Versailles… Rien que ce mot, et déjà l’imaginaire s’enflamme. Ce mot à lui seul convoque les souvenirs de l’Histoire de France dans ce qu’elle a de plus fastueux, de plus éclatant. Il évoque les dorures à la feuille, les miroirs infinis, les jardins sculptés au cordeau, les bals somptueux et les intrigues de cour. Mais Versailles, ce n’est pas seulement une œuvre d’art figée dans le marbre et l’or du Grand Siècle. Ce nom ne désigne pas qu’un simple château, aussi majestueux soit-il. Non, il incarne bien plus que cela : une mémoire vivante, un symbole de la transformation du pouvoir français, du faste monarchique à la stabilité républicaine.
Car si Versailles fut pendant longtemps le cœur battant de la monarchie absolue, le lieu où s’incarna la puissance d’un roi divin, il fut aussi, contre toute attente, le berceau d’un régime politique aux antipodes de ce qu’il représentait. Eh oui, Versailles fut, il y a 150 ans, le berceau de la Troisième République.
La IIIᵉ République… la République à la royale !
Nous sommes en 1870. La France traverse l’une des plus graves crises de son Histoire contemporaine. L’Empire de Napoléon III vient de s’effondrer après la défaite cuisante face à la Prusse. L’Empereur, dernier monarque de France, est capturé à Sedan. L’Empire disparaît avec lui, mais la France, elle, doit continuer. La République est proclamée dans l’urgence, dans un climat d’incertitude et de tensions sociales profondes.
Dans ce contexte troublé, le pouvoir politique cherche un refuge. Paris est instable, bientôt mise à feu et à sang par les événements de la Commune. Il faut trouver un lieu sûr, à l’écart des insurrections, mais aussi porteur d’un poids historique fort. Le choix se porte alors sur le Château de Versailles.
Là, dans l’aile du Midi — anciennement réservée aux appartements des courtisans sous l’Ancien Régime — s’installe l’Assemblée nationale. Un nouveau régime politique prend forme dans ces murs qui avaient vu défiler les favoris et les favorites du Roi, là même où s’étaient jouées tant de décisions sous l’œil absolu de Louis XIV. C’est dans cette aile du château que s’élabore, pierre après pierre, loi après loi, discours après discours, l’édifice républicain. Versailles est le lieu d’un étrange paradoxe, car quel lieu aurait pu paraître plus antinomique à l’idée de République que le palais de la monarchie absolue ? Ce château qui cristallisa la haine populaire, notamment à travers la figure tragique de Marie-Antoinette, devient désormais le théâtre du pouvoir populaire. Une ironie de l’Histoire, ou peut-être un trait de génie politique : faire triompher la République là où les Rois régnaient en maîtres.
Mais ce choix ne fut pas uniquement stratégique. Il fut aussi profondément symbolique. Choisir Versailles, c’était affirmer une volonté de tourner la page, mais sans renier l’Histoire. C’était exprimer que la République pouvait s’enraciner dans les lieux mêmes du passé royal, non pas pour le glorifier, mais pour montrer que la continuité nationale dépasse les régimes. C’était incarner la résilience politique de la France, capable de se réinventer, même dans ses décors les plus chargés de souvenirs.
Adolphe Thiers, premier président de cette Troisième République, y pose les bases d’un régime parlementaire, aux côtés de figures politiques majeures du XIXe siècle. Jusqu’en 1879, c’est dans ce château que sont élus les Présidents de la République. Des lois fondamentales y sont votées. La République y trouve son souffle, sa voix, son équilibre.
Et aujourd’hui encore, ce lieu chargé d’Histoire n’a rien perdu de sa dimension politique. La salle du Congrès, aménagement moderne au sein de l’aile du Midi, accueille désormais les révisions constitutionnelles. C’est là, également, que le président de la République peut s’exprimer solennellement devant les deux chambres réunies. À chaque discours prononcé à Versailles, résonne l’écho d’une République qui s’ancre dans la profondeur historique, dans la longue durée du récit national.
150 ans de pouvoir républicain
À l’occasion du 150e anniversaire de cette page fondatrice, une exposition temporaire vient rappeler cette période méconnue. Elle met en lumière l’implantation progressive des institutions républicaines dans ces décors qui avaient autrefois ébloui les souverains. On y découvre comment les élus ont transformé un palais de roi en maison du peuple. On y mesure à quel point la République s’est appropriée ce lieu pour en faire un repère démocratique.
Ainsi, le Château de Versailles n’est pas seulement le monument d’un temps révolu. Il est un témoin vivant de notre capacité à évoluer sans renier notre héritage. Il incarne cette alchimie singulière entre rupture et continuité, entre mémoire et modernité.
Voulu par Louis XIV pour incarner la grandeur monarchique, le château accueille aujourd’hui les fondements de notre République. Ce renversement n’a rien d’un hasard, il nous rappelle que l’Histoire de France n’est pas une ligne droite, mais un fleuve aux méandres puissants. Versailles en est l’un des rivages les plus éloquents.