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Turquie : un second tour joué d’avance ?

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Mathis Lyko

En parallèle de mes études en Relations Internationales à l'Université de Genève, je fais partie de l'équipe politique au sein de CS Actu.
Ce dimanche 14 mai se tenait les élections législatives et présidentielles en Turquie. Malgré une opposition forte, le président sortant et son parti, l’AKP, conserve la majorité au gouvernement, et sont les grands favoris du second tour. Cependant rien n’est fait, et le pouvoir peut encore échapper à Erdogan. A l’internationale aussi l’élection fait parler, où un changement de dirigeant pourrait avoir de grands impacts géopolitiques. Retour sur les prémices et les enjeux d’une élection sans précédent en Turquie.

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Des partisans du président Recep Tayyip Erdogan devant le siège de l'AKP à Istanbul, en Turquie, dimanche 14 mai 2023. AP - Khalil Hamra

Le résultat des élections

En regardant les sondages, il était difficile de prédire qui allait sortir vainqueur de ce premier tour. Si certains voyaient l’opposition l’emporter, c’est finalement le président sortant Recep Tayyip Erdogan qui est passé en tête, à un cheveu de la majorité absolue. Il a réussi avec son parti, l’AKP (Parti de la Justice et du Développement), à rassembler un peu plus de 49% des votes, reléguant l’opposition menée par Kemal Kiliçdaroglu à 5 points (45% des voix). Il faudra donc un second tour pour départager les deux hommes, prévu le 28 mai. En attendant, tous deux se disent confiants et persuadés d’une victoire finale de leur parti.

Au même moment, se déroulaient les élections législatives à un seul tour. Là encore, le parti d’Erdogan reste majoritaire au Parlement. En cas de victoire à l’élection, celui-ci pourrait donc mener les politiques qu’il entend sans opposition parlementaire. Malgré cette victoire, des changements sont à observer. L’AKP, bien que parti le plus représenté a perdu 7 %, soit 27 sièges, portant son total à 267 sur 600. Peut-être un témoignage des contestations de ces dernières années. L’Alliance Populaire reste donc majoritaire avec plus de la moitié des sièges.

De son côté, le parti républicain du Peuple, membre de l’opposition, et son « Alliance de la nation » se place en second groupe parlementaire, avec plus de 200 sièges. Le reste est assez épars entre les différentes factions politiques, ou autres alliances.

Alors que le président sortant semble en bonne voie pour briguer un troisième mandat à la tête du pays, quel est le bilan de ses 20 années de pouvoir ?

Erdogan, 20 ans de pouvoir

Recep Tayyip Erdogan

Cela fait 20 ans qu’Erdogan dirige la Turquie d’une main de maître. Elu Premier ministre en 2003, à la tête de l’AKP, créé quelques années plus tôt, il reste à la tête du gouvernement pendant 11 ans, avec trois gouvernements différents. S’il n’est pas président à l’époque, il est le chef de l’exécutif, la Turquie étant encore sous un régime parlementaire.

C’est naturellement qu’il se présente et est élu président de la République Turque en 2014 à la majorité absolue (52% des voix). Son premier mandat est marqué par une politique conservatrice sur le plan religieux, une tentative de coup d’Etat en 2016 commandité par une faction de l’armée turque et réprimée par la force, et par une grande réforme politique. Après un référendum constitutionnel en 2017, la Turquie passe à un régime présidentiel. La fonction de Premier ministre est supprimée au profit de l’apparition d’un vice-président. C’est à partir de ces réformes que les contestations sur le pouvoir autoritaire d’Erdogan vont véritablement émerger.

Malgré cela, le président sortant reste adulé par une grande partie de la population. Il est vrai qu’il a développé le pays de manière considérable depuis son arrivée au pouvoir. Tant sur les plans économiques que géopolitiques. Alors, quelles sont les raisons de la montée des contestations ces dernières années ?

Un pouvoir ébranlé

Les votations du 14 mai ressemblaient plus à un référendum « pour ou contre » Recep Tayyip Erdogan, qu’à des élections présidentielles. En effet, le pouvoir d’Erdogan est vivement contesté, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le chef d’Etat est taxé par certains de dictateur et d’autocrate pour sa gestion autoritaire du pays. Entre une politique religieuse de plus en plus radicale, une liberté de la presse en recul et des minorités, notamment les kurdes, mises au banc de la société. Son opposant direct au second tour avait refusé de féliciter Erdogan pour sa victoire en 2018 en déclarant « On ne peut pas féliciter un homme qui ne défend pas la démocratie. ». Le pouvoir présidentiel est pour les opposants, trop concentré entre les mains d’Erdogan, encore plus depuis la réforme de 2017.

Cette même réforme a permis au président de se prévaloir des questions économiques, qui lui jouent des tours aujourd’hui. La Turquie connaît une inflation record depuis le début de l’année 2021. Celle-ci est dûe à des facteurs extérieurs, comme l’augmentation du prix du pétrole, mais aussi par des décisions d’Erdogan, notamment sur les taux d’intérêts.  

Outre la crise économique et l’inflation qui paralysent le pays, c’est la gestion de la crise suite au séisme de ce début d’année qui a ravivé les mécontentements.

Destruction d’un immeuble endommagé par le séisme à Izmir en Turquie. — Emrah Gurel/AP/SIPA

Le 6 février 2023, un séisme de magnitude 7.5 sur l’échelle de Richter touche le Sud-Est de la Turquie et le Nord de la Syrie. Les 20 et 27 février, les deux pays subissent 3 nouvelles secousses. Au total, près de 55 000 personnes perdent la vie, dont 5 000 côtés Syriens.

Rapidement, les opposants pointent du doigt le chef de l’Etat turc pour sa mauvaise gestion de la crise. Les raisons ? Le retard dans l’intervention des secours, sur place près de 34 heures après les premières secousses. Cette intervention soulève des soupçons de favoritisme. Pour les opposants, le gouvernement a favorisé les interventions dans les municipalités de l’AKP.

Ce sont aussi des soupçons de corruption qui entachent le gouvernement. Si la responsabilité des constructeurs est bien sûr remise en cause, beaucoup de ces entreprises sont proches de l’Etat, qui ne respecte pas toutes les règles selon certains.

Enfin, c’est le pouvoir autoritaire d’Erdogan qui est remis en cause. Il est la raison de la faiblesse de la société civile et du tissu associatif actuel, qui aurait pu permettre une meilleure prise en charge des séismes. Dorothea Schmidt, chercheuse à l’Irfi, déclarait au micro de BFMTV que « Erdogan a été pris de court : c’est un régime de plus en plus autoritaire et de plus en plus centralisé donc sur des situations comme ça, il n’y a pas une très bonne capacité de réaction ».

L’attente des élections était grande au niveau national, qu’en est-il à l’international ?

Un scrutin attendu à l’international

Les élections peuvent changer le visage de la Turquie, et il en va aussi de ses positions internationales. De nombreux pays scrutent d’un air attentif le résultat de celles-ci. Tout d’abord pour la position ambiguë d’Erdogan dans la guerre en Ukraine. Membre de l’OTAN, fermement opposé à l’invasion russe, il n’a pas coupé ses relations avec Moscou, au contraire. A l’été 2022, et à contresens de sanctions mises en place par les Etats européens, la Turquie a augmenté ses exportations vers la Russie.

Mais les pays européens ne sont pas les seuls à regarder de près la situation. Les Etats-Unis aussi bien sûr, dont les relations avec la Turquie sont en dents de scie.

Mais également certains pays du golfe comme l’Arabie Saoudite ou les Emirats Arabes Unies. Ces derniers mois, Erdogan a effectué une série de visites au Moyen-Orient permettant la restauration des relations entre Riyad et Ankara, au point mort depuis de nombreuses années. Depuis, les Saoudiens ont injectés cinq milliards de dollars saoudiens dans l’économie turque pour tenter de juguler la crise économique.

Tous ces acteurs pourraient voir leurs relations évoluées avec la Turquie en cas de victoire de l’opposition. Mais une victoire de cette opposition est-elle toujours possible après le premier tour ?

Une victoire de l’opposition est-elle toujours envisageable ?

Le chef de l’opposition turque Kemal Kiliçdaroglu, lors d’une interview avec l’AFP, le 10 mars 2017 à Ankara afp.com/ADEM ALTAN

Jamais une coalition n’a été aussi proche de faire tomber Erdogan lors d’une élection. Cependant, et alors que les sondages annonçaient Kiliçdaroglu légèrement en tête, c’est bien le candidat sortant qui le devance.

Les six parties que constituent l’alliance peuvent-ils inverser la vapeur avant le 28 mai ?

S’il l’était déjà, le pari semble désormais, encore plus difficile après le résultat des élections du 14 mai. L’une des solutions serait de « récupérer » les votes du candidat qui complète le podium de l’élection, Sinan Ogan. Ce dernier, à la tête de l’Alliance ATA, coalition d’extrême droite, a réuni 5% des voix. Il paraît tout de même peu probable de le voir s’allier à l’opposition, notamment à cause de leurs divergences sur la question kurde.

Le candidat ultranationaliste à ouvert la voie à une alliance, selon ses conditions. Il déclare au soir des élections, « Ce que je veux est clair, c’est le départ des Syriens. Tous ces réfugiés doivent rentrer chez eux. Le candidat qui est d’accord avec cela et met cette politique en place, je voterai pour lui ». De quoi laisser penser qu’une alliance est impossible.

Si le président sortant est plus que favori à sa réélection, il faudra attendre le 28 mai et le second tour pour connaître le sort de la Turquie.

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