Des riverains et commerçants lassés
Située dans l’agglomération du Grand Chambéry (Savoie), la ville de Cognin, 6 264 habitants, fait face au trafic de stupéfiants. Comme dans tant d’autres communes et banlieues de villes moyennes françaises, ce type de délinquance se développe, bien qu’il soit moins médiatisé que le trafic dans les grands centres urbains. « Des échanges de petits sachets », « il y a souvent des voitures, [immatriculées] 13 et 69, les coffres sont ouverts et des échanges de sacs [ont lieu], voilà ». Bernard* semble presque habitué lorsqu’il évoque les activités des jeunes trafiquants du secteur. Selon Christophe, Cognin « est une commune tranquille » où il n’y a pas plus de trafic de drogue qu’ailleurs. Pour autant, la présence des dealers se fait de plus en plus ressentir depuis l’apparition de tags affichant les tarifs de la drogue sur les murs de la ville, une méthode déjà observée ailleurs en France. Cela révèle l’impunité des trafiquants de drogue qui cherchent à développer leur business et attirer de nouveaux consommateurs. Alors, au-delà du simple tag qui peut être effacé, cette impunité montre-t-elle une impuissance des autorités face au trafic de stupéfiants ?
Des répressions trop peu contraignantes
Pour Nadine, une commerçante des environs, il est clair qu’il n’y a pas assez de mesures pour mettre fin aux activités illicites dans la ville de Cognin. Les consommateurs et les dealers « sont tranquilles, […] ils sont pas gênés hein », explique t-elle, « on leur fait rien ». Concernant les patrouilles de police dans le secteur, Bernard déplore le fait qu’il y en ait « de moins en moins ». À l’inverse, d’autres comme Nadine et Christophe, remarquent que la « police passe plus souvent » dans le quartier pour « tourner un petit peu ».
Malgré tout, les dealers sont bien installés dans la commune. En témoigne cet affichage des tarifs dans le centre-ville et à proximité d’un collège. Les consommateurs représentent aussi une nuisance importante. C’est le cas à Cognin, comme en témoignent les vitrines brisées d’un commerce local. « Ils fument des joints tranquilles, si on leur dit quelque chose, voilà le résultat » explique Nadine. Les consommateurs de drogue jouissent donc, eux aussi, d’une certaine impunité et « dès qu’on les contrarie un petit peu, […] ils s’expriment comme ça » déplore Nadine.
De nouvelles problématiques
Cela fait plusieurs années que le trafic se développe dans les villes moyennes et leurs banlieues. Mais qui dit trafic dit aussi violence. Récemment, deux gendarmes ont été agressés à Libourne (Gironde). C’est un couple qui consommait et vendait du cannabis dans un immeuble de la commune qui en est à l’origine. Les nuisances sonores participent aussi à cette dégradation du climat social des villes. Même si leurs auteurs ne sont pas forcément des trafiquants. À Cognin, avant « il y avait moins de bazar le soir » explique Lisa. « Là il y a beaucoup d’enfants, de jeunes qui tournent dans Cognin, qui font péter des pétards à 23h, minuit » décrit-elle.
Finalement, la présence du trafic de drogue dans les petites et moyennes villes engendre les mêmes problèmes que dans les grands centres urbains comme Paris ou Marseille. Nadine constate, elle aussi, un changement. « Plus de 30 ans que je suis à Cognin, ça a bien changé hein, on se sent moins en sécurité c’est sûr ». L’insécurité, voilà un terme de plus en plus utilisé dans la sphère politique depuis quelques années. Il désigne notamment le ressenti des citoyens face à l’augmentation des violences sur les personnes. Mais la question du trafic et des violences qui en découlent n’est toujours pas réglée à Cognin. Pour Bernard, le trafic est lié à d’autres problèmes plus structurels: « avec la récession, avec l’inflation, les gens ont besoin d’argent et ils trafiquent n’importe quoi et n’importe quand ».
L’évolution de ce commerce face aux outils numériques
Ce sont aussi les méthodes des dealers qui ont changé et qui posent question. Bien sûr, ces tags affichant les tarifs ne sont pas nouveaux à l’échelle de la France. En 2018, France 3 en faisait par exemple état à Toulouse. Mais ce type de publicité soulève deux problèmes. Le premier concerne l’impunité des trafiquants qui affichent leurs activités aux yeux des autorités mais aussi des riverains. Lisa explique qu’elle n’a « pas envie de savoir qu’ils sont là » en parlant des dealers. Selon elle, « la ville se démène à […] enlever [les tags] et à chaque fois ils en remettent ».
Les réseaux sociaux constituent le second problème. Les dealers n’hésitent pas à créer des comptes sur la plateforme Snapchat et à les afficher sur les murs, au-dessus des tarifs. Cela leur permet d’être en contact avec les consommateurs et de vendre leur marchandise. Selon un rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), depuis 2015, il y a un développement des « cocaïne call centers », qui proposent aussi du cannabis et de l’héroïne. C’est une forme de livraison à domicile qui permet aux consommateurs de ne pas se déplacer. Par la même occasion, cela permet aux trafiquants d’étendre leur audience et donc leur clientèle. Le trafic de drogue prend de l’ampleur grâce aux supports numériques aussi bien dans les métropoles que dans les villes à la démographie moins importante comme Cognin ou Libourne. On assiste donc à une véritable ubérisation du trafic de stupéfiants.
Face au renforcement de la place du trafic de drogue dans ces villes, une question sociétale subsiste toujours: comment y mettre fin pour que la population n’ait plus à subir ces nuisances multiples ?
*Tous les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.