Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Deborah de Robertis : une artiste actuelle féministe et subversive

Picture of Lucie Sol

Lucie Sol

Etudiante en Lettres Modernes à l'ENS de Lyon et passionnée par l'art, la culture et leur partage, je suis aussi très investie dans les problématiques féministes et LGBTQIA+ et j'aime concilier ces différents centres d'intérêts dans mes articles. J'apprécie aussi les interviews en format long. Je vous souhaite une bonne lecture ! Mon LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/lucie-sol-197922219/?originalSubdomain=fr
Vous l’avez forcément déjà croisée dans les médias : Deborah de Robertis révolutionne l’histoire et le monde de l’art par ce qu'elle nomme son « oeil du sexe », ou son « corps qui regarde » selon la philosophe Geneviève Fraisse. Investissant les musées, réinterprétant des œuvres majeures de l’histoire de l’art et mettant au jour le caractère éminemment masculin de ce milieu par ses performances osées et grandioses, Deborah de Robertis s’invite, jambes écartées, au cœur des plus grandes institutions artistiques.

Partagez ce post

© Deborah de Robertis / Miroir de l'origine, 2014 (46 x 55)

Des œuvres féministes éminemment actuelles

Son travail se situe à l’intersection de problématiques artistiques et féministes, et elle nous livre son expérience particulière de femme artiste en la liant notamment au phénomène #MeToo. Par son utilisation récente de GoPros dirigées droit vers le spectateur et l’institution lorsqu’elle performe, elle sort des conventions sociales et artistiques et renverse le regard porté sur les femmes dans l’art. La performance leur rend leur statut de sujet regardant, contre celui d’éternel objet regardé : par Miroir de l’Origine (Deborah de Robertis, 2014), c’est L’Origine du monde (Courbet) qui retrouve ses yeux – et donc, sa voix et sa force.

© Deborah de Robertis / photographie de Dorothée Sarah, issue de la performance Le viol du pouvoir

Ses œuvres témoignent à de nombreux égards d’un positionnement féministe et artistique audacieux et avant-gardiste. Sorte de #MeToo qui ne dit pas encore son nom avant 2017, son travail soulève avec justesse et lucidité des préoccupations féministes aujourd’hui très actuelles, et fait donc fortement écho chez la jeune génération. En effet, à travers un double processus artistique de révélation et de lutte, l’artiste aborde des enjeux majeurs de notre époque : objectification des femmes (et des femmes artistes), leur réduction à leur sexe, qui reste paradoxalement toujours tabou et dissimulé… Avec Deborah de Robertis, le corps féminin est montré crûment, sans filtres déformants, sans tabous, sans sexualisation excessive. Comme elle le dit elle-même, « ça reste sexué, mais ça n’est pas sexuel » (voir Interview avec l’artiste Deborah de Robertis : “je voulais rendre objet ce patriarcat qui me rend objet”).

Et pourtant, malgré la forte résonance de ses œuvres et l’évolution globale des mentalités vis-à-vis du féminisme, du corps des femmes et de l’art, l’artiste italo-luxembourgeoise reste paradoxalement isolée. Elle se voit cantonnée aux marges du milieu artistique, qui réduit parfois ses œuvres à du militantisme en l’attaquant en justice pour exhibition sexuelle. C’est une façon violente de lui refuser du même coup le statut d’artiste en occultant la part artistique évidente de son travail, et son propre parcours artistique. Ainsi, c’est le fait même de se revendiquer comme artiste en tant que femme qui devient féministe.

Enjeux politiques et artistiques de la situation économique

Cette situation d’isolement s’explique en partie par les rapports de domination patriarcaux qui traversent les milieux artistiques. En effet, de ceux-ci découlent des abus de pouvoir et l’abandon de la part de ses acteurs (et actrices) principaux en cas d’œuvres jugées trop « trash ». Ces dynamiques particulières entraînent une marginalisation vis-à-vis du monde de l’art, et donc une précarisation de sa situation économique.

Deborah de Robertis souligne l’importance de cette question financière malgré le tabou qui l’entoure encore aujourd’hui, en particulier pour les artistes. En effet, on a parfois tendance à vouloir penser la création artistique détachée de ce genre de préoccupations, jugées trop prosaïques. Mais la vérité, c’est que la question économique est absolument indissociable de considérations proprement politiques, et que l’art ne fait pas exception. Cela vaut en particulier dans le cas d’artistes marginalisés justement pour des œuvres jugées politiquement trop audacieuses, dans un monde où le pouvoir économique lui-même est patriarcal.

L’art de la performance

Grâce à la performance mais aussi à la vidéo et à la photographie, Deborah de Robertis réinvestit des espaces et des œuvres dominés par le regard masculin, des « hommes de l’art » (cf. son film du même nom). Elle travaille autour des notions de pouvoir, de regard et de renversement, notamment en utilisant le corps et la nudité. Elle préfère renverser que déconstruire, préfère la confrontation conceptuelle et abstraite à celle purement militante. Dans le monde des musées où la femme semble être plus facilement acceptée lorsqu’elle est nue que lorsqu’elle est artiste, Deborah de Robertis prend au pied de la lettre l’affiche provocative des Guerrilla Girls « Do Women Have to be Naked to Get into the Met. Museum ? » (1989).

Mais elle va encore plus loin : elle réintroduit les vraies femmes, avec leur vrai regard, et leur vrai sexe. Et c’est là que le scandale réside ; car cette fois-ci, la femme n’est pas offerte passivement aux regards, c’est elle qui voit. Vingt ans après, cette question de l’acceptation des femmes artistes dans les institutions est toujours d’actualité, et les performances de Deborah de Robertis lui permettent d’investir concrètement les musées, en dépit de l’absence – déplorable – d’invitation.

portrait © Deborah de Robertis / photographie de Vivien Deleuze

En tant qu’artiste performeuse, une autre de ses préoccupations principales est la revendication des droits d’auteurs sur les images qu’elle génère. En effet, ceux-ci reviennent juridiquement toujours au photographe, selon une dichotomie photographe sujet/modèle objet problématique, puisqu’elle recoupe souvent, notamment du point de vue historique, une opposition masculin/féminin. Cela renvoie encore la femme artiste à un statut de modèle passif, et non de créatrice active, y compris dans ses propres œuvres qu’elle imagine et met en scène. En témoigne son film Ma chatte mon copyright (2017) qui reprend sa performance au musée du Louvre devant la Joconde.

En quelques mots

Deborah de Robertis est donc une artiste majeure d’un point de vue féministe, et son travail s’axe sur des sujets et préoccupations indéniablement actuelles, et qui étaient déjà avant-gardistes il y a dix ans. Si la reconnaissance de la part des institutions artistiques n’est pas encore à la hauteur de ses œuvres, elle bénéficie néanmoins de celle des étudiants, des universités et des écoles d’art. On ne peut que souhaiter de voir encore davantage de ses œuvres subversives investir les musées – et peut-être, cette fois, en y étant invitée et reconnue.

Cet article fonctionne en diptyque avec Interview avec l’artiste Deborah de Robertis : “je voulais rendre objet ce patriarcat qui me rend objet”. Vous pouvez retrouver Deborah de Robertis sur sa page Instagram notamment.

Pour plus d’articles sur des artistes féministes, voir Patriarchie magazine : interview avec Pauline Rochette.

2 comments
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Total
0
Share