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Emmanuel Macron au Rwanda: “Ibuka, souviens-toi”

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Juliette Messa

Etudiante en double licence d'Histoire-Médias à la Sorbonne et à Assas, je porte un grand intérêt à l'actualité politique et aux humanités. Curieuse et intrépide, toujours à la recherche des dernières informations, je souhaite devenir journaliste. Bonne lecture !
En visite officielle au Rwanda, Emmanuel Macron a reconnu ce jeudi 27 mai la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi de 1994 lors de son discours au Mémorial de Kigali, capitale du pays. Un acte fort en vue de normaliser les relations entre les deux pays.

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Discours Macron conférence de presse Rwanda

« En me tenant avec humilité et respect, à vos côtés, je viens reconnaitre nos responsabilités (…) Ibuka, souviens-toi ». Dans un discours mêlant français et kinyarwanda, langue nationale du Rwanda, Emmanuel Macron, en déplacement officiel au pays des Mille Collines, est venu reconnaître la responsabilité de la France dans le génocide de 1994 ayant causé la mort de plus de 800 000 Tutsi, selon des chiffres de l’ONU. Au Mémorial de Kigali, lieu dans lequel reposent les restes de plus de 250 000 victimes du génocide, Emmanuel Macron a tenu à s’adresser aux proches de ces dernières, en espérant obtenir leur pardon. Un discours avec une visée bien précise : rompre l’omerta pour faire ressurgir la vérité de cette sombre période. 

Toutefois, si la France « a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda » en s’étant tenue « aux côtés d’un régime génocidaire », le chef d’Etat français a écarté toute complicité entre la France et le gouvernement Hutu, responsable du génocide des Tutsi, des « inyenzis » (NDLR: « cafards » en kinyarwanda) dont les Hutu souhaitaient l’extermination. Un génocide qui eut lieu en 100 jours, faisant de lui le plus rapide au monde.

Reconnaissant que la France avait fait « trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité », Emmanuel Macron avait nommé en 2019 l’historien Vincent Duclert à la tête d’une commission chargée de remettre un rapport sur le rôle et l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, soit du début de la guerre civile au génocide. Remises fin mars, les conclusions du rapport éclairent sur les « responsabilités lourdes et accablantes »  de la France, aveuglée par le « régime raciste, corrompu et violent » du Président hutu Juvénal Habyarimana. Le rapport soutient cependant qu’il n’y a pas eu de volonté de la part de la France de Mitterand « de s’associer à l’entreprise génocidaire ». En effet, pour Vincent Duclert dans un entretien au Monde, la France a été « incapable intellectuellement, cognitivement, de penser la préparation du génocide ». 

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Vincent Duclert remettant à Emmanuel Macron le rapport “La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi” le 26 mars 2021
Des propos salués, parfois contestés

Le discours d’Emmanuel Macron fut salué par Paul Kagame, Président du Rwanda et ex chef du FPR (NDLR : Front Patriotique Rwandais, parti politique du Rwanda créé par les exilés tutsis entre 1987 et 1988). Ce dernier a affirmé que la démarche du Président était « un grand pas », assurant que le discours qu’il avait tenu avait « plus de valeur que des excuses ». Revenant sur le rapport remis par Vincent Duclert en le comparant au rapport Muse élaboré par le Rwanda, le Président rwandais certifie que les deux commissions « ont établi des faits » qui « disent quasiment la même chose mais de manière différente ». Comptant sur la justice, Paul Kagame dit retenir l’engagement qu’Emmanuel Macron a pris ce jeudi, visant à ce « qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges ».

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Le Président rwandais Paul Kagame

Toutefois, certains déplorent l’absence d’excuses de la part de l’Etat français. En effet, pour Egide Nkuranga, Président de l’association Ibuka soutenant les victimes du génocide des Tutsi, « On s’attendait à ce qu’il présente clairement des excuses au nom de l’Etat français. Il ne l’a pas fait. Même demander pardon, il ne l’a pas fait ». Une position que ne partage pas la journaliste franco-rwandaise Madeleine Mukamabano : sur France Culture, elle a assuré que « le discours d’Emmanuel Macron a été à la fois fort et politiquement habile. Pour moi, reconnaître une responsabilité lourde accablante, ajouter que la France savait, est plus forte que des excuses ».

Selon cette même journaliste, attendre des excuses pouvait toutefois être compréhensible de la part des « Français qui ont souffert de voir les valeurs de la République bafouée ». Un propos qui fait écho à la tribune que Raphaël Glucksmann a écrite le 27 mai pour Libération, tribune dans laquelle il a demandé au Président de la République « en notre nom à tous «  de « demander pardon. Pardon aux morts et aux vivants » du fait de « la vérité que l’on doit au passé et à l’avenir ». Des excuses qui, pour Madeleine Mukamabano, pouvaient aussi être vues comme « une dérive de repentance », à la manière de Marine Le Pen, dont le communiqué du 27 mai déplore une autoflagellation « pour des fautes qui ne sont pas les siennes » qui ferait perdre à la France toute dimension de grandeur. 

Une nouvelle page dans les relations entre la France et le Rwanda

Marquant une étape finale dans la « normalisation des relations » entre les deux pays, la question de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide de 1994 avait auparavant mené à une rupture des relations diplomatiques entre 2006 et 2009. Affirmant que la normalisation « ne peut s’engager sans cette étape », Emmanuel Macron a annoncé la nomination d’un ambassadeur français au Rwanda, poste vacant depuis 2015. Une réconciliation entre les deux pays également souhaitée par Paul Kagame, espérant qu’elle donnera lieu à des relations « puissantes et irréversibles ». 

S’inscrivant dans une perspective de renouveau diplomatique, de manière à doter la France d’une plus grande influence en Afrique de l’Est, Emmanuel Macron a également inauguré un nouveau centre culturel francophone à Kigali, sept ans après la fermeture de l’Institut français du Rwanda, souhaitant faire du français « une langue de reconquête, modernisée, qui s’enrichit de ses échanges avec l’anglais ». Cette décision s’inscrit notamment en réponse au recul de la langue française face à la progression de l’anglais au Rwanda, qui a été décrétée en 2008 comme langue de l’enseignement scolaire, remplaçant le français. 

Emmnanuel Macron discute avec le président de la République du Rwanda, Paul Kagame, à l’issue de leur conférence de presse conjointe.
Emmanuel Macron et Paul Kagame ce jeudi 27 mai

Si les deux Présidents souhaitent insuffler une nouvelle dimension à leurs relations diplomatiques en commençant par résoudre la question mémorielle, certains avertissent de l’autoritarisme auquel Paul Kagame peut être assimilé. Président du Rwanda depuis 2000, ce dernier a particulièrement été décrié pour avoir modifié la Constitution du pays, lui permettant désormais d’exercer ses fonctions jusqu’en 2034. Par ailleurs, Lewis Mudge, directeur du pôle d’Afrique centrale de l’ONGI Human Rights Watch affirme « qu’il n’est pas rare de voir des journalistes rwandais disparaitre ou décéder dans des circonstances mystérieuses », expliquant qu’il est possible de « se retrouver en prison pour un reportage sur des sujets à première vue innocents ». 

Ainsi, pour Philippe Bernard, éditorialiste au Monde, « on peut à la fois s’indigner du rôle de la France dans le génocide des Tutsi et s’inquiéter des dérives du régime de Paul Kagame ». Si Emmanuel Macron et Paul Kagame souhaitent des relations sous le signe d’un nouveau souffle, seul l’avenir nous dira si ces dernières perdureront… 

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