Un rejet historique et ses implications
Par 362 voix contre 192, les députés ont dit « non » à la première partie du budget. Ce vote négatif entraîne immédiatement le rejet de l’ensemble du projet de loi de finances, qui est transmis au Sénat dans sa version initiale. Cet envoi direct, sans débat sur la partie « dépenses » à l’Assemblée nationale, illustre une paralysie législative marquée. C’est la troisième année consécutive que les dépenses ne sont pas examinées par les députés, une situation qui fragilise encore davantage le processus budgétaire.
Le ministre chargé du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, a exprimé sa « désolation » face à ce rejet, tout en signalant que certaines mesures issues des débats parlementaires pourraient être réintégrées par amendement lors de l’examen au Sénat. Cette stratégie vise à apaiser les tensions et à rétablir un minimum de contrôle sur le budget.
Un texte profondément remanié
Au fil des débats, la partie « recettes » du PLF a été fortement amendée, notamment sous l’impulsion du Nouveau Front Populaire (NFP), une coalition de gauche unie autour de principes de justice fiscale et de transition écologique. Ces modifications incluent l’ajout de 34 milliards d’euros de recettes supplémentaires, principalement ciblées sur les grandes entreprises et les patrimoines aisés. Pour les membres du NFP, ce remaniement constitue une victoire. Aurélien Le Coq, député de La France Insoumise, a affirmé que ce budget est désormais celui du NFP, allant jusqu’à déclarer la « Macronie » politiquement « morte ».
Eva Sas, députée écologiste, a vanté un budget qui « augmente les recettes publiques » tout en œuvrant pour une redistribution équitable. Philippe Brun, représentant les Socialistes, a salué une meilleure répartition de l’effort fiscal, tandis que Nicolas Sansu, du groupe Gauche démocrate et républicaine, a insisté sur le caractère inédit d’un texte orienté vers une justice sociale et fiscale accrue.
Les critiques acerbes du gouvernement et de la droite
Face à ces modifications, les soutiens du gouvernement ont dénoncé une « dénaturation » complète du projet initial. David Amiel, d’Ensemble pour la République, a parlé d’un « barbouillis budgétaire » dépourvu de cohérence. Jean-Paul Matteï, des Démocrates, a fustigé un texte « décorrélé de la réalité », tandis que Véronique Louwagie, de la Droite républicaine, a regretté que le budget soit devenu « totalement irresponsable » sur le plan financier.
Le ministre Laurent Saint-Martin a pointé des amendements « contraires aux traités européens » et « totalement inconstitutionnels ». Il a notamment déploré une augmentation excessive des impôts, ajoutant que ces mesures risquent de compromettre la compétitivité économique de la France et sa capacité à respecter ses engagements européens.
Un jeu d’alliances inattendu
Un des faits marquants de cette bataille budgétaire est la convergence occasionnelle entre l’extrême gauche et l’extrême droite sur certains amendements. Si cette collaboration ponctuelle a permis de faire passer certaines mesures, elle a aussi cristallisé les tensions avec le socle gouvernemental. Matthias Renault, du Rassemblement National, a dénoncé un « étouffement fiscal » orchestré par la gauche, tout en reprochant au gouvernement de ne pas avoir défendu suffisamment sa copie initiale.
Cette alliance temporaire a été critiquée comme une menace pour la stabilité et la cohérence des débats parlementaires, renforçant l’image d’une Assemblée nationale profondément divisée.
Vers un recours au 49.3 ?
Face à ce rejet cinglant, Michel Barnier, Premier Ministre, a évoqué la probabilité croissante d’un recours à l’article 49.3 de la Constitution. Cet outil controversé permettrait au gouvernement de faire adopter le budget sans vote, mais au prix d’une possible motion de censure. Michel Barnier a souligné que, malgré cette option, le gouvernement a choisi jusqu’ici de laisser le débat parlementaire se dérouler librement.
Cependant, l’utilisation du 49.3 risque d’exacerber les tensions politiques et de fragiliser davantage la position du gouvernement dans un contexte de défiance généralisée.
Un budget au centre de toutes les batailles
Le PLF 2025 illustre à lui seul les fractures profondes du paysage politique français. Alors que la gauche célèbre ce qu’elle considère comme une victoire pour la justice fiscale, la droite et le gouvernement s’alarment des conséquences économiques et juridiques d’un texte jugé irréaliste et déconnecté des enjeux européens.
La suite de la procédure budgétaire, notamment le débat au Sénat, sera cruciale pour déterminer si Michel Barnier et son gouvernement peuvent encore prétendre à un semblant de contrôle. Pour l’heure, ce rejet historique symbolise une victoire à demi teinte pour toutes les parties en présence : une Assemblée nationale divisée, un gouvernement affaibli, et une opinion publique toujours plus méfiante face à la gestion des finances publiques.
Le débat reste ouvert, et la bataille budgétaire est loin d’être terminée.