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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

La révolution du TED: s’ouvrir à la discussion

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Servane Giraud

Étudiante en double cursus Chinois Commerce International à l'INALCO, je suis journaliste dans la rubrique Culture et écris au gré de mes passions !
Se réclamant d’un courant contemporain qui valorise l’importance de la discussion, la conférence TED s’est véritablement imposée en tant que phénomène culturel influent depuis la décennie 2010. En abordant des sujets en rapport avec les questions sociétales modernes, l’objectif est de faire de la place au débat tout en conciliant les oppositions.

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© TEDx

D’une voix réconcilier les esprits

“Veuillez sélectionner vos centres d’intérêt”. 

Développement personnel. Théories scientifiques. Climat. Activisme. Économie. Religion. Danse. Ethnie. Droits humains. Humour. Société. Santé…. Nos auteurs classiques jalouseraient l’exploration littéraire que permetle concept, tandis que les ethnologues s’amuseraient de voir leur discipline élevée sur le devant de la scène (littéralement). Puis la place est cédée à la technologie, qui questionne sans répit l’impact de l’intelligence artificielle. Dans ces salles obscures de conférence, les débats féministes s’invitent finalement, clamant la nécessité de revisiter les rapports entre les genres et de former les jeunesses. La liste se déroule ainsi. Et elle s’allonge encore d’autant de thématiques que l’esprit peut concevoir, d’autant d’évènements qui existent et qu’il est permis d’aborder sans entraves.

Le concept du TED est simple. Il s’agit de discuter d’une thématique, y apporter un regard neuf, dégager des idées et élaborer de nouvelles théories. Ces conférences, données en public puis diffusées principalement sur internet, font intervenir un large panel d’invités allant de personnalités connues à des entrepreneur·es jusqu’à des intervenant·es bénévoles, des aventuriers et des scientifiques, tous soucieux·ses de partager une réflexion plus poussée. Avec le slogan prometteur d’Ideas Worth Spreading (ou Idées qui méritent d’être partagées), le concept des conférences TED, créé en 1984 aux États-Unis, s’est véritablement imposé en tant que phénomène culturel influent depuis la décennie 2010. Ces conférences sont organisées par des bénévoles, qui affinent leur recherches et sélectionnent des candidats ayant un message à délivrer ou une action qui serait bénéfique au savoir commun.

Les présentations, qui peuvent s’étendre de cinq à dix-huit minutes, s’apparentent à celles qui se déroulaient dans les salles de classe, celles que l’on amorçaient avec l’appréhension de capter l’attention d’un public. Avec une certaine assurance qui manquait alors à l’époque, les orateur·rices délivrent des discours libres mais structurés, percutants mais empreints d’empathie. Bien que soumis à des règles — quelques blagues doivent être glissées dans le discours, les termes trop abscons éliminés et le temps doit être soigneusement géré — l’objectif est de permettre aux spectateurs de tirer une leçon du discours venant d’être prononcé. Au vu de ces ambitions, l’expansion future du concept s’impose comme une évidence. Et s’il était temps de s’ouvrir à la discussion? 

Parler de féminisme

Dans une conférence qu’il intitule “Why I’m done trying to be man enough?”, l’acteur Justin Baldoni tente de renouer le dialogue entre les hommes et leur rapport à la virilité afin de redéfinir ce qu’est la masculinité, et les idées reçues qui persistent quant à cette identité. : “Êtes-vous assez courageux pour être vulnérable? Êtes-vous assez fort pour être sensible? Êtes-vous assez confiant pour écouter les femmes de votre vie?”. Il lance un appel aux hommes, assis dans son public ou derrière leurs écrans, à baisser leur garde face à un système qui, de toute évidence, les oppresse (bien trop facilement, bien trop subtilement). Ses propos appellent ainsi à déconstruire cette image de l’homme qui ne serait valide qu’en niant ses faiblesses. 

Lors de sa conférence TED en 2017, l’écrivaine nigériane et figure du militantisme féministe et anti-racisme Chimamanda Ngozi Adichie évoque une idée similaire : celle de la nécessité d’éduquer les garçons différemment, en leur laissant exprimer leur vulnérabilité, en élargissant les cadres de la masculinité et en abattant ce qu’elle est supposée être. Elle demande à ce que les relations entre les sexes soient rééquilibrées, non pas en fonction de rapports de force ou d’une idée pré-établie de dominance, mais en fonction de ce qui serait le plus logique (“Et si l’attitude n’était pas “le garçon doit payer” mais plutôt “celui qui a le plus d’argent doit payer”?). En faisant état de situations sexistes auxquelles elle a assistées et vécues au sein de la société nigériane, elle insiste sur la nécessité de repenser les rapportsentre les hommes et les femmes, et de les replacer dans un monde égalitaire qui ne se nourrirait pas des différences mais prônerait l’acceptance et l’égalité des sexes.

L’art de communiquer

Notre langage guide-t-il nos modes de pensées? Lera Boroditsky, chercheuse en sciences cognitives, propose une réflexion sur les mécanisme du langage qui influent sur la manière dont les pensées se forment et s’organisent (cf. How language shapes the way we think). Son discours estd’abord introduit avec humour: “Grâce à cette capacité  [du langage], nous, les humains, pouvons transmettre nos idées à travers de vastes étendues d’espace et de temps. Je peux mettre une idée bizarre dans votre tête là maintenant. Je pourrais dire: « Imaginez une méduse valsant dans une bibliothèque tout en réfléchissant à la mécanique quantique. ». Puis, elle poursuit en mettant en avant la profonde diversité linguistique de nos sociétés. Elle remarque que chaque peuple détenteur d’une langue perçoit des concepts tels que l’espace et le temps, les couleurs (le spectre de couleurs étant beaucoup plus vaste dans certaines langues) ou encore les genres en grammaire, très différemment. Par exemple, en étudiant le groupe aborigène des Thaayorres en Australie, elle a observé leur utilisation des points cardinaux au lieu des mots “gauche” et “droite” pour désigner des emplacements, ou même comme une façon de se saluer. De plus, en se penchant sur les langues allemande et espagnole, elle remarque des oppositions pour qualifier des choses et la manière dont elles seront décrites avec des adjectifs stéréotypés féminins en fonction de leur nature grammaticale. Ainsi, puisque cette diversité des langues existe (7000 dans le monde) et que chacune possède des sons et des vocabulaires différents mais surtout des structures différentes, il semble inconcevable que nos mécanismes de réflexion restent inaltérés. 

Plus poétiquement, moins lourdement, le langage nous sert aussi à honorer nos proches. À travers une plaidoirie émouvante, Andrea Driessen insiste sur l’importance d’écrire des éloges funèbres pour les vivants: Pourquoi les éloges sont-ils réservés aux défunts? Comment pouvons-nous honorer ceux qui sont encore bien en vie autour de nous? Pourquoi les compliments les plus sincères pour les personnes que nous aimons ne sont-ils souvent prononcés qu’après qu’elles ne soient plus là pour les entendre? Toutes ces questions, dont la justesse frappe, rythment sa conférence “The Profound power of gratitude and “living eulogies”. Elle introduit le concept des Gracenotes, ces dernières paroles que l’on adresseraient à nos proches pour leur faire savoir leur importance mais permettraient aussi de surmonter l’illusion que le temps avec eux est infini. Son souhait est d’inciter les spectateurs à se libérer d’un potentiel regret de n’avoir rien dit à un instant T et d’enfin avoir le courage de s’exprimer, sans honte ni pudeur.

S’apprendre — observations du comportement humain 

“Les anthropologues ont trouvé des preuves d’amour romantique dans 170 sociétés. Ils n’ont jamais trouvé une société qui ne l’avait pas”.

Helen Fischer, anthropologue américaine et chercheuse en comportement humain, dévoile une étude du cerveau amoureux (cf. TED The brain in love) afin d’observer en profondeur les régions du cerveaux qui s’activent lorsque l’on aime. “Nous avons placé 37 personnes amoureuses dans un scanner cérébral à IRM fonctionnelle. 17 qui étaient heureusement amoureux, 15 qui venaient d’être largués, et nous venons de commencer notre troisième expérience : étudier les personnes qui déclarent être toujours amoureuses après 10 à 25 ans de mariage”. Pour les personnes ayant récemment subi une rupture, elle remarque de l’activité dans la région du cerveau associée à l’amour romantique intense, au calcul des gains et des pertes, ainsi que dans une région associée à un attachement profond à un autre individu. Quant à ceux déclarant être toujours amoureux·ses après des années de mariage, les zones du cerveau associées à l’amour romantique intense sont toujours bien actives. En poussant ses recherches, Helen Fischer a également étudié les mécanismes cérébraux qui nous poussent vers une personne plutôt qu’une autre, et s’est ainsi questionnée sur le rôle de la biologie dans les relations amoureuses. Les similitudes entre les individus — le même milieu socio-économique, le même niveau d’intelligence, la beauté, les valeurs religieuses, ou le rôle de l’enfance — déterminent-elles l’attraction amoureuse? Si non, comment expliquer l’attraction autre que biologiquement? Autrement dit, il s’agirait de déterminer à quel point les individus sécrètent-ils des molécules telles que la dopamine, de la sérotonine, des œstrogènes et de la testostérone lorsqu’ils font face à une personne qui leur plaît. 

Mais quid de ce qui se manifeste dans l’adversité? Dans un discours intimiste, l’écrivain Andrew Solomon évoque la nécessité de tirer parti de nos plus grandes épreuves, qui seraient finalement un facteur essentiel pour notre construction personnelle. “Nous ne recherchons pas les expériences douloureuses qui forgent notre identité, mais nous recherchons notre identité à la suite d’expériences douloureuses. Nous ne pouvons pas supporter un tourment inutile, mais nous pouvons endurer une grande douleur si nous savons qu’elle a un but”. Il distingue deux classes de lutte — celles avec lesquelles nous sommes né·es (genre, race, sexualité, handicap) et les choses qui nous arrivent (prisonnier politique, victime de viol, survivant·e d’un séisme..) — et ajoute ainsi que le processus pour devenir quelqu’un de meilleur, bien qu’ardu, doit nécessairement passer par l’acceptation et la reconnaissance de ces traumatismes. À partir de ses tragédies, se construire autrement. L’auteur conclut finalement, avec humilité, en exprimant sa gratitude pour cette vie qu’il a essayé à tort de changer (cf. How the worst moments in our lives make us who we are). 

Toucher un public ou se libérer: quelle finalité?

Finalement assez proche d’un seul-en-scène, la conférence TED vise ainsi à expliquer un problème commun ou certains phénomènes, et analyser, plus finement que lors de discussions en huis-clos, leurs enjeux pour remettre en question des croyances pré-établies ou apporter une perspective nouvelle. L’idée est de commencer à parler. Puis la pression se dissipe, et le texte appris par coeur se déroule avec plus d’aisance, chaque mot plus assuré que le précédent. 

Sur le plan personnel, les intervenant·es évoquent la difficulté de l’activité, l’intensité de ces quelques minutes face à un public,  ainsi que l’investissement qu’une telle prise de parole requiert. Toujours empreints d’une certaine touche d’humour — raconter une anecdote(…honte) personnelle, une interprétation erronée d’un fait, un quiproquo — ces débats simplifient une thématique complexe pour toucher le plus grand nombre, ce qui leur confère une dimension éducative. Dans cet entre-deux où le monde se refait, où l’éloquence des locuteur·ices joue un rôle primordial,  il s’agit de parvenir à inspirer son public avec la force et l’impact de ses mots, mais aussi à susciter une réflexion. Peu importe que l’on soit familier avec le thème abordé, ces conférences représentent surtout un idéal de discussion, vierge de jugement et propice à l’introspection. 

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