Ce coup d’Etat était celui de trop. Ce jeudi, la France a annoncé la suspension de la coopération militaire bilatérale avec le Mali « à titre conservatoire et temporaire » selon le communiqué adressé par le ministère des Armées. Une décision visant à condamner le coup d’Etat du 24 mai ayant permis au colonel Assimi Goïta et son groupe de colonels de renverser le Président de transition, Bah N’Daw, ainsi que son premier ministre, Moctar Ouane.
La décision prise par la France ne relève pas d’une démarche solitaire. En effet, elle s’inscrit dans la lignée de la Cedeao (NDLR: Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ) qui a décidé de suspendre le Mali de ses institutions communes du fait du coup d’Etat des militaires maliens. Dans un communiqué à l’AFP, le ministère français des Armées a indiqué que « des exigences et des lignes rouges ont été posées par la Cédéao et par l’Union africaine pour clarifier le cadre de la transition politique au Mali ». Une clarification dont l’attente s’illustre par la suspension des « opérations militaires conjointes avec les forces maliennes ainsi que les missions nationales de conseil à leur profit ». La France suit par là-même la démarche des Etats-Unis, qui avaient décidé de suspendre l’assistance aux forces de sécurité et de défense au Mali, à la suite du coup d’Etat du 24 mai.
Dès lors, l’opération militaire Barkhane, composée de 5100 hommes au Sahel (NDLR: région africaine s’étendant du Sénégal à la Mer Rouge) sera toujours effective, à cela près qu’elle n’opèrera plus avec les soldats maliens. Toutefois, la force Takuba, composée de forces spéciales européennes formant, conseillant et accompagnant au combat des unités maliennes dans le Liptako, a été suspendue. Une suspension traduisant la condamnation du coup d’Etat par la France, Emmanuel Macron l’ayant jugé contraire à toute notion de « légitimité démocratique ».
Une menace française mise à exécution
La suspension de la coopération militaire entre la France et le Mali avait déjà été envisagée par le Président Macron pour deux raisons. En effet, dans le Journal du Dimanche du 31 mai, il avait certifié refuser que la France ne reste « aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique ni de transition ». Par ailleurs, cette menace de suspension était également envisagée en raison de la progression de l’islamisme radical sur le territoire malien, Emmanuel Macron assurant « L’islamisme radical au Mali avec nos soldats sur place ? Jamais de la vie ! Il y a aujourd’hui cette tentation au Mali. Mais si cela va dans ce sens, je me retirerai ».
L’islamisme ne fait pas figure de nouveauté au Mali. En effet, face à cette menace, l’opération Barkhane avait été lancée en 2014 par la France sous le quinquennat de François Hollande. Elle avait pour objectif principal de lutter contre les groupes armés salafistes et djihadistes sévissant au Sahel. Si le coup d’Etat de mai 2021 a bouleversé la coopération militaire entre la France et le Mali en la suspendant, cette dernière ne saurait être pour autant supprimée, face à la nécessité de lutter contre les groupes terroristes. En effet, le retrait définitif des troupes françaises serait « un triomphe absolu » pour les mouvances islamistes , selon Vincent Hugeux, spécialiste de politique internationale, qui « feront leur miel en termes de propagande et de recrutement ».
Si Emmanuel Macron reconnait le rôle de la France dans la lutte contre le terrorisme, affirmant qu’il s’agit d’une priorité, il explique toutefois que « la présence de nos forces sur le terrain n’est pas un élément suffisant dans cette lutte », avançant « qu’elle nécessite aussi « le renforcement d’institutions stables” .
Un coup d’Etat révélateur de l’instabilité politique du pays
La recrudescence des coups d’Etat ces derniers temps est révélatrice de l’instabilité politique dans laquelle se trouve le Mali. En effet, il s’agit du second que vit le pays en l’espace de neuf mois : en août 2020, Assimi Goïta, déjà à la tête du même groupe de colonels, a contraint le Président Ibrahim Boubacar Keïta à la démission. Âgé de 38 ans et ayant étudié au Prytanée de Kati, la principale école militaire, Assimi Goïta s’est fait déclarer Président de la transition par la Cour constitutionnelle après son coup d’Etat du 24 mai. Il est censé diriger le Mali jusqu’aux prochaines élections, qui auront lieu au début de l’année 2022.
Les relations entre la France et le Mali sont également au cœur de polémiques. En effet, pour Zyad Limam, directeur du mensuel Afrique magazine, les dérives-anti françaises qui progressent au Mali inquiètent Paris, sachant que celles-ci ne sont pas propres au Mali mais qu’elles sont aussi perceptibles dans d’autres pays d’Afrique. Par ailleurs, pour la journaliste Patricia Allémonière, la France se trouve dans une situation délicate au Mali : « À trop intervenir (…), à dicter sa vision d’une bonne gouvernance au Mali, la France est accusée d’ingérence voire de dérives colonialistes ». Toutefois, sur France 24, elle précise que l’absence d’intervention française aurait été vue comme un signe d’abandon du Mali, qui aurait été reproché à la France par la Cedeao, affirmant que le pays a besoin de soutien militaire et économique.
Ainsi, dans un contexte d’instabilité politique, qui est aussi propre à la région géographique dans laquelle se trouve le Mali, marquée par la fragilité des régimes civils et la pauvreté, Assimi Goïta affirme vouloir « sortir le Mali du chaos, de l’anarchie et de l’insécurité ». En août 2020, insistant sur l’intérêt de la nation, il disait renoncer à la possibilité d’être Président du pays. À la suite du coup d’Etat du 24 mai, il l’est pourtant devenu, faisant de lui l’homme fort du pays. Un homme également fort dans l’art du paradoxe: « Il fallait choisir entre la stabilité du Mali et le chaos. Nous avons choisi la stabilité ». Putsch et stabilité, un rapprochement loin d’être instinctif…