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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Au Soudan, Khartoum est sous les bombes

Mathis Lyko

Mathis Lyko

En parallèle de mes études en Relations Internationales à l'Université de Genève, je fais partie de l'équipe politique au sein de CS Actu.
Le 15 avril, des affrontements ont éclaté à Karthoum, capitale soudanaise, entre les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide. Plus que deux camps, ce sont deux hommes qui s’affrontent. Abdel Fattah Al-Burhan et Mohammed Hamdane Daglo dit « Hemeti ». Ils sont les têtes d’affiches du coup d’Etat de 2019 qui avaient renversé le pouvoir de Al-Béchir, en place depuis 1989, mais s’affrontent aujourd’hui. Sous le feu des bombes, 5 millions d’habitants tentent de fuir les combats, mais restent piégés. Quelle est la situation pour le moment ?

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Khartoum, Soudan, 22 avril 2023. © AFP Photo/Marwan Ali
Khartoum, ville assiégée

Depuis le 15 avril, la capitale soudanaise est sous le feu des bombes. D’un côté, celles de l’armée régulière soudanaise, dirigée par Al-Burhan, et de l’autre, celles des forces de soutien rapide (FSR) du général « Hemeti ». Le début des affrontements est le résultat de deux semaines de tensions entre les deux hommes, mais aussi de l’échec de l’intégration des forces de Daglo dans l’armée régulière. La ville concentre la quasi-totalité des combats du moment, outre bien sûr les régions en guerre depuis des années comme le Darfour. Pour le moment, les affrontements auraient fait selon l’OMS plus de 400 morts, pour près de 4000 blessés.

Il est cependant difficile de véritablement connaître la situation dans la capitale, les deux camps se livrant à une guerre de l’information importante. Ce qui est sûr, c’est que les combats ne se stoppent pas. Le week-end dernier devait pourtant se passer dans le calme. Un accord de cessez-le-feu ayant été trouvé pour les fêtes de l’Aïd. Mais celui-ci n’a pas du tout été respecté et les bombardements ont continué jusqu’à dimanche.  

Ces affrontements sont la conséquence de l’instabilité soudanaise de ces dernières années, mais surtout du coup d’Etat de 2019, qui a vu les deux hommes arriver aux portes du pouvoir.

Pour comprendre le contexte actuel, il semble nécessaire de faire un retour sur l’histoire du pays, de son indépendance à l’arrivée au pouvoir de la junte.

Le Soudan, une histoire d’instabilité  

Le Soudan est depuis son indépendance en 1956, sujet à de nombreux troubles politiques. Entre guerres, coup d’Etats et tentatives de démocratisation. Dès la signature de l’indépendance, des tensions surviennent lorsque le gouvernement de Khartoum revient sur les promesses faites aux provinces du Sud. S’en suit une guerre civile de 17 années entre le Nord et le Sud du pays, aujourd’hui République du Soudan du Sud.  

En 1965, et malgré la guerre en cours, le Soudan tente le pari de la démocratie avec l’organisation d’élections. Mais pas facile de construire sur des ruines et les différents gouvernements ne parviennent à mettre en place une constitution.

C’est dans ce flou politique qu’intervient le premier coup d’Etat d’une longue série, avec la prise de pouvoir de Gaafar Muhammad Nimeiry en 1969. Cet officier de profession, au pouvoir pendant 16 ans, joue avec l’instabilité durant tout son « mandat ». Il survit à un coup d’Etat en 1971, signe les accords d’Addis Abeba, mettant fin à la première guerre civile soudanaise, place dans le droit pénal le droit musulman ou encore révoque l’autonomie du Soudan du Sud, provoquant ainsi une seconde guerre civile.

Il est au final renversé par un second coup d’Etat en 1985, orchestré par Omar El-Béchir. Ce dernier restera au pouvoir pendant plus de 30 ans. Période durant laquelle il durcit le droit pénal, connaît la guerre au Darfour qui se tient encore aujourd’hui, les accords de paix de 2005 ou encore la création du Soudan du Sud. Il est lui-même renversé par un coup d’Etat en 2019, organisé par les deux hommes ‘du moment’, Al-Burhan et « Hemeti ».  

Le président du Soudan Omar El-Béchir au palais présidentiel de Khartoum, le 22 février 2019
PHOTO : REUTERS / MOHAMED NURELDIN ABDALLAH
Le Coup d’Etat de 2019

Ce coup d’Etat est l’élément principal d’explication des évènements en cours. Il a redistribué les cartes dans un pays géré d’une main de fer depuis plus de 30 ans par une dictature.

 Plus qu’une simple opération miliaire, le coup est la conséquence de 4 mois de manifestations inédites au Soudan. En ce début d’année 2019, la population descend dans la rue pour manifester notamment contre l’augmentation du prix du pain. Rapidement, le chef de l’Etat devient la cible des manifestants. C’est dans ce contexte que le 11 avril 2019, le pouvoir de El-Béchir est renversé par l’Armée.

Dès le lendemain, une junte prend le pouvoir avec à sa tête le général Al-Burhan. Celui-ci souhaite diriger le pays pendant deux années, avant la mise en place d’un gouvernement civil. Après un mois de négociation et de flou sur la question, l’armée accepte les revendications de l’ALC (Alliance des Forces de la Liberté et du Changement au Soudan, le parti investigateur des manifestations), de partager le pouvoir avec les civils. C’est ainsi qu’un conseil de souveraineté est mis en place le 20 août. Ce dernier est composé de 11 membres, formé par des généraux d’un côté et de civils de l’autre. Parmi ces membres se trouve bien sûr Al-Burhan et « Hemeti ». Au même moment, l’économiste Abdallah Hadock est nommé premier ministre du gouvernement de transition.

Cependant, après 1 an de gestion et de tentatives infructueuses de redresser le pays, le premier ministre est la cible d’un putsch organisé par des civils et des proches de Béchir. Celui-ci échoue mais Al-Burhan y voit un signe. Il ordonne la dissolution du gouvernement de transition et reste donc à la tête de l’Etat, suivi par son n°2 au sein du Conseil de Souveraineté, Mohammed Daglo  

Une guerre entre deux hommes

Qui sont ces hommes qui déchirent Khartoum depuis deux semaines ?

Leur trace se retrouve dès les affrontements au Darfour en 2003. C’est durant ce conflit que le général Al-Burhan, soldat de carrière, prend le contrôle de l’armée soudanaise dans la région. De son côté, Hemeti est le chef d’une milice arabe, la « Janjaweed », alors employée par le gouvernement soudanais contre les rebelles du Darfour. C’est sur cette milice que seront créées les Forces de Soutien Rapide. Les deux hommes collaborent déjà à l’époque mais rien ne les prédestine à diriger le pays.

Entre le Darfour et le coup d’Etat de 2019, les deux hommes montent respectivement dans leur carrière. Al-Burhan reste en poste dans les hauts rangs de l’armée de terre. Hemeti quant à lui, se rapproche du pouvoir. Al-Bechir fait même appel à sa milice pour faire contrepoids aux forces armées régulières afin d’éviter toutes tentatives de renversement par l’armée. C’est cette même tactique qui provoquera la chute de l’ex-dirigeant, renversé par les deux groupes armés en 2019, après une alliance de circonstance.
Pendant les deux premières années de gouvernance partagée, aucun signe de désaccord ne se fait voir. Mais le coup d’Etat de 2021 va raviver certaines tensions. En effet, Al Burhan décide entre autres de rétablir les islamistes dans leurs anciennes fonctions.

Des rivalités ethniques apparaissent aussi. Hemeti vient du Darfour, et cela ne plairait pas à certains proches de Al-Burhan. Mais difficile de savoir qu’elles sont réellement les dissensions entre les deux parties. Il se peut simplement que la recherche d’un pouvoir unique en soit la cause.

Quoi qu’il en soit, ces tensions amènent à des combats bien en court, que tentent de juguler les forces internationales.

A gauche Al-Burhan et à droite « Hemeti ». © AFP / ASHRAF SHAZLY
Les implications étrangères

Après une semaine d’affrontements, les puissances étrangères tentent à tour de rôle de faciliter un cessez-le-feu. Parmi ces acteurs, l’ONU, dont le secrétaire Général Antonio Guterres qui a lancé un appel à la trêve des combats. Il déclare le 20 Avril dernier, lors d’un point de presse après une réunion avec l’Union Africaine « lanc[er] un appel pour qu’un cessez le feu ait lieu pendant au moins trois jours, […] afin de permettre aux civils pris au piège dans les zones de conflit de s’échapper ». Cet appel au cessez le feu « doit être la première étape pour offrir un répit et ouvrir la voie à un cessez le feu permanent » a-t-il ensuite ajouté.

Les Nations Unies sont grandement épaulé par les Etats-Unis dans la recherche d’un cessez le feu. En effet, c’est bien la médiation américaine qui avait permis la garantie, non respectée, d’un arrêt des combats pour le week-end dernier.

Outre la volonté de stopper les combats, les puissances étrangères prennent le pas concernant leurs ressortissants. Parmi eux l’Espagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, et la France. D’après un communiqué publié sur Twitter par le ministre des Affaires étrangères, une opération était en cours ce week-end. Dimanche dernier, un second avion s’est envolé vers Djibouti portant à 200 le nombre de ressortissants français évacués de la ville.

Mais ce départ des forces étrangères n’est pas bon signe pour les 5 millions d’habitants de Khartoum. Privés d’eau courante et d’électricité, ils sont nombreux à craindre une recrudescence des violences après le départ des étrangers.

Les Nations Unies et les puissances étrangères restent également attentives sur la situation humanitaire et migratoire. Le Soudan n’est pas à l’abri d’une crise supplémentaire.

Une crise humanitaire et migratoire à craindre ?

Si le pays vit depuis des années dans des conditions de fragilité humanitaire, les récents affrontements ne vont pas arranger les choses.

A Khartoum, au cœur des combats, près de 80% des hôpitaux ont déjà dû fermer leurs portes. Que ce soit par manque de personnels, de matériel médical ou à cause de destruction causée par les bombardements. Plus inquiétant, il est quasiment impossible pour la population de quitter la ville. Les routes sont bloquées, les points d’accès bombardés …. Quelques personnes arrivent quand même à fuir au Sud et à l’Est de la ville, aidé par des réseaux WhatsApp où l’on s’envoi les itinéraires de fuite. Ceux-ci se dirigent vers le Sud du pays, le Darfour ou encore le Tchad, pays frontalier du Soudan. Cependant, la majorité de la population khartoumaise reste bloquée en ville.

Alors qu’adviendra-t-il des cinq millions d’habitants pris aux cœurs des combats ? Peuvent-ils tenir longtemps sans aide humanitaire ?

Il apparaît que leur situation va devenir de plus en plus tendue. Car en plus de la peur qu’instaure les bombardements quotidiens, les réserves alimentaires diminuent à vue d’œil, et l’approvisionnement se fait attendre.

Le Programme Alimentaire Mondial, en place au Soudan depuis de nombreuses années, voit son aide perturbée par les combats et déplore une violence qui peut faire basculer une grande partie de la population dans la famine.

Un cessez-le-feu pourrait permettre aux aides humanitaires de pénétrer dans la ville pour évacuer ou aider la population sur place. Cependant aucune des deux parties n’est pour le moment disposer à stopper les combats. C’est en ce sens que l’Onu à appeler les belligérants à des « pauses humanitaires » pour permettre des interventions de soutien. Mais là encore, pas de réponses positives pour le moment.

Que ce soit à Khartoum ou dans le reste du pays, il reste difficile de suivre avec exactitude les évènements.

La diplomatie parviendra-t-elle à faire entendre raison aux belligérants « ? Ou les combats sont-ils amenés à se poursuivre, voire à s’étendre dans le reste du pays ?

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