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Une réforme des retraites pour “remettre le système à l’équilibre”

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Élisabeth Borne a présenté, mardi 10 janvier, le projet de réforme des retraites promis par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017. Celle-ci entraîne plusieurs changements, à commencer par l’âge de départ à la retraite. Cette réforme apporte beaucoup de divergences chez nos politiques, mais pourquoi ? Quels sont les enjeux ? Quatre journalistes de l'équipe politique (Eloi Le Page, Maë Veltz, Valentin Francy & Simon Maunoury) de CSactu vont tenter de vous éclairer.

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Groupe de manifestants lors de la journée de mobilisation du 19 janvier dernier, à Paris. © Gaspard Le Rest (ig : @gaspard_lr)
Retour sur comment fonctionne le système de retraites en France ? 

Nous sommes dans un système de répartition. Ce système signifie que les cotisations des travailleurs sont directement utilisées pour financer les pensions des retraités aujourd’hui. Chaque génération cotise pour les plus anciens. C’est de la solidarité entre les générations.

Aujourd’hui nos retraites sont divisées en différents régimes. D’une part, le régime général : salariés privés, fonctionnaires etc… Ce régime concerne 88% de la population. D’autre part, le régime agricole, 5% de la population, et enfin, les régimes spéciaux qui font tant débats aujourd’hui (7% de la population).

Ils existaient avant 1945. Les métiers concernés avaient déjà créé leur propre système de retraite, c’est pour cela qu’ils n’ont pas rejoint le régime général par peur d’être moins bien couverts. Ils ne prévoient pas le même âge de départ, ni le même nombre de semestres nécessaires à l’obtention d’une retraite à taux plein.

En France, il s’agit de l’assurance vieillesse, qui est alors chargée de nous verser un montant à chaque reprise, ce qui correspond à notre pension de retraite. Mais il y également des compléments de retraite, comme les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO.

Il faut aussi bien saisir qu’il y a deux variables importantes qui indiquent quand et comment il est possible de partir à la retraite :

  • L’âge minimum de départ,
  • le nombre de trimestres nécessaires pour pouvoir partir à taux plein.

Donc si l’on recule l’âge légal de la retraite, cela obligera a fortiori à travailler plus longtemps. Ces deux leviers ont été beaucoup utilisés lors des différentes réformes des retraites depuis 20 ans.

Histoire des retraites en France

Tout le système décrit a été mis en place en 1945 lors de la création de la Sécurité sociale, l’âge minimal de départ était alors fixé à 65 ans. Le plan français de Sécurité sociale prévu dès 1944 par le Conseil national de la Résistance, a été établi par les ordonnances de 1945 et mis en application dès le 1er janvier 1946.

En 1982, François Mitterrand met en place ce qui est alors considéré comme un progrès social : permettre aux gens de travailler moins longtemps. Il fixe l’âge de la retraite à 60 ans et le taux plein à 37,5 années de cotisation. Les pensions de retraite sont indexées sur l’évolution générale des salaires, ce qui apparaît comme très avantageux.

Mais le ton va vite changer, 10 ans plus tard, dès les années 90, un discours prend place petit à petit : il faudrait travailler plus longtemps.

Cependant, ce système où les actifs paient pour les retraites semble avoir une limite. Démographie et chômage obligent, en 2010 il y aura moins de deux cotisants pour un retraité. Afin de préserver le système par répartition dans lequel les actifs paient pour les retraites des inactifs, il faut, selon Michel Rocard, progressivement adapter le système.

Dès lors que l’on vit plus longtemps – parfois bien plus longtemps – on devra travailler aussi un peu plus longtemps. Il faut travailler plus pour produire plus et pour gagner plus.

Les arguments sont d’ailleurs les mêmes qu’aujourd’hui : On vit plus longtemps. Il faut rééquilibrer les finances du pays.

Et à partir des années 90, c’est un véritable festival de réformes ! En 1993, c’est la réforme Balladur. Qu’on le veuille ou non, c’est ce qui semble être la fin de la retraite à 60 ans.

La durée de cotisation passe de 37,5 ans à 40 ans pour le secteur privé, et les pensions ne sont plus indexées sur l’évolution des salaires, mais sur l’inflation. Résultat, en moyenne, les retraites ont baissé de 6 % pour l’ensemble de la population.

En 1995, Juppé veut s’attaquer aux régimes spéciaux et aligner le public sur le privé, mais il fait face à une très forte mobilisation. « Nous allons réussir ce qu’on n’a pas osé entreprendre depuis trente ans. »  Le résultat : des centaines de milliers de personnes dans les rue. La France est bloquée, le projet est retiré.

Une partie de ces mesures passera tout de même plus tard, en 2003, avec la réforme Fillon, les fonctionnaires verront alors leur régime devenir le même que pour le privé.

Désormais, pour faire valoir ses droits dans le public comme dans le privé, la durée légale de cotisation est fixée à 40 ans puis 41 ans à partir de 2012 et à 42 ans d’ici 2020.

En 2007, sous Sarkozy, les régimes spéciaux sont finalement réformés. Ils devront travailler 40 annuités pour avoir le taux plein. En 2010, sous Sarkozy toujours, la réforme Woerth met fin à la retraite à 60 ans. L’âge légal est repoussé à 62 ans. Le système de décote devient aussi plus restrictif. Travailler au-delà de 60 ans, ce sera bientôt la règle. Principale mesure de la réforme présentée par le ministre du Travail, le recul de l’âge de départ en retraite à 62 ans.

Enfin, la réforme la plus récente, c’est la réforme Touraine sous François Hollande, en 2014.  Elle rallonge encore la durée de cotisation. Au moment de la réforme, il faut avoir travaillé 41,5 ans pour avoir le taux plein. La réforme prévoit que le nombre de trimestres augmente tous les 3 ans entre 2020 et 2035.

Donc, en 2035, il faudrait avoir travaillé 43 ans pour avoir le taux plein. Une chose est sûre, des économies, chaque gouvernement s’est essayé à en faire sur la question les retraites – qu’il soit dit de droite ou de gauche – mais ce n’était visiblement jamais assez. Emmanuel Macron compte bien aller encore plus loin.

La réforme des retraites, grand projet du second quinquennat Macron. Source : France Info
Après plusieurs obstacles, la machine est désormais en marche

Comme vu précédemment depuis plusieurs décennies, les gouvernements se succèdent et s’efforcent à faire le même constat : la France est endettée et le système des retraites actuel ne cesse de créer des gouffres financiers dans les caisses de l’État. Mais aucun dirigeant politique jusqu’à présent n’a réellement fait bouger les lignes.

Après une première mandature semée d’embûches, l’affaire Benalla, les gilets jaunes, les premières manifestations sur les retraites et bien évidemment la Covid-19, Emmanuel Macron a longtemps tergiversé avant de mettre la machine en marche.

L’augmentation de l’espérance de vie est l’un des principaux arguments avancés par la majorité. “Le seul levier” pour remettre à l’équilibre le système par répartition, est de “travailler plus longtemps”, déclarait Emmanuel Macron sur TF1 au début du mois de décembre 2022. En France, la démographie est en constante baisse depuis plusieurs années, un facteur sur lequel le gouvernement peut se reposer. En effet, jusqu’aux années 1970, beaucoup de ressources ont été générées parce qu’une génération nombreuse a beaucoup cotisé. Il y avait alors 3,8 cotisants pour un seul retraité. Aujourd’hui, il y en a seulement 1,7 pour un retraité. En 2070, ce chiffre pourrait même tomber à 1,2 pour un retraité.

Un projet de loi pour retrouver un système des retraites à l’équilibre

Arrivé au Palais Bourbon le 6 février dernier, le projet de loi suscite désormais l’intérêt de tous. Olivier Dussopt, ministre du Travail, ainsi que Gabriel Attal, ministre des Comptes publics ont réitéré leurs arguments aux députés afin de montrer la nécessité de réaliser cette réforme. Le grand changement de cette réforme gouvernementale, c’est l’âge de départ légal à la retraite qui est reculé de deux années.  Effectivement, le gouvernement a fixé deux caps, le premier à horizon 2027 avec un départ qui passera peu à peu à 63 ans, puis, le second, cap en 2030 pour atteindre 64 ans. L’objectif étant que le système soit à l’équilibre en 2030. Changement également pour la durée de cotisation, cette dernière passe désormais de 42 annuités (soit 168 trimestres) à 43 annuités (172 trimestres).

Élisabeth Borne a également annoncé la fin des régimes spéciaux (EDF, SNCF, RATP…), à quelques exceptions près : le régime de l’Opéra de Paris, celui de la Comédie-Française ou encore des marins pêcheurs. Les congés parentaux seront pris en compte. Cela signifie que pour une période de 90 jours de congé parental, c’est un trimestre qui sera comptabilisé pour partir à la retraite à taux plein.

La pénibilité au travail, enjeu majeur de la réforme ?

Aujourd’hui, plusieurs facteurs de pénibilité sont pris en compte dans le calcul de l’âge du départ à la retraite. Les températures extrêmes, les charges lourdes, le travail de nuit ou encore le bruit sont des critères qui rentrent en compte. Au début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron en a supprimé quatre sur dix : les vibrations mécaniques, le port de charges lourdes, les agents chimiques dangereux et les postures pénibles. Ce choix avait été fait afin d’aider les entreprises qui n’arrivaient pas toujours à apprécier la pénibilité de certaines tâches. 

Les syndicats ont appelé la majorité à réintégrer ces critères de pénibilité, en vain. En parallèle, Élisabeth Borne a annoncé la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle dans le but d’apporter aux travailleurs “un suivi médical, repérer les fragilités et mieux accompagner ces salariés vers des dispositifs de départ anticipé à 62 ans pour raison de santé” déclarait la Première ministre lors de la présentation de la réforme.

Cette réforme propose plusieurs éléments qui visent à modifier la prise en compte des critères de pénibilité. Le projet souhaite notamment diminuer les seuils d’acquisition de points pour le travail de nuit, ce qui ferait passer le nombre de 120 nuits à 100 nuits par an. La valeur de tous les points accumulés offrira la possibilité de financer davantage les formations, notamment pour accompagner les travailleurs dans une reconversion professionnelle.

Qui sera concerné par cette réforme ?

Les personnes nées avant le 31 août 1961 ne sont pas concernées par la réforme. Cette dernière sera mise en vigueur petit à petit et s’étalera jusqu’en 2032 : un trimestre sera ajouté chaque année. Par exemple, une personne née entre le 1er septembre 1961 partira à 62 ans et 3 mois. Puis, pour celles nées en 1962 partiront à 62 ans et 6 mois. Le même principe s’appliquera à toutes les autres personnes, jusqu’à l’année 1968. En revanche, toute personne née à partir du 1er janvier 1968 partira à la retraite à 64 ans.

Éric Ciotti, le patron des Républicains peut être la clé du vote. Source : Les Echos
1200€, la demande des Républicains, groupe si précieux pour le gouvernement

L’un des objectifs de la majorité est de faire passer cette réforme des retraites sans utiliser “l’arme du 49.3”. Déjà utilisée à dix reprises par la Première ministre depuis le 19 octobre, le gouvernement – tout comme les oppositions – se passeraient bien d’un onzième passage en force.

Éric Ciotti, le président des Républicains, espère bien voter cette réforme que la droite a toujours soutenue, mais il souhaite qu’elle soit “juste”. À droite, “c’est une question de cohérence et de responsabilité”. Le président LR a d’ores et déjà annoncé dans le Journal du Dimanche que l’une des conditions de leur vote sera “que la situation des retraités, futurs et actuels, soit considérablement améliorée”. Il précise également son envie que la pension minimale de 1 200€, “s’applique de façon rétroactive aux retraités actuels qui bénéficient des pensions les plus modestes”.

Pas d’alliance en vue pour l’instant, la majorité présidentielle et Les Républicains discutent sur les enjeux majeurs de la réforme. La décision finale du groupe détenu par Éric Ciotti sera la clé du scrutin qui fera passer, en force ou non, la réforme qui fait tant converser.

“Réveiller la joie, réveiller l’orgueil” : le réveil de la NUPES
Jean-Luc Mélenchon, lors de la marche du 21 janvier à Paris. Source : Gaspard Le Rest (ig : @gaspard_lr)

Le 10 janvier, à Paris, la réforme des retraites est annoncée par la Première ministre, Élisabeth Borne. Le 10 janvier, toujours dans la capitale française, se tenait le premier meeting politique contre cette même réforme, organisé par les journaux Fakir et Reporterre.

Fabien Roussel (PCF), Marine Tondelier (EELV), François Ruffin et Mathilde Panot (LFI), Boris Vallaud (PS) et Pauline Salingue (NPA) étaient ainsi réunis dans une promesse d’un front uni de la gauche contre la nouvelle réforme gouvernementale. Une NUPES bis ? C’est du moins l’ambiance générale que dégageait ce premier meeting, au goût de veille des législatives 2022.

François Ruffin, à l’initiative de cette réunion, donne d’emblée le ton : “il faut toucher les gens par la fierté, (…) réveiller la joie, réveiller l’orgueil”, quand Marine Tondelier rétorque, “l’Assemblée nationale, ça va être la ZAD”. 

La bataille peut donc commencer, dans les sièges de l’Assemblée, le 6 février, alors que le gouvernement ne dispose que d’une majorité relative (248 élus sur les 289 requis) et que la NUPES semble faire front autour d’une idée : la réforme est injuste et ne doit pas passer.

Une course contre la montre parlementaire

20 jours. C’est le temps dont dispose désormais l’Assemblée pour examiner le projet de loi, l’analyser, déposer des amendements, les examiner une nouvelle fois en Commission, puis pour voter la loi : comme le regrette le député communiste André Chassaigne dans une tribune au journal Le Monde, “cela rend impossible toute discussion parlementaire”.

En effet, une fois l’échéance du 17 février à minuit passée, le texte sera transmis au Sénat, même si étudié que partiellement par les députés. Des délais très courts sont dénoncés par les oppositions, et tout particulièrement les membres de la NUPES qui craignent de voir le gouvernement imposer le projet de loi sans que les points essentiels n’eussent été discutés. Le débat est ainsi pour le moment bloqué à l’article 3, après rejet ce mercredi de l’article 2, alors que l’article 7 dévolu à l’âge de départ à la retraite reste prioritaire pour l’opposition qui doute désormais d’obtenir voix au chapitre d’ici à vendredi. [ndlr : éléments pris à date de la rédaction de l’article, le 16/02/23].

Alors que le temps joue en la défaveur de l’opposition de gauche, la lutte ne faiblit pas : le 6 février, la motion de censure déposée par la NUPES est rejetée de justesse, par 292 voix contre 243. Le 7, un amendement visant à supprimer l’article liminaire du projet de loi est finalement repoussé, à 10 voix près. Dans le même temps, 13 000 amendements sont déposés par La France Insoumise, 1413 par le Parti Socialiste, 2349 par Europe Ecologie les Verts et 1169 par le Parti Communiste Français. Accusée par la majorité et les syndicats d’une obstruction parlementaire, la NUPES a fait le choix, ce lundi 13 février, de retirer l’ensemble de ses 1300 amendements sur l’article 2 afin d’accélérer le processus et pouvoir examiner dans le temps imparti l’article 7. 

“Unis et solidaires, deux adjectifs qui ne caractérisent pas cette réforme des retraites” – Marine Tondelier 
Olivier Faure (PS) aux côtés de Marine Tondelier (EELV). Source : Gaspard Le Rest (ig : @gaspard_lr)

Le front de gauche est-il si uni et solidaire qu’il le prétend, ou cache-t-il, comme l’affirme Olivier Dussopt, des “divisions” entre les partis ? 

Si l’ensemble de la NUPES s’accorde pour s’opposer à l’article 7 dévolu à l’âge de départ à la retraite, qui représente selon François Ruffin “ce qui compte pour les gens”, l’uniformité des positions n’est toutefois pas forcément acquise. En effet, le programme défendu par la NUPES dans le programme proposé lors des élections législatives de 2022 s’accordait pour une retraite à 60 ans, avec 40 années de cotisation, soit la position générale de LFI. 

Pourtant, Olivier Faure et Fabien Roussel parlent désormais de 43 annuités pour un départ à la retraite à 60 ans et EELV peine à affirmer sa position, minée par les dissentions internes, alors que Sandrine Rousseau préconise un départ à 60 ans, en opposition à Yannick Jadot qui parle de 62 ans.

Des divergences… mais une unité vitale 

D’autre part, au delà du positionnement de chacun, de nouveaux tiraillements sont donnés à voir entre les partis sur la stratégie à adopter, notamment au regard du rôle d’Adrien Quatennens dans les débats et de son retour à l’Assemblée nationale. Sa première intervention depuis sa condamnation pour violences conjugales s’est ainsi vue saluée d’un côté, d’applaudissement du côté du cercle de Jean-Luc Mélenchon, et de l’autre, de la sortie de la salle de plusieurs députées, telles que les écologistes Sandrine Rousseau, Sophie Taillé-Polian, Sandra Regol, Marie-Charlotte Garin, et la communiste Elsa Faucillon. 

Les débats se sont dès lors vus être éclipsés par l’intervention du député Lillois, au grand regret de plusieurs élus de la NUPES tels que Marine Tondelier soulignant avec regret au micro de BFM-TV qu’elle “avai[t] envie de parler retraites et doi[t] parler Adrien Quatennens”. 

À cela s’ajoute une multiplication des polémiques côté Insoumis, avec une exclusion de 15 jours de l’Assemblée pour le député Thomas Portes ayant posté une photo où il posait son pied sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail, et sa qualification d’“assassin” par le député Aurélien Saintoul. 

Une stratégie qui n’est pas sans fatiguer les syndicats, à l’instar de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT qui parle d’un “spectacle lamentable n’a[yant] rien à voir avec la dignité du mouvement de rue” mais également certains membres de la NUPES tels que le socialiste Guillaume Garot pour Le Figaro : “Chez LFI, comme dans la majorité, il y a des comportements indignes de députés, qui ne passent pas auprès des citoyens”.

Malgré ces incertitudes sur la durabilité de l’alliance, le front semble rester uni, en témoigne la suppression d’une partie de leurs amendements afin d’accélérer le processus des débats parlementaires et le vote unanime contre l’article 2 sur l’index des seniors. 

Toutefois, une chose semble certaine : si l’alliance dure, elle risque de s’effondrer face à un échec dans le combat contre la réforme des retraites. En effet, les dernières élections internes des différents partis de la NUPES, à l’instar d’EELV et de sa volonté de proposer une liste écologiste pour les élections européennes, ou des tensions internes au PS donnent à voir une alliance fragile et peu dynamisée. L’absence d’échéances électorales fait donc de la lutte contre la réforme des retraites le seul élément de convergence et de mise en tension politique pour l’alliance de gauche. 

La réforme recouvre ainsi un double enjeu pour l’opposition de gauche : celui de faire plier le gouvernement, d’une part, et celui de solidifier la position de la NUPES comme véritable parti d’opposition du gouvernement. 

L’opposition du Rassemblement National à la réforme des retraites
Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe Rassemblement national (RN), au côté de Sébastien Chenu (à gauche), député du Nord et vice-président de l’Assemblée nationale, lors d’une niche parlementaire du RN, le jeudi 12 janvier 2023. Source : Slate

Le Rassemblement National est l’un des deux principaux partis qui s’opposent à la réforme des retraites avec la NUPES. En effet, le programme présidentiel de Marine le Pen proposait un départ à la retraite à 60 ans pour les personnes qui sont entrées dans la vie active entre 17 et 20 ans. Ainsi, la logique veut que le parti s’oppose à la proposition de loi du gouvernement d’Emmanuel Macron qui propose de décaler l’âge de départ à la retraite à 64 ans pour tous.

Quelle stratégie pour le Rassemblement National ?

D’après nos observations, nous pouvons constater que le Rassemblement National a opté pour une stratégie aux antipodes de celle de la NUPES. En effet, si l’alliance de la gauche mise en grande partie sur la mobilisation dans la rue, le Rassemblement National parie en revanche sur l’opposition au gouvernement au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale et sur ses élus et militants aux différentes échelles des territoires.

Lors du débat sur la réforme des retraites organisé par BFM TV le mardi 24 janvier, Jordan Bardella, président du parti, a laissé entendre que le parti laissait carte blanche à ses militants pour organiser des actions qui symboliseraient son opposition et préférait compter sur le travail parlementaire pour éviter le chaos dans les rues. Cette observation est concrétisée par la non-présence de mouvances proches du parti et de députés étiquetés Rassemblement National dans la rue lors des manifestations organisées par l’intersyndicale. Ce que Jordan Bardella a justifié par le fait, “qu’ils n’étaient pas les bienvenus”, lors de ce type de manifestations. 

Ainsi, le Rassemblement National a proposé divers amendements pour contrer le projet de réforme des retraites du gouvernement Borne au sein de l’hémicycle, conformément à sa stratégie. Les militants et élus du parti se mobilisent également sur le terrain contre la réforme des retraites notamment via du collage et de la mise en place de banderoles avec l’exemple de Valéry Elophe, conseiller régional Nouvelle-Aquitaine pour le département de la Corrèze. 

Valéry Elophe, conseiller régional Nouvelle Aquitaine de la Corrèze du Rassemblement National mène une action d’opposition à la réforme des retraites à Tulle, préfecture du département – Source : Page Facebook de Valéry Eloph
Quelles sont les propositions du Rassemblement National au sein de l’hémicycle pour s’opposer à la réforme des retraites ?

Depuis le début des débats sur la réforme des retraites, seuls 238 amendements ont été déposés par le Rassemblement National. Pour autant, les amendements déposés démontrent plusieurs aspects de la vision du parti sur la thématique des retraites. 

Dans un premier temps, le Rassemblement National avait déposé, lors de l’ouverture des débats, une motion référendaire qui avait été tirée au sort pour être votée la première. Cette motion référendaire, à l’initiative des parlementaires, avait pour objectif de suspendre l’examen de ce projet de loi afin de soumettre ce texte à un référendum et donc à la décision du peuple français en âge de voter. Elle n’a malheureusement pas abouti puisque les députés NUPES ont quitté l’hémicycle par mécontentement du résultat du tirage au sort. Ainsi, les députés Rassemblement National, lors de leurs prises de parole, taclent le véhicule législatif utilisé par le gouvernement (l’article 47-1) pour les contraindre à débattre en peu de temps à propos de la réforme qu’ils souhaitent mettre en place.

De plus, au vu de certains amendements proposés par le groupe Rassemblement National, le parti semble profiter de cette tribune donnée par les discussions autour de la réforme des retraites pour remettre une idée qui lui est chère au goût du jour : inciter à une politique nataliste pour sauver le système des retraites par répartition et éviter une “immigration de peuplement”. En effet, nous pouvons citer la prise de parole de la députée Laure Lavalette dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale qui en faisait l’éloge. 

Hier dans la journée, le Rassemblement National a annoncé vouloir déposer une motion de censure “afin que les députés opposés” à la réforme des retraites “puissent exprimer leur rejet de ce texte”. Cette annonce vise à répondre au manque de pugnacité dont le Rassemblement National est accusé par ses opposants dont les députés Les Républicains. Elle confirme également que les députés du groupe Rassemblement National à l’Assemblée nationale sont disposés à utiliser tous les dispositifs prévus par cette dernière pour s’opposer à cette réforme. 

Une stratégie payante pour le Rassemblement National ?

En optant pour cette stratégie, le Rassemblement National veut démontrer qu’il est un parti de gouvernement et souhaite faire démentir ses principaux adversaires. Un des principaux objectifs du Rassemblement National est de profiter de la présence inédite de 88 députés à l’Assemblée nationale pour s’assurer d’avoir une “bonne image”. En comptant sur le travail des députés en lien avec cette réforme, le parti souhaite montrer qu’il est en capacité de traiter des thématiques brûlantes et souhaite se donner une image de rigueur et de sérieux dont il a besoin pour préparer l’enjeu des élections présidentielles de 2027. Marine le Pen et Jordan Bardella ne cachent pas leur ambition de prendre le pouvoir et d’être “la véritable alternance à Emmanuel Macron” en 2027. 

En proposant ses idées par la voie démocratique et en s’assurant de la médiatisation de celles-ci via ses ténors, le Rassemblement National cherche à faire parler de lui et à mettre au centre des débats les notions qu’il a mis en avant de son programme. Parmi celles-ci, nous pouvons souligner la préférence nationale qui est l’une des idées centrales de ce parti depuis sa création, à savoir “défendre les français”. Par ses propositions de loi sur la réforme des retraites, le Rassemblement National démontre sa volonté politique de réserver des avantages, généralement financiers, et à l’emploi aux détenteurs de la nationalité française ou à refuser les aides sociales à des personnes qui n’auraient pas la nationalité française. 

De plus, le Rassemblement National se met à distance des conflits et des tensions futiles qui gangrènent l’Assemblée nationale depuis une semaine. À l’image de la prise de parole de Marine Le Pen, cheffe du groupe parlementaire du Rassemblement National en date du 13 février qui déclare que “en politique, on a pas d’ennemis, on a des adversaires”, à la suite du fait qu’un député LFI ait accusé d’assassin Olivier Dussopt, ministre du Travail. 

Quelles limites pour cette stratégie adoptée par le Rassemblement National ?

Le Rassemblement National tente, tant bien que mal, par les dispositifs démocratiques existants, de s’opposer à la réforme des retraites. Néanmoins, cette option induit des limites qui peuvent faire que le gouvernement puisse réussir à faire passer sa réforme des retraites grâce aux votes des députés de la majorité.

En effet, la première chose que nous pouvons observer est que le Rassemblement National reste dans l’opposition permanente à la NUPES alors que les deux groupes parlementaires sont des opposants à cette réforme. Cette opposition réciproque et aux divers motifs empêche de construire un front commun et de souder une opposition trans-partisane à cette réforme. Le fossé existant entre les deux modèles de sociétés proposés par ces deux partis empêche alors leur entente, et a donné lieu à la non-concrétisation des motions référendaires proposées par les deux camps. Jordan Bardella avait pourtant interpellé Mathilde Panot sur une proposition d’entente mais celle-ci y a répondu défavorablement pour les raisons évoqués précédemment lors du débat organisé par BFM TV. 

De plus, cette stratégie repose grandement sur la présence des députés du groupe Rassemblement National dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. En effet, si ces derniers ne peuvent être présents, l’opposition s’amoindrit et des amendements en faveur de la réforme des retraites peuvent être votés si celle-ci se retrouve en minorité. 

Ainsi, cette stratégie et le travail parlementaire réalisé par les députés du parti lors de cette réforme impopulaire est un galon d’essai pour le Rassemblement national qu’il se doit de convertir s’il veut rester sur la dynamique qu’il a enclenché. 

“Pas de 49.3 dans la rue” : la mobilisation citoyenne
Mobilisation du 19 janvier, Paris. Source : Gaspard Le Rest (ig : @gaspard_lr)

Depuis 30 ans, peu de mobilisations ont soulevé plus d’1 million de Français dans les rues. Pourtant, ces dernières semaines en font partie.

Marine Tondelier, secrétaire générale d’EELV, le rappelle encore, le 10 janvier, “pas de 49.3 dans la rue”. En effet, si c’est sur les élégants sièges de l’Assemblée, puis du Sénat, que l’avenir de la réforme semble se fixer, le véritable théâtre se joue dans la rue.

En 1995 déjà, le plan Juppé proposant une refonte des régimes spéciaux pour les retraites, la rue se soulève : 3 semaines de mobilisations, 1 à 2,2 millions de manifestants et un blocage massif du pays à quelques jours de Noël. La réforme est retirée.

Alors, pas de 49.3 dans la rue, qu’en dit-on ?

Le tour de force des syndicats

La réponse de la rue se fait d’abord par le biais des syndicats. Le 10 janvier, Élisabeth Borne présente le projet de réforme des retraites. Riposte presque immédiate des syndicats qui annoncent, pour le 19 janvier, une première journée de mobilisation et la réunion des différents groupes en une intersyndicale. Pour la première fois depuis 12 ans, l’ensemble des organisations syndicales appelle à manifester ensemble, dans une “réponse commune de mobilisation interprofessionnelle”, comme le souligne leur communiqué.

💡 Une intersyndicale, qu’est ce que c’est ? Il s’agit d’une structure informelle regroupant différents syndicats issus d’un même secteur d’activité ou non afin de mener des actions communes dans le cadre de mobilisations ou de grèves généralisées.

La marche est donc donnée par les syndicats. Les dates des mobilisations sont étudiées et validées par ces derniers, et la cadence suit celles de la CGT, la CFDT et autres. Accélérer le tempo. Renforcer la pression sur le gouvernement. Bloquer le pays. Et on recommence la semaine suivante.

L’intersyndicale de la RATP illustre cette dynamique : elle appelle ainsi à une grève reconductible à compter du 7 mars, suivant avec cohérence le calendrier des mobilisations des différents syndicats. Un bras de fer est donc mené contre le gouvernement afin de “mettre la France à l’arrêt”, comme le souligne Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, souhaitant radicaliser le mouvement.

Une alliance à double tranchant

Pourtant, quelques limites semblent déjà naître de cette jeune intersyndicale… Comme le souligne Nadia B., 64 ans, syndiquée, ce fonctionnement est “à double tranchant” : “d’un côté, ça fait “plaisir” aux citoyens et c’est effectivement rassembleur et motivant. Pour moi, c’est plus un frein… Il faut s’aligner sur le “moins disant” CFDT en tête qui avance à petit pas, faut pas braquer, faut pas fâcher…”.

En effet, alors que l’intersyndicale et les manifestants appellent à un durcissement des actions, ces dernières semblent être freinées par la dispersion des dates de mobilisation. Au regret des syndiqués eux-mêmes, comme Nadia B. qui indique que “c’est la première fois qu’[elle voit] ça dans la construction d’un mouvement social.” Trop de dispersion, pas assez d’actions choc : ainsi semble se résumer la stratégie de l’intersyndicale qui, si elle menace de mettre le pays à l’arrêt, tarde à exécuter cette dernière et ainsi à satisfaire les attentes des syndiqués et Français mobilisés.

Par ailleurs, les premières dissonances se font déjà entendre, notamment sur la conduite à suivre en cas de vote de la loi. Si Philippe Martinez et la CGT derrière lui appellent à une mobilisation conséquente, même en cas de passage de la loi, Laurent Berger et la CFDT s’opposent à toute poursuite de la contestation si la réforme venait à être votée. 

“La retraite, à 60 ans, on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder”
Marche du 31 janvier à Paris. Source : Gaspard Le Rest (ig : @gaspard_lr)

Mais si les syndicats donnent le rythme, les paroles, les chansons et les pas sur le pavé sont bien ceux des Français. La mobilisation touche, et dure. Lors de la première journée de manifestation, le 19 janvier dernier, entre 1,12 et 2 millions de personnes en France se sont retrouvées dans la rue pour manifester. Ce fut le cas pour entre 1,27 et 2,8 millions de personnes le 31 janvier, puis entre 757 000 et 1,217 million le 7 février, pour atteindre finalement, lors de la 4e journée de mobilisation, 2,5 millions de manifestants en France selon la CGT.

Dans les rues, l’heure est au sourire, à l’entente : être en colère, certes, mais en chanson, en slogans et en rires. Laurent Berger souhaitait pour le 11 février “une fête du travail, avec des cortèges pacifiques et festifs, (…) une mobilisation populaire, dépassant largement notre cadre habituel” : visiblement, il l’aurait eue. Les rues de la capitale abondent d’un public disparate : des enfants chantent des slogans accompagnés de leurs parents, des étudiants donnent le rythme, les pancartes rivalisent de créativité, les syndicats colorent le cortège et les politique se tiennent en retrait. L’heure est bien à la mobilisation populaire, alors pas d’écharpe tricolore pour Alexis Corbière qui prend part sobrement au défilé, quelques stands pour EELV, le PS ou encore LFI. Mais rien de plus.

Un cortège joyeux et salué par l’opinion publique qui ne cesse de renouveler sa sympathie pour la mobilisation. Comme le souligne en effet l’étude Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro publiée début février, 71% des sondés se prononcent en faveur des manifestants.

Des chiffres en hausse ces dernières semaines… malgré des chiffres en baisse pour les manifestants dans les cortèges, suscitant de nouvelles inquiétudes sur la mobilisation, notamment celle du 16 février. En effet, chaque journée de grève est une journée de salaire perdue pour les grévistes… un coût élevé, et ce, tout particulièrement dans le contexte inflationniste de ce début d’année 2023, laissant craindre une mobilisation fragile et difficilement viable. 

Séverine L., institutrice non syndiquée a ainsi manifesté à chaque journée de grève contre la réforme des retraites : elle ne fera plus grève, pour économiser pour les luttes à venir pour le corps enseignant. Elle souligne par ailleurs une mobilisation “finalement un peu décevante samedi” et des “actions peu efficaces” depuis le début du mouvement de contestation.

“Macron t’es foutu la jeunesse est dans la rue”, vraiment ?
Mobilisation des syndicats étudiants, le 19 janvier, à Paris. “Les étudiants vont devoir travailler bien au-delà des 64 ans.” estime Imane Ouelhadj, présidente du syndicat étudiant Unef. Source : Les Echos / Faustine Mazereeuw

Autre point d’inquiétude : la faible mobilisation de la jeunesse dans le mouvement de contestation, pourtant véritable levier pour son succès. Si quelques actions de blocage dans les universités et lycées en France ont été observées, aucun mouvement de masse n’est à noter pour le moment selon le journal Le Monde. Les interventions d’élus dans les universités, telles que celles de Louis Boyard, député LFI, sont quant à elles vues d’un œil distant et critique. La jeunesse veut se mobiliser, mais sans être instrumentalisée ni par les politiques, ni par les syndicats : Léon Deffontaines, secrétaire général des Jeunes communistes, souligne en effet pour Le Monde que “ces récupérations politiques peuvent être un vecteur de démobilisation”.

Alors que 180 000 étudiants étaient mobilisés sur l’ensemble du territoire français le 9 février, selon l’UNEF, Léon Deffontaines, parle d’un “frémissement dans le monde universitaire et étudiant”. Un frémissement, un mois après le début des mobilisations, est peut-être le signe d’une nouvelle étincelle, alors que les organisations étudiantes appellent, de plus en plus, à se détacher du calendrier de l’intersyndicale pour imposer une cadence plus soutenue.

Dans les rues, ils ont pourtant leur cortège et ils sont là, au milieu des cheveux poivre et sel. Comme le souligne Nadia A., étudiante en école de commerce et manifestante, “je ne me mobilise pas seulement pour ma retraite, je me mobilise aussi pour tous ceux qui seront touchés par cette réforme régressive. C’est tellement injuste.”

Finalement, si la lutte est pour les retraites et la solidarité envers les plus âgés et plus vulnérables, elle donne pourtant à voir une convergence vers une union des générations. C’est ce que considère Nadia A., lorsqu’elle indique que “nous sommes des millions à déferler dans les rues de toute la France à chaque rendez-vous et on y retrouve toutes les générations, de Manès Nadel à Annie Ernaux, [et] trouve ça super.”. Elle ajoute que “la Macronie, c’est le mépris social et rien d’autre. Ce qui s’exprime dans la rue, c’est une réponse à ce mépris.”

La rue répond donc au gouvernement, se heurtant, pour le moment, à la surdité de l’exécutif…

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