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Russie : l’impossible liberté de la presse

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Pierrick MOUEZA

Je m'appelle Pierrick Mouëza. J’ai obtenu une licence de sociologie à l’Université de Bordeaux. Je suis actuellement en BUT information-communication parcours journalisme à l’Université Clermont-Auvergne. J’ai rejoint CS Actu en septembre 2023. J'aime découvrir l'actualité et la partager autour de moi. J’ai une préférence pour les sujets environnementaux et sociétaux même si je m’intéresse à l’actualité dans sa globalité. J’apprécie aussi le travail de terrain requis dans le cadre journalistique et lors d’enquêtes sociologiques. Bonne lecture ! Je suis joignable par mail : pierrick.moueza@gmail.com. Mon profil LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/pierrick-m-114808296/⁣⁣⁣
Journalistes menacés et agressés, médias interdits. En Russie, la presse est malmenée depuis bien longtemps. Mais, suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 et la guerre qui s'en est suivie, la relation entre le pouvoir russe et la presse n'a cessé d'empirer. Retour sur un système qui cherche à écraser la presse.

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Le Kremlin à Moscou en Russie le 7 mai 2021. Crédits: Дмитрий Трепольский
Le Kremlin à Moscou en Russie le 7 mai 2021. Crédits: Дмитрий Трепольский

164 sur 180, voilà la position de la Russie dans le classement de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF) pour l’année 2023. Une place qui n’est guère étonnante au vu de la dégradation des relations entre le Kremlin et la presse indépendante en Russie ces dernières années.

Un système de censure bien rodé

« Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici. Les Russes sont contre la guerre ». C’est ce qu’avait écrit la journaliste russe, Marina Ovsiannikova, sur l’affiche qu’elle avait brandi en plein milieu d’un journal télévisé de la chaîne Pervy Kanal (ex-ORT). Elle a ensuite été arrêtée et assignée à résidence. Elle risquait dix ans de prison pour « diffusion de fausses informations sur l’armée russe ». Voilà un exemple des sanctions encourues par ceux qui s’opposent au discours du Kremlin. La journaliste décide finalement de quitter la Russie, fuite organisée avec l’aide de RSF qui l’explique dans un article.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, le pouvoir exerce un contrôle de l’information sans précédent sur la presse. On retient par exemple la censure du terme « guerre », pour désigner l’action militaire russe en Ukraine, au profit de l’expression « opération militaire spéciale », comme le rappelle France Info dans un article. Parler d’une guerre en Ukraine est même lourdement sanctionné, comme le prouve l’exemple de Marina Ovsiannikova. Ainsi, une loi « prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison en cas de propagation d’informations visant à “discréditer” les forces armées », explique France Info.

Le pouvoir s’attaque aussi aux organes de presse. La mort lente du média indépendant Novaïa Gazeta illustre cette chasse à l’information libre menée par le pouvoir russe. Son rédacteur en chef, Dmitri Mouratov, a été témoin de la lente descente aux enfers du journal. Dès le début de l’invasion en Ukraine, le journal subit la censure organisée par le régulateur des médias, le Roskomnadzor. La rédaction supprime ses publications sur le sujet pour éviter des sanctions. Mais la distribution du journal papier finit par être restreinte et son site Internet voit sa licence « invalidée », détaille RSF. Dmitri Mouratov est qualifié « d’agent de l’étranger » et il quitte son poste pour éviter des contraintes à Novaïa Gazeta.

La répression physique contre les journalistes

Une colonie pénitentiaire à « 2 000 kilomètres de Moscou » où « les températures frôlent les – 40 °C », résume un article du Point. C’est dans ces conditions que vivait Alexeï Navalny, célèbre opposant politique russe, avant son décès le 16 février 2024, loin de tout. Côté presse, certains subissent le même traitement. Dmytro Khyliuk est l’un d’entre eux. Le journaliste ukrainien, travaillant pour l’agence de presse Unian, a été capturé par des soldats russes le 3 mars 2022. Depuis, malgré le témoignage d’un voisin de cellule du journaliste, difficile de connaître son lieu de détention et son état de santé. Dans un article, Reporters sans frontières demande « aux autorités russes de le libérer et, a minima, de fournir une preuve de vie ».

Ce système de colonies pénitentiaires isolées sert à briser les opposants, qu’ils soient journalistes ou non. « La colonie ne rééduque pas : elle punit, elle casse les individus, elle déshumanise », raconte Oïoub Titiev dans un article de La Croix. À en croire ces témoignages, le goulag russe a donc encore de beaux jours devant lui. Pour rappel, « il y a près de 600 prisonniers politiques en Russie condamnés pénalement, mais, en réalité, pour des raisons politiques », explique Dmitri Mouratov, dans une interview au Monde.

Autre cible déjà citée précédemment : Novaïa Gazeta. L’existence du journal n’a jamais été un long fleuve tranquille pour ses membres. Lancé en 1993, le journal a perdu six collaborateurs au cours de son histoire, « assassinés à cause de leur travail », rappelle RSF. Ainsi, même avant le conflit en Ukraine, le pouvoir s’attaquait aux voix dissonantes, représentées par les médias indépendants. Mais la guerre en Ukraine a été un point de bascule dans la répression de la presse en Russie. En témoigne la violente agression dont a été victime Elena Milachina, journaliste à Novaïa Gazeta. Doigts brisés, cheveux rasés et tête recouverte d’un antiseptique vert, voilà ce qu’a subi la journaliste alors qu’elle allait couvrir un sujet lié à l’opposition politique russe.

La concentration des médias en Russie

Aujourd’hui en Russie, la plupart des grands médias sont sous le joug du Kremlin. Ce système de concentration des médias s’est développé au début des années 2000 sous la présidence de Vladimir Poutine. Durant cette période, « diverses agences de l’État ont pris le contrôle financier ou administratif de 70 % des médias électroniques, de 80 % de la presse régionale et de 20 % de la presse nationale », détaille un rapport publié sur le site Index on Censorship. De grandes entreprises contrôlent donc certains médias russes. C’est le cas de Gazprom. En 2002, le groupe Gazprom Media récupère les actifs de Media Most, qui détient la chaîne de télévision NTV. Or, Gazprom est « la plus grande société d’État de Russie », rappelle l’Index on Censorship. En Russie, la plupart des médias sont ainsi détenus par des personnes physiques ou morales liées à Vladimir Poutine.

Les oligarques russes proches du président constituent aussi une partie de ce système. Par exemple, en 2001, « sous la pression de la nouvelle élite du Kremlin », l’homme d’affaire Boris Berezovsky a dû vendre la part qu’il détenait dans la chaîne de télévision publique russe ORT à « Roman Abramovich, un autre oligarque russe, qui a revendiqué sa loyauté envers Vladimir Poutine », rappelle le rapport d’Index of Censorship. Cet exemple illustre parfaitement le mécanisme insidieux qui se cache derrière cette concentration des médias. Ainsi, seules les personnes qui se trouvent dans un cercle restreint autour de Vladimir Poutine peuvent contrôler des organes de presse.

Médias d’État et presse indépendante

Actuellement, une grande partie de la presse russe ne sert donc qu’une cause, celle du Kremlin. Celui-ci l’utilise à des fins de contrôle de l’information et donc de la population. Cela empêche aussi d’autres voix politiques de s’exprimer. Ce double effet affecte donc forcément la liberté de la presse en Russie. La chaîne de télévision Rossiya 1 fait partie de ces médias pro-Poutine. Vladimir Soloviev, le présentateur de la chaîne, est un fervent partisan du régime russe actuel. « Tu veux t’en prendre à la Russie ? Alors choisis une ville française que tu veux rayer de la carte », répondait récemment le présentateur à Emmanuel Macron qui déclarait ne pas exclure l’envoi de troupes occidentales en Ukraine. Rossiya 1 est d’ailleurs loin d’être la seule chaîne contrôlée par le pouvoir. On comprend donc que les principaux médias russes ne sont que des porte-voix servant le Kremlin.

En ce qui concerne les médias indépendants présents sur le sol russe, le constat est accablant. Selon le Réseau international des journalistes (IJNet), « 18 mois après l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, les médias indépendants en Russie ont pratiquement disparu ». Le dernier grand média indépendant, Novaïa Gazeta, a lui aussi disparu du territoire. Mais la presse russe ne s’est pas laissée abattre pour autant. De nombreux médias se sont installés dans d’autres pays pour continuer à informer sereinement et sérieusement. C’est le cas de Novaya Gazeta Europe, qui a ouvert un bureau à Paris. L’idée est de diffuser « des informations fiables pour un public russe et aussi européen », détaille un article de RSF.

Face à tous ces éléments, il semble donc presque impossible pour la presse russe d’exercer sa liberté. On comprend alors la dégringolade de la Russie dans le classement de la liberté de la presse. Une chute qui risque de continuer avec la réélection presque certaine de Vladimir Poutine aux élections présidentielles de mars 2024. Les premiers résultats sont d’ailleurs attendus ce dimanche 17 mars 2024.

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