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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Pourquoi la situation à Haïti est-elle si compliquée ?  

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Etienne CAZASSUS

Depuis le début du mois de mars, Haïti est confronté à une vague de violence sans précédent qui se répand dans tout le pays. La capitale haïtienne Port au prince est actuellement contrôlée à plus de 80% par des gangs armés.

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Bâtiments détruits après le tremblement de terre en Haïti - Istock
Bâtiments détruits après le tremblement de terre en Haïti - Istock

En terme politique, on évoque le cas d’Haïti comme un “État failli”, ce qui signifie qu’il est désormais incapable d’être gouverné de manière efficace. Le gouvernement haïtien ne parvient plus à exercer un contrôle sur le territoire. 

C’est après l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 que la situation déjà très compliquée d’Haïti est devenue catastrophique. Après l’assassinat du président, c’est Ariel Henry, qui a été nommé à la tête du pays, mais sa nomination n’était pas accepté par la plupart de la population. Selon eux, Ariel Henry ne serait pas légitime pour ce poste. Haïti n’a toujours pas organisé d’élections depuis 2016. 

Depuis mars 2024, les gangs ont pris le contrôle de la capitale, Port-au-Prince, en libérant deux prisons et en lançant des attaques contre les forces de police. Les autorités locales sont complètement dépassées par la situation. La personne qui revendique être à la tête des attaques, c’est Jimmy Cherizier, aussi connu sous le pseudonyme de Barbecue. C’est un ancien policier qui est devenu l’un des plus grands criminels d’Haïti. 

Mais pourquoi Haïti est-elle dans une situation aussi grave ? 

Un pays déchiré par l’instabilité politique et la présence de gangs. 

    Pour saisir la situation actuelle, il est nécessaire de remonter en 2018, année où le pays a atteint un point de bascule crucial. 

    En novembre 2018 plusieurs milliers de personnes manifestent dans les rues de Port au prince revendiquant notamment la démission du président Jovenel Moïse accusé de détournement de fonds. Lors de cette manifestation un massacre a lieu dans le bidonville de Saline où 71 personnes sont assassinées. Le massacre est attribué à des fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur et du chef de gang Jimmy Cherizier.

    Par la suite, les violences ont persisté avec des attaques perpétrées par des groupes armés proches du pouvoir, initialement engagés pour réprimander les manifestations. Toutefois, ces groupes armés ont pris leur autonomie et ont accru leur emprise sur le pays. A la suite de ces évènements les Nations Unies évoquent en janvier 2023 un vide politique présent à Haïti.

    Par la suite, la situation empire puisque le président haïtien Jovenel Moïse est assassiné le 7 juillet 2021. Cet assasinat plonge Haïti dans une crise sans précédent. L’affaire de l’assassinat est complexe et révèle un complot difficile à démêler. Malgré les condamnations de plusieurs personnes dont sa femme, la liste des personnes impliquées semble très étendue. L’affaire reste au point mort car les juges chargés de l’affaire se sont dessaisis de l’affaire.  

    C’est ensuite Ariel Henry qui va prendre la tête du pays nommé par Jovenel Moïse quelques jours avant son assassinat. Mais il va être jugé illégitime par la population puisque depuis 2016 le pays n’a pas connu d’élection, mais surtout car durant son mandat le pays n’avait plus de sénateurs ni de députés. Devant cette profonde instabilité politique, les gangs ont accru leur contrôle et leur influence sur le pays. Ce serait plus de 200 gangs qui opèrent à travers le pays selon les Nations Unies.

    Les institutions gouvernementales sont dépassées devant cette situation. La police est confrontée à des effectifs réduits, et à un manque de direction politique, laissant ainsi une place croissante à l’influence des gangs dans le pays qui ne sont que très peu réprimés. Mais surtout, la police et autre instance de maintien de l’ordre publique fait face à une corruption immense au sein des brigades. 

    La police elle est autant dans le besoin que la population et donc lorsqu’elle va arriver pour intervenir et que les gangs vont leur dire;  on te donne de l’argent ou des vivres ou la protection pour leur famille, pour eux c’est une option qui a du sens” mentionne Pierre Turcotte, professeur de science politique au CÉGEP de Jonquière au Canada.   

    Les institutions politiques sont actuellement sans direction, notamment depuis la nomination de Ariel Henry en 2021. 

    Une aide humanitaire impossible  

      Face à une situation aussi préoccupante pour la population, fournir une aide humanitaire demeure une priorité. La plupart des pays occidentaux  ont  d’ailleurs déjà envoyé de l’aide. Par exemple, depuis 2022, le gouvernement fédéral canadien déploie 100 millions de dollars d’aide humanitaire en Haïti. Des ONG tels que l’Unicef, la Croix Rouge par exemple se sont déjà rendus sur place. Mais, elles ont été forcées de constater que même avec ces aides, Haïti n’arrive pas à s’en sortir. En fait, ce qu’il faut comprendre c’est que le pays n’a plus d’institution politique, et donc lorsque l’aide est envoyée il est impossible de savoir où est-ce qu’elle va. 

      Nos gouvernements (gouvernements occidentaux) voudraient les aider, mais ce que l’on voit à travers le temps, c’est qu’il n’y a pas de contrôle sur l’aide humanitaire envoyée. En réalité, on ignore souvent où va l’aide humanitaire une fois qu’elle arrive en Haïti.”, explique Pierre Turcotte, professeur en science politique au cégep de Jonquière au Canada.    

      Le fait que les gangs contrôlent presque la totalité du pays décuple le phénomène. “L’aide envoyée est souvent prise ou reprise par les gangs en place qui décident que c’est eux qui vont garder les vivres, forcément ça n’aide pas”, souligne Pierre Turcotte. 

      L’aide humanitaire n’est donc pas acheminée pour la population qui ne bénéficie pas de cette aide. 

      L’autre problème, c’est que les bandes armées sur place contrôlent la plupart des voies de circulation rendant impossible le transport humanitaire qui se retrouve la plupart du temps bloqué par ces bande armées.  L’Unicef alerte par ailleurs sur le risque croissant de famine dans le pays dû au blocage des vivres envoyés. 

      Au fil du temps, l’aide humanitaire s’est trouvée être inefficace. L’exemple le plus frappant est celui du séisme de 2010. 

      Le 12 janvier 2010 l’un des tremblements de terre les plus meurtriers du 21ème siècle frappe Haïti faisant plus de 200.000 morts, plus de 300.000 blessés ainsi que 1,5 million de sans-abris, laissant le pays en ruine. Après cela, une aide internationale massive est engagée, selon  les estimations ce serait plus de 13 milliards de dollars canadien qui auraient été récoltés pour aider Haïti et sa population.

      Cependant, le gouvernement haïtien a à peine pris profit de cette aide, car les pays donateurs étaient incertains quant à la capacité du gouvernement haïtien de recevoir l’aide nécessaire.
      Dans un article de Radio canada, l’ambassadeur du Canada en Haïti à l’époque, Gilles Rivard, expliquait :

      « Le Canada, comme d’autres pays donateurs, hésite beaucoup à faire ce qu’on appelle de l’appui budgétaire direct (au gouvernement) parce qu’on n’a pas vraiment confiance dans la capacité de pouvoir gérer ça sans que la corruption n’intervienne. »

      Parmi l’aide récoltée, seulement 1 % des dons a été envoyé au gouvernement haïtien, selon l’agence Associated Press.

      L’aide humanitaire n’arrive pas à s’articuler laissant la population dans une situation extrêmement précaire. 

      Un pays plongé dans la pauvreté  

      Haïti est un pays extrêmement pauvre. C’est le pays le plus pauvre d’Amérique, et il fait partie des pays les plus pauvres du monde. Le PIB par habitant de Haïti est de 1 748,26 USD en 2021 c’est le PIB le plus bas sur le continent américain, en comparaison le PIB de la France est de 43 658,98 USD en 2021. Selon l’indice de développement humain de l’ONU, Haïti est classée 163 sur 191 pays en 2022.  

      Pourquoi ?  

      Haïti reste l’un des pays du monde les plus vulnérables aux catastrophes naturelles, principalement les ouragans, les inondations et les tremblements de terre. Plus de 96% de la population haïtienne est exposée à ces types de chocs selon la Banque Mondiale (World Bank’s Natural Disaster Hotspot Study). Il y a eu le tremblement de terre de 2010 évoqué plus tôt qui a ravagé l’île. Mais, Haïti n’en a pas fini avec les tremblements de terre puisque le 14 août 2021, un séisme de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter frappe Haïti. Le bilan du séisme est de 2 246 morts, 12 763 blessés et 329 disparus. L’évaluation des dégâts générés par le tremblement de terre se totalise à 1,6 milliard $ de dommages et de pertes. Ce type de catastrophe aggrave une situation déjà particulièrement complexe pour Haïti.

      Mais surtout, elle plonge les populations qui étaient déjà très vulnérables dans des situations extrêmement précaires et encore plus propice au développement de la violence. En somme, la population a faim, n’est pas éduquée et doit lutter chaque jour pour sa survie. En outre, ce genre de catastrophe a un impact significatif sur la santé mentale de la population. Ce sont des traumatismes qui se créent chez les populations haïtiennes. 

      Haïti n’est pas non plus épargné par les pandémies car en 2023 elle fait face à une vague d’infections au choléra. Cela découle de l’insalubrité qui règne dans le pays. Mais aussi du manque de système de soins hygiéniques. Selon une enquête de Health of America, l’espérance de vie de la population haïtienne serait de 63,2 ans en 2021 soit moins que la moyenne dans les régions d’Amérique qui est de 76,4 ans. Les Nations Unies évoquent dans un communiqué de presse, parut en janvier 2023, que “cinq millions d’Haïtiens souffrent de la faim, et qu’une épidémie de choléra sévit, dans un contexte d’effondrement des infrastructures sanitaires.” 

      La pauvreté d’un pays engendre la corruption car les personnes travaillant dans les institutions gouvernementales, censées maintenir l’ordre public tel que la justice ou la sécurité intérieur avec la police par exemple, sont tout autant dans le besoin que la population. Ce qui amène à la prolifération de la corruption. 

      On se demande souvent pourquoi les juges ou policiers sont aussi bien payés dans nos sociétés occidentales mais moins une personne est dans le besoin moins elle est corruptible.”, explique Pierre Turcotte, professeur en science politique au CÉGEP de Jonquière au Canada. 

      “Depuis longtemps, le pays survit avec l’aide humanitaire mais ça c’est pas une manière de vivre, ça ne décolle pas une économie surtout lorsque l’aide humanitaire est erratique, le danger aussi c’est qu’il est une autre catastrophe naturelle”, déclare Pierre Turcotte  .

      Des solutions utopiques ? 

        Après la démission du premier ministre Ariel Henry, les dirigeants des îles voisines espèrent une transition politique. Cependant, certains sont en désaccord avec la transition. “Si l’objectif c’est de faire des élections dans la situation actuelle d’Haïti pour régler le problème, ça ne marchera pas.”, soutient Pierre Turcotte.

        L’ONU a annoncé mettre en place un pont aérien avec la République Dominicaine pour acheminer de l’aide. Cependant, la République Dominicaine, pays voisin d’Haïti, accueille déjà énormément de migrants haïtiens et a d’ailleurs déjà construit un mur pour endiguer la migration. Cette solution ne semble pas être durable à long terme.

        La situation ne s’améliore pas et s’empire de jour en jour, tandis que les pays occidentaux rapatrient leurs ressortissants étrangers, le 28 mars 2024. L’ONU déclare dans un communiqué que Haïti est en proie à une situation cataclysmique.  

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