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Quand la guerre efface l’Histoire : le patrimoine mondial en péril au Moyen-Orient ?

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Site de Palmyre en Syrie

Du 21 au 31 juillet 2024, s’est tenu à New Delhi en Inde la 46e session du Comité du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Ce même comité a décidé d’inscrire le site du monastère Saint-Hilarion/ Tell Umm Amer en Palestine conjointement sur la Liste du patrimoine mondial et sur la Liste du patrimoine mondial en péril.
Le monastère antique de Tell Umm Amer, reconnu comme l’un des plus vieux établissements religieux du Proche-Orient. Il a été établi par Hilarion, dit Hilarion de Gaza ou Hilarion le Grand et servit de refuge à la première congrégation monastique de la région.
Il devint un lieu d’interactions spirituelles, intellectuelles et commerciales. Un témoin de la richesse des établissements religieux isolés durant la période byzantine. 

Le Monastère de Saint-Hilarion, Centre for Cultural Heritage preservation, 2023

En raison des dangers liés au conflit actuel dans la bande de Gaza, qui mettent en péril ce lieu historique. Le Comité du patrimoine mondial a activé la procédure spéciale d’enregistrement rapide conformément aux dispositions de la Convention du patrimoine mondial.
Selon la Convention, les 195 États signataires s’engagent à ne pas entreprendre d’actions pouvant nuire à ce site classé, et à soutenir sa sauvegarde.
Son inscription sur la Liste du patrimoine mondial en péril permet l’accès à une aide technique et financière internationale accrue, en vue de sa protection et, si besoin, de sa restauration. 

Le Moyen-Orient, berceau de civilisations millénaires, est profondément marqué par les conflits. Mais concentre également une grande partie des sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril. De la Syrie à l’Irak, du Yémen à Gaza, les sites historiques subissent les ravages de la guerre. 

Effacer pour dominer : détruire les symboles d’un passé divers et ancien

Certains sites du patrimoine mondial n’ont pas seulement été des victimes collatérales de la guerre : ils ont été délibérément pris pour cible. Ce ne sont pas des dommages secondaires, mais des destructions planifiées, symboliques, soigneusement mises en scène. En Afghanistan, la vallée de Bâmiyân, inscrite sur la Liste du patrimoine mondial en péril en 2003, a vu disparaître en 2001 deux gigantesques statues de Bouddha creusées dans la falaise depuis le VIe siècle. Les talibans les ont fait exploser devant les caméras, au nom de leur vision iconoclaste de l’islam.


En Syrie, le site antique de Palmyre, classé en 2013, a été investi par Daech en 2015. Temples, arcs monumentaux, tombeaux, statues : tout ce qui incarnait l’héritage gréco-romain, perse ou mésopotamien a été méthodiquement démoli. Là encore, la destruction a été filmée, diffusée, scénarisée. En Irak, Hatra, ville fortifiée d’époque parthe inscrite en 2015, a subi le même sort.

Derrière ces actes, une logique de terreur et de réécriture historique. Ces sites incarnaient un passé non conforme à l’idéologie radicale des groupes extrémistes. Un passé païen, impérial, multiculturel, fait de croisements religieux et politiques. En les effaçant, les auteurs de ces destructions entendent imposer un nouveau récit, dans lequel toute trace d’altérité ou de complexité est éradiquée. La destruction devient une arme de propagande.

La statue du Bouddha Dipankara (un des Bouddhas de Bâmiyân) avant et après sa destruction en 2001.

Patrimoine abandonné : quand l’effondrement de l’État devient un risque culturel

D’autres sites du Moyen-Orient ne sont pas détruits par des bombes ou des idéologies radicales, mais sombrent lentement dans l’oubli. Ici, le péril ne vient pas d’une attaque ciblée, mais d’un abandon progressif, souvent lié à l’instabilité politique, à la faiblesse des institutions ou à l’absence de politiques de préservation. Le patrimoine devient alors une victime silencieuse, négligée, reléguée au second plan dans des contextes de crise.


En Égypte, le site paléochrétien d’Abou Mena, classé en 2001, est gravement menacé par la montée des eaux souterraines. C’est la conséquence directe d’aménagements agricoles mal encadrés. Les autorités locales manquent de moyens et de coordination pour enrayer cette lente destruction. En Irak, deux anciens centres impériaux, la ville abbasside de Samarra et la cité assyrienne d’Assur (Qal’at Cherqat), toutes deux inscrites en 2003. Ces dernières ont été affectées par l’occupation militaire, les pillages, l’érosion et la négligence administrative, dans un pays fragilisé par deux décennies de guerre.


En Libye, les sites de Cyrène et de la vieille ville de Ghadamès, classés en péril en 2016, illustrent les conséquences culturelles du chaos post-révolution. Le premier, ancienne cité grecque puis romaine, a souffert de fouilles clandestines. Le second, joyau de l’architecture saharienne, a été partiellement déserté par ses habitants, exposant les bâtiments traditionnels à la ruine.

Ces exemples révèlent un autre type de menace, moins visible, mais tout aussi alarmante : celle de la dégradation lente et continue. Elle est causée par l’absence de gouvernance stable, la désorganisation institutionnelle et la relégation du patrimoine au bas de l’agenda politique. La destruction n’est pas ici spectaculaire, mais insidieuse. Et c’est justement cette banalisation du péril qui rend ces pertes culturelles encore plus inquiétantes. Le patrimoine, laissé à lui-même, s’effondre dans le silence, dans un oubli collectif. 

Les ruines de l’ancien monastère à Abou Mena en Egypte.

Site archéologique de Cyrène en Libye. 
Auteur : Giovanni Boccardi - Copyright : UNESCO
https://whc.unesco.org/fr/documents/109022
Site archéologique de Cyrène en Libye.

Mémoire et conflits : faut-il reconstruire ce que la guerre a brisé ?

Dans certains cas, la guerre ne frappe pas seulement les monuments isolés. C’est aussi le tissu sociétal vivant, habité, ancré dans une mémoire quotidienne. Au Yémen, la vieille ville de Shibam, inscrite en 2015 et surnommée le « Manhattan du désert », a vu ses spectaculaires tours de terre crue menacées par les bombardements et l’abandon. Plus récemment, les hauts lieux du royaume de Saba à Marib, ajoutés à la Liste en 2023, ont été gravement endommagés par les combats. Alors qu’ils témoignent d’une civilisation vieille de plusieurs millénaires. En Libye, Ghadamès, cité-oasis exceptionnellement préservée, a été partiellement vidée de ses habitants après les affrontements de 2011, exposant ses structures en adobe à la ruine.

Ancienne ville de Shibam au Yémen.

Ces sites soulèvent une question essentielle et souvent négligée : faut-il reconstruire ce que la guerre a détruit ? Restaurer à l’identique peut permettre de préserver l’image d’un patrimoine, mais cela risque aussi de nier le traumatisme collectif ou de figer la mémoire dans une version idéalisée du passé. À l’inverse, laisser les ruines en l’état peut incarner la vérité de l’histoire, mais au risque d’un oubli progressif, voire d’une instrumentalisation politique.

Dans ces contextes, la reconstruction ne relève pas seulement de l’architecture : elle devient un acte politique, mémoriel et culturel. C’est une bataille pour définir ce qui doit être transmis, et comment l’histoire doit être racontée.

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