’il s’agisse d’une estimation, ce chiffre est bien trop faible selon l’opposition. Alors que l’année 2024 établissait un record de demandes d’asile vers le Royaume-Uni avec plus de 108 000 dossiers déposés, la politique du “un pour un” permettrait l’arrivée légale de moins de 2500 personnes (soit à peine plus de 2% des demandeurs d’asile) sur le sol britannique dans l’année 2025 qui devrait de nouveau dépasser des records en terme de demandes d’asile. Il est important de souligner que s’ajoutent aux dossiers déposés en 2024, les dossiers déjà en cours de traitement, doublant ainsi au minimum le chiffre établi en 2024. De plus, sur les demandes formulées en 2024, plus d’un tiers ont été faites par des migrants ayant traversé clandestinement la Manche, puis renvoyés en France.

L’eldorado britannique se veut toujours plus inatteignable

Depuis son arrivée au pouvoir en juillet 2024, le Premier ministre britannique Keir Starmer multiplie les politiques anti-migrants : gel des avoirs des passeurs, création d’un fonds de 90 millions d’euros consacré à la lutte contre les trafiquants opérant dans la Manche, accords avec de nombreux pays afin d' »accroître le partage de renseignements », impossibilité pour les personnes arrivées de manière irrégulière au Royaume-Uni d’obtenir la naturalisation… Des mesures qui, pour l’heure, n’ont eu que peu d’effets sur les traversées de la Manche.

Avec l’arrivée de Bruno Retailleau au Ministère de l’Intérieur français en septembre 2024, Keir Starmer a su trouver un allié pour mener à bien sa politique de durcissement de l’immigration. Avec ce nouvel accord, dont les deux hommes sont parents, la barrière de la Manche se solidifie d’avantage, éloignant le Royaume-Uni de la portée de migrants en quette d’une nouvelle vie. La politique du “un pour un” implique également le fait que le Royaume-Uni délègue en réalité une partie du traitement des demandes d’asile à l’administration française, en vertu du règlement de Dublin qui stipule que si l’administration britannique peut prouver le passage d’un demandeur d’asile par un pays européen — ce qui est systématique pour arriver au Royaume-Uni —, la procédure d’examen de la demande est reléguée à ce pays. Cette procédure rallonge d’autant plus l’acceptation des demandes et tend à isoler le Royaume-Uni, rendant l’île pourtant si proche des côtes françaises (30 km) toujours plus inatteignable.

Vue de la côte britannique depuis le Cap Blanc Nez (France) © Lou Bazart-Gelly

Un accord conclu au nom de l’amitié franco-britannique

Premier dirigeant européen à effectuer une visite d’État depuis le Brexit, Emmanuel Macron a tenu à souligner le caractère exceptionnel de ce déplacement, placé sous le signe de l’amitié franco-britannique. Dans un contexte où les relations entre Londres et les institutions européennes ont été profondément redéfinies par la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le président français a voulu marquer la solidité du lien bilatéral outre manche, au-delà des tensions commerciales et diplomatiques. Soucieux de préserver cette entente historique, Emmanuel Macron a consenti à un geste sur le dossier sensible de l’immigration clandestine qui constitue un sujet persistant pour les deux pays tout autant touchés par la crise migratoire. Dans la déclaration officielle clôturant le 37ᵉ sommet franco-britannique, l’Élysée insiste sur la continuité et la coordination des efforts déployés de part et d’autre de la frontière pour freiner les traversées illégales, qu’il s’agisse des mesures déjà mises en place, de celles en cours ou des initiatives à venir.

L’accord signé lors du sommet vient renforcer un partenariat de longue date, souvent mis à l’épreuve mais toujours renouvelé et réaffirme la volonté des deux nations à coopérer étroitement face aux défis communs et leurs évolutions. Par ailleurs, cet accord s’inscrit dans la lignée du sommet placé sous le sigle de la coopération franco-britannique, renforçant l’aspect collégial de la politique à venir que ce soit en matière d’immigration, ou de défense nucléaire, un autre point important ressorti de ce sommet.

Un programme loin de faire l’unanimité

Les réactions face à cet accord ne se sont pas fait attendre. De tous bords, venant de l’opposition de gauche comme de droite dans les deux pays signataires, mais aussi des associations humanitaires, l’accord est loin de faire l’unanimité.

Pour le bord conservateur du paysage politique britannique, la barre des 50 demandeurs renvoyés est encore trop faible et la politique du “un pour un” ne leur convient pas. Leur souhait serait de renvoyer un plus grand nombre de migrants sans avoir à accepter les demandes d’asiles pour autant. Cette politique fermerait encore d’avantage l’île britannique à l’immigration, accordant l’asile à un nombre encore diminué de personne, bien loin des 2500 prévues par le récent accord.

A l’opposé, des associations comme la Croix Rouge britannique dénoncent le caractère “dangereux et inefficace” d’une telle mesure, qui pousserait les migrants à entreprendre des voyages toujours plus périlleux. Rejoints par Médecin sans frontières, qui juge ce projet absurde, et l’ONG Care4Calais, les bénévoles qui sont au contact permanent des migrants et des demandeurs d’asile insiste sur le fait que l’on parle de vies humaines et non pas de simples marchandises, que l’on peut renvoyer et échanger à sa guise. Ces associations pointent depuis déjà plusieurs années un problème plus profond: les politiques adoptées rendent les traversées toujours plus difficiles et périlleuses, le nombre de morts en mer bat des records chaque année, et pour autant, aucune politique prévoyant la mise en place d’une voie sûre et légale d’entrée au Royaume-Uni n’est en cours. Bien que les politiques tendent vers un durcissement de l’immigration, la solution se trouverait à l’inverse, selon les associations, dans un programme d’encadrement plus sécuritaire de la traversée.

Du côté de la gauche politique, l’alarme est tirée quant au fait que cela renforcerait les populistes britanniques comme français, qui tendraient à avancer des projets toujours plus “sordides” contre les migrants tentant de rejoindre le Royaume-Uni. Du côté français, c’est l’indignation des municipalités directement concernées par cet accord qui ressort. Le maire socialiste de Dunkerque, Patrice Vergriete a manifesté son désaccord avec cette nouvelle politique. Qualifiant déjà la gestion de la crise “d’absurde, inefficace et terriblement cruelle”, cet accord va selon lui à l’encontre du droit les migrants réussissant la traversée devant en principe avoir justement droit à l‘asile politique systématiquement. De son côté, la maire de Calais (UMP) s’est elle aussi insurgée contre cet accord, dénonçant notamment le fait qu’il n’y ait eu aucune consultation au préalable des maires du littoral tant concerné par la crise migratoire.

Beaucoup dénoncent également la volonté des deux dirigeants d’étouffer cette décision, conscients de la polémique engendrée par la signature de l’accord. Emmanuel Macron et Keir Starmer ont en effet voulu faire passer cet accord au second plan, derrière la signature d’un accord de coopération de défense nucléaire entre les deux pays. De plus, pour atténuer la polémique à venir, le dirigeant français a rappelé que cet accord devait encore passer la barre judiciaire des tribunaux français et européens. Malgré tous ces discours, les deux dirigeants ont plusieurs fois maintenu leur volonté de faire entrer cet accord en vigueur d’ici quelques semaines.

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