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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Liberté de la presse dans le monde : le constat alarmant de RSF. Entretien

Picture of Paul Bondot

Paul Bondot

Journaliste culture et plus spécifiquement le cinéma et l'actualité de l'audiovisuel
L’organisation indépendante Reporters Sans Frontières (RSF) fait l’évènement chaque année en publiant son rapport des journalistes détenus, tués, otages et disparus dans le monde. L’année 2021 a été une année record, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour la profession. Pauline ADÈS-MÉVEL est porte-parole de RSF depuis 2018, selon elle « jamais le nombre de journaliste emprisonné avait été aussi élevé ». Un bilan dramatique, qui permet de mieux comprendre l’état de la liberté d’expression dans le monde.

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Bilan 2021 RSF

Depuis 1995, Reporters Sans Frontières (RSF) révèle son bilan annuel des exactions commises contre les journalistes dans le monde. Quel est le premier enseignement du bilan de l’année 2021 ? 

Pauline ADÈS-MÉVEL  : Nous avons effectivement un enseignement majeur à tirer du bilan annuel. Ce qui apparait de manière la plus évidente c’est le nombre record de journaliste en détention en 2021 par rapport à l’année précédente. Cette année c’est 488 journalistes derrière les barreaux, soit une hausse de 20%, c’est énorme ! Malgré le fait qu’une partie du monde a été maintenu en confinement, plus de journalistes ont été placés en détentionJamais, depuis la création du bilan de RSF en 1995 le nombre de journaliste emprisonnés a été aussi élevé.

Pauline ADÈS-MÉVEL©RSF

Il y a des zones que nous identifions comme l’explication de ces détentions arbitraires dont 3 pays : la Birmanie, où la junte a repris le pouvoir par la force ; le Belarus [ou Biélorussie] qui est aux portes de l’Europe et qui nous inquiète puisque le pays a sombré dans la répression après la réélection de son président Loukachenko en août 2020 ; et la Chine qui depuis plusieurs années est la plus grande prison de journaliste au monde avec 127 journalistes derrière les barreaux en 2021. Également la répression qui est menée à Hong-Kong avec des fermetures en série de médias. Hong-Kong dégringole dans le classement annuel de la liberté de la presse notamment à cause de ces arrestations. 

Y-a-t-il un point commun entre ces 3 pays ? 

Le point commun est que ce sont tous des régimes autoritaires. C’est le régime de la force. C’est la junte en Birmanie, c’est la répression féroce d’Alexander Loukachenko au Belarus et puis c’est la main de Xi Jinping sur l’information et sur le territoire de Hong-Kong qu’il contrôle complètement. Ce sont des régimes qui n’ont plus de scrupules. 

Dans ces régimes autoritaires, les journalistes dans leur ensemble sont considérés comme un groupe dangereux, un groupe à éliminer. Tout cela, parce qu’ils informent, parce qu’ils documentent, parce qu’ils font savoir ce qu’il se passe. Donc il faut les empêcher d’informer. 

Par exemple, en Chine de nombreux journalistes correspondants ont été exportés, en Birmanie il y a eu aussi plusieurs arrestations de journalistes étrangers. 

Jamais RSF n’avait recensé autant de femmes journalistes détenues” – Bilan annuel RSF

J’ai découvert dans votre rapport qu’il y a un tiers de plus de femmes journalistes derrière les barreaux par rapport à 2020. C’est un constat édifiant, comment vous expliquez cela ? 

Il y a plusieurs explications. Le Belarus, par exemple, est un pays qui détient plus de femmes que d’hommes derrière les barreaux. C’est des femmes qui se battent pour la liberté de l’information et qui racontent ce qu’il se passe sur le terrain. C’est symptomatique de la fin de la tolérance patriarcale traditionnelle des autorités Belarus qui finalement ont été pris de cours par le rôle prépondérant des femmes au début des mouvements de contestations post-électoraux. L’opposant principal de Loukachenko c’est une femme, c’est Svetlana Tikhanovskaïa ! 

Ces femmes font figure de modèle. Beaucoup de femmes journalistes, mêmes jeunes, ont été placées en prison, soi-disant parce qu’elles organisaient des actions terroristes…

©RSF

C’est un phénomène mondial ? 

Oui. En Birmanie, les femmes sont, comme les hommes, à la pointe de la couverture des manifestations populaires. Au Vietnam, 4 sont en détentions dont Pham Doan Trang qui a reçu le prix RSF « de l’impact » en 2019. Elle a été violemment battue, et souffre aujourd’hui de contusions, liées à son arrestation, qui l’empêchent de marcher. Elle représente le mal pour les autorités. C’est pareil en Iran, c’est pareil en Arabie Saoudite, ces pays qui sont les grandes prisons du monde des journalistes, ce sont des pays qui sont sans scrupules. 

Les journalistes sont considérés comme des personnes à abattre” – Pauline ADÈS-MÉVEL, porte-parole de RSF

En 2021, les journalistes qui disparaissent sont-ils sciemment visés ?

C’est un autre phénomène qui est tout aussi inquiétant. C’est effectivement le nombre de journalistes assassinés. Parce que deux tiers des journalistes tués en 2021, ont été délibérément éliminés. Comme c’est le cas notamment au Mexique, où des journalistes qui enquêtaient sur les cartels et la drogue ont été assassinés parce qu’ils dénonçaient cette corruption. Quand on voit qu’au sein même de l’Union Européenne deux journalistes ont été tués, un en Grèce et un aux Pays-Bas parce qu’ils enquêtaient sur des réseaux criminels, sur des affaires de corruption. C’est extrêmement inquiétant, ça montre aussi à quel point les journalistes sont considérés comme des personnes à abattre, parce qu’ils ont cette capacité à faire remonter les informations. 

©RSF

Malgré ce sombre tableau, avez-vous pu relever des bonnes nouvelles ? 

Il y a une donnée très importante, qui ne peut pas être considérée comme une bonne nouvelle. Cependant, pour la première fois depuis longtemps, le nombre de journalistes tués est au plus bas depuis 20 ans. Il y a quand même 46 journalistes tués en 2021, soit 1 journaliste par semaine. Ça reste beaucoup trop. 

Ce n’est pas un motif de satisfaction parce que d’une part le monde est à l’arrêt [du fait de la crise sanitaire], donc il y a moins de journalistes sur le terrain. 

Comment faites-vous pour remonter toutes ces informations, quelle est votre méthode ? 

Le plus important pour nous est de documenter avec des informations fiables. On rapporte et on regroupe un maximum d’informations de façon à comprendre ce qu’il s’est passé. Dans un pays comme le Kazakhstan où internet est coupé, nous avons des difficultés à joindre notre correspondant, donc nous cherchons d’autres sources. Parce qu’un tweet ou une information erronée ça peut aller très vite, donc on préfère prendre le temps de bien se documenter. 

“Il faut encourager les journalistes à être le mieux formé possible” – Pauline ADÈS-MÉVEL, porte-parole de RSF

Quels conseils pouvez-vous donner à des journalistes qui souhaiteraient couvrir ces zones de conflits ? 

La première chose c’est que nous nous satisfaisons qu’il y ait encore beaucoup de journalistes qui souhaitent documenter et aller sur le terrain. Il n’y a pas d’effet d’autocensure, parce qu’ils ont une vraie volonté de savoir ce qu’il se passe. 

Il faut encourager les journalistes à être le mieux formé possible. Avec notamment une formation en cyber sécurité, pour apprendre à se protéger, à ne pas se faire repérer, pour ne pas emporter des données dangereuses. Il faut aussi être le mieux préparé possible, en connaissant le terrain, et anticiper le plus possible. Il faut toujours prévoir des plans B ! 

Aujourd’hui ce qui se fait de plus en plus, c’est des consortiums de journalistes. Ce sont des groupes de journalistes qui partagent leurs données, pour protéger les informations notamment celles des journalistes menacés. Le but est que quoi qu’il arrive, leur enquête continue de progresser. 

“L’année 2022 commence de manière très noire” – Pauline ADÈS-MÉVEL, porte-parole de RSF

Alors maintenant nous sommes en janvier 2022, comment se passe ce début d’année ? 

L’année commence à peine et elle est déjà très meurtrière. Le 6 janvier 2022, trois journalistes ont été victimes de leur métier. Un au Kazakhstan, où des émeutes sont en cours et le pays est en plein chaos. Et deux journalistes en Haïti. Nous sommes actuellement en train de documenter ce qu’il s’est passé pour tenter de comprendre. L’année commence de manière très noire.

Reporters sans Frontières est une organisation qui a été fondée en 1985 qui œuvre pour la liberté, le pluralisme et l’indépendance du journalisme partout dans le monde. Même si le siège se trouve à Paris, l’organisation s’appuie sur des bureaux dans le monde entier, avec des correspondants dans plus de 130 pays. Leur objectif est de recenser la liberté et la qualité de la presse partout dans le monde. Ils font également pression auprès des gouvernements et des organisations mondiales pour obtenir des libérations ou pour faire annuler des décisions. 

Retrouvez le bilan annuel des journalistes détenus, tués, otages et disparus dans le monde : 

https://rsf.org/sites/default/files/bilan_2021_fr.pdf

Pour en savoir plus sur RSF :

https://rsf.org/fr

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