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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Éric Naulleau aux étudiants: « Accumulez de la connaissance ! Vivez pour vous ! Enrichissez-vous intellectuellement ! Parce qu’ensuite la vie vous prend dans son étau… »

Picture of Alexis Fournet

Alexis Fournet

Éric Naulleau se confie dans un entretien exclusif pour CSactu et nous présente son premier roman.

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Entretien entre Eric Naulleau et Alexis Fournet.
Revenons sur votre parcours atypique. Vous n’étiez pas destiné aux médias qui ont pourtant fait votre notoriété, comment est-ce arrivé ?

Je n’ai jamais eu de plan de carrière et n’aurais jamais pensé travailler à la télévision. Ma carrière est une trajectoire faite de hasards.
Je suis entré à la télévision par la littérature. Une société de production parisienne m’a vu défendre mon pamphlet Au secours, Houellebecq revient ! et m’a contacté pour une émission. C’était « Ça balance à Paris », présentée par Laurent Ruquier. Il m’a ensuite recruté pour succéder à Michel Polac dans sa nouvelle émission On n’est pas couché.
Après, cela s’est enchaîné sans que rien ne soit programmé. J’ai fait des études de lettres modernes, mon destin naturel aurait été d’être professeur. Aujourd’hui, je consacre 90% de mon temps professionnel à la télévision, mais c’est le résultat d’opportunités qui se sont présentées sans que je les sollicite, presque d’un malentendu.

Vous pensez qu’un jour vous pourriez retourner aux lettres, devenir professeur ?

Ça fait une quinzaine d’années que je fais de la télévision. C’est un métier que j’ai appris à aimer, même s’il ne m’attirait pas du tout à la base. J’aimerais beaucoup reprendre des études, bien plus que de devenir professeur. Mais c’est un fantasme plus qu’un projet. J’ai beaucoup aimé être étudiant, des années très heureuses, très riches. Mes anciens maîtres universitaires me disent que l’université a beaucoup changé, et que je serais très déçu. Il vaut peut-être mieux que cela reste un fantasme.

Qu’est ce qui constitue pour vous le meilleur moment de votre carrière ?

Évidemment, les années « On n’est pas couché » occupent une place particulière dans mon itinéraire, mon premier rapport avec le grand public, je n’avais jamais connu ça. Ensuite sont venus « Balance ton post » et TPMP qui sont très commentées, j’y ai pris goût.
Mais ce que j’ai préféré faire dans ma vie c’est l’émission « Ça balance à Paris ». Là, il était vraiment question de culture. C’est mon meilleur souvenir, animer une émission où il n’était question que de culture, de cinéma, de théâtre, d’expositions, etc.

Vous êtes donc passionné par la culture ? Avant le côté très « show » de TPMP ou de BTP auquel beaucoup vous identifient ?

Je place la culture au-dessus de tout, bien au-dessus de la politique par exemple. Je pense qu’il vaut mieux avoir écrit une phrase de Proust que d’avoir fait dix mille heures de télévision, c’est là que je situe l’excellence. Pour revenir sur les hasards, ni Zemmour ni moi, n’avions pensé que nous allions refaire équipe ensemble après notre éviction d’On n’est pas couché. Trois ou quatre producteurs nous ont proposé une émission autour de nos deux personnes. Ça a donné Zemmour et Naulleau, produit par Troisième œil, rebaptisée Restons ZeN depuis l’entrée en politique d’Eric Zemmour. Le principe de l’émission reste le débat politique, mais sans Zemmour, c’est Naulleau sans Zemmour.

Est-ce qu’il y a des codes qui vous sont imposés, que vous devez respecter ?

Non, j’ai eu la chance de m’adapter naturellement aux différentes émissions sans qu’aucune ne m’impose quoi que ce soit. Je ne recevais aucune instruction, ni de Laurent Ruquier, ni de Catherine Barma, l’animateur et la productrice d’On n’est pas couché. Même chose pour Zemmour et Naulleau ou Ça Balance à Paris. J’ai eu la chance d’avoir une totale liberté à la télévision. Il y a énormément de fantasmes sur la télévision. On pense que les chroniqueurs sont des marionnettes, que quelqu’un agite les fils et dicte vos paroles comme dans les numéros de ventriloque. Cela existe peut-être ici et là, je ne peux pas témoigner au nom de toute la télévision, mais à titre personnel, je ne l’ai pas connu et si on me demandait de jouer un rôle, je serais très mauvais (rire).

Sur un plateau télé en direct, est-ce qu’il y a quand même des consignes pour garder son sang-froid, conserver une certaine neutralité ? Comment faites-vous pour gérer les confrontations spontanées ?

En tant que chroniqueur, au contraire, on nous demande une forme d’engagement. En tant qu’animateur, je suis également engagé, c’est-à-dire que je donne mon avis. Je ne suis pas là seulement pour passer les plats. J’ai récemment eu un incident avec Yassine Bellatar. J’ai traversé le plateau pour me confronter directement à lui, là, on est complètement en dehors des codes de la télévision et ce n’était absolument pas prévu. J’ai prévenu une fois, j’ai prévenu deux fois et puis j’en ai eu marre. Je m’efforce d’être un animateur et un chroniqueur équitable. Je ne crois pas à l’objectivité dans la mesure où nous exprimons tout à travers le prisme de notre sensibilité et de nos expériences, mais je crois en revanche à l’honnêteté intellectuelle, et aussi à la représentativité des débatteurs. Mon producteur et ami Cyril Hanouna par exemple tient beaucoup à ce que toutes les opinions soient représentées dans un débat. Il a ainsi donné la parole à des gens qui ne l’avaient pas souvent.

Si vous deviez dire quelques mots pour donner envie à nos lecteurs d’acheter votre dernier livre Ruse ?

C’est mon premier roman. J’avais déjà publié plusieurs livres, mais je ne m’étais jamais attaqué à ce genre. J’avais fait le pari public – dans Zemmour et Naulleau – de publier mon premier roman avant mes 60 ans. J’y suis parvenu à 59 ans ! C’est un mélange d’histoire d’amour et de polar. L’histoire de Serge et Deliana qui ont été en couple, se sont séparés et que la vie réunit de nouveau au moment où un danger de mort pèse sur Deliana. Ça se passe en Bulgarie, terre presque vierge pour les polars à la différence de Paris, New York ou Los Angeles. Le couple fuit la mafia locale à travers le pays, ce qui donne au roman la forme d’un road book, et se réfugie à Roussé – une ville sur les bords du Danube qui m’a toujours fasciné. Et comme tout le monde aime les histoires d’amour et que tout le monde aime les polars, je devrais normalement trouver environ 60 millions de lecteurs, d’après mes estimations. On verra si, grâce à vous, je les atteins ! (rire)

Pourquoi avoir fait le choix d’écrire un roman alors que les lecteurs vous auraient attendu sur une critique du monde actuel, sur un livre ancré dans l’actualité politique. Qu’est-ce que ce genre littéraire vous apporte ?

J’avais envie de me confronter à la fiction pure, sans béquille, de ne plus compter que sur mon seul imaginaire. Avec l’écriture d’un roman, il n’y a plus que vous, les personnages que vous avez créés, la feuille blanche et le souci que la prochaine phrase soit la meilleure possible…  C’est un exercice totalement différent. Ça a d’ailleurs débloqué quelque chose en moi puisque j’ai déjà commencé un deuxième roman ! Lorsque j’étais éditeur, j’étais au service de mes auteurs, cela a sans doute retardé mon passage à la fiction. Ce roman est de loin le livre que j’ai préféré écrire. J’étais heureux de me réveiller et me mettre tout de suite à ma table de travail.

Nous commençons à sortir de cette période de crise sanitaire. Puisque notre journal est axé sur la jeunesse française, nous souhaiterions connaître votre avis sur les effets du virus sur cette jeunesse ; comment a-t-il impacté la vie des étudiants de France ?

Je suis un peu ambivalent parce qu’il se trouve que j’ai récemment visité des chambres d’étudiants pour le compte d’une nièce qui venait étudier à Paris. Et j’ai visité des lieux scandaleux, des chambres de quelques mètres carrés, sans confort, presque insalubres, louées par des marchands de sommeil. Donc je me mets à la place d’un étudiant qui vit la période du Covid et du confinement dans ce genre d’environnement, de quoi broyer du noir et un peu plus. Je sais qu’il y a eu beaucoup de dépressions nerveuses et même une hausse des suicides. Après, ce qui m’a beaucoup étonné, c’est qu’on avait vraiment l’impression que certains étudiants étaient condamnés au confinement pendant dix ans, que leur vie était terminée, leur jeunesse ruinée. Je sais que c’était pénible mais ce n’était quand même pas les tranchées de 14-18 ! Donc je suis très partagé. D’un côté je comprends et de l’autre, je trouve qu’une partie de la jeunesse qui vivait dans des conditions acceptables (pas celles décrites) se comportait comme si le ciel lui était tombé sur la tête. Évidemment, j’espère que certaines pratiques développées pendant le Covid, notamment le distanciel, resteront dans une parenthèse refermée. Je crois en la présence du maître, à la communauté étudiante. Par ailleurs, je reste toujours un peu surpris de constater que boire des bières en terrasse, pour une partie de la jeunesse, est devenu un projet de vie et presque un projet de civilisation. À chaque fois, je me dis, propos de vieux con peut-être, qu’un étudiant devrait normalement être en train de lire, d’aller au théâtre, au cinéma, de s’instruire, non ? Vous êtes étudiants, vous avez tout le temps nécessaire pour vous imbiber de culture, pour vous former intellectuellement. Et ça ne reviendra pas ! C’est le moment de lire ! D’aller au théâtre ! Il y a des places pas chères pour les étudiants, ils font beaucoup d’efforts. On peut aussi aller à bon compte au cinéma. C’est le message que je voudrais faire passer : accumulez de la connaissance ! Vivez pour vous ! Enrichissez-vous intellectuellement ! Parce qu’ensuite, la vie vous prend dans son étau. Profitez de ces années ! Je serai reconnaissant toute ma vie à Nanterre et aux lettres modernes, parce que ça a changé ma vie et que ces années d’études ont déterminé en profondeur l’être que je suis aujourd’hui.

Quelles sont, selon vous, les explications du désintérêt des jeunes pour les élections ? Et quelles seraient les solutions pour y remédier ?

Les statistiques et les sondages montrent en effet une désaffection massive des jeunes envers le processus électoral, fondée sur l’impression que la politique ne s’occupe plus d’eux et qu’au fond, ils ne sont pas vraiment concernés par les programmes politiques. Mais il faudrait parler de plusieurs jeunesses plutôt qu’une jeunesse unique. On a ainsi parfois l’impression que la jeunesse est 100% wokiste — Jérôme Fourquet a fait justice de cette illusion dans ses travaux. Il y a donc un important travail à fournir pour connaître la jeunesse avant de prétendre s’adresser à elle.

À contrario, un fort militantisme se dégage chez certains jeunes – de droite comme de gauche – ce militantisme est-il selon vous un modèle ou au contraire témoigne-t-il d’un encartage sans nuance que vous regrettez ?

J’ai toujours été un peu méfiant envers les militants, même si j’admire certaines formes d’engagement, car je trouve en effet qu’il y a une forme de sectarisme qui se développe automatiquement, une sorte de prêt-à-penser qui vous impose d’avoir telle opinion sur tel sujet. Aucune place pour la nuance ou la contradiction. Or, des idées contradictoires cohabitent en moi, dont certaines me rapprochent de la gauche, d’autres de la droite. Quand vous êtes militant, c’est « je veux ne voir qu’un rang, tout le monde le doigt sur la couture du pantalon ». Je me sens très éloigné de la politique dans son sens politicien.

D’un point de vue général, que pensez-vous des nouveaux clivages politiques en France ? Le clivage Droite-Gauche est-il mort, en pause, en reformation ? Et dans ce cas, sous quelle forme ?

Le clivage droite/gauche est largement dépassé au profit des clivages entre souverainistes et européistes qui traversent la droite et la gauche, beaucoup plus effectifs que le vieux clivage droite-gauche. Au sein de la gauche, vous trouvez aussi un clivage entre la gauche laïque républicaine et la gauche wokiste qui dépasse les partis. Je suis totalement irréconciliable avec la gauche wokiste. J’ai autant de désaccords avec celle-ci qu’avec l’extrême-droite. Pour moi, ce sont tous deux des adversaires idéologiques. À égalité. Alors ça choque ! Je ne suis pas censé dire cela en tant qu’homme de gauche – mais je le répète et l’assume. Je les crois tous deux aussi dangereux dans leur rapport à la conception du pays, de la nation et de la laïcité que je défends.

Que pensez-vous de l’idée énoncée ponctuellement d’inscrire la laïcité dans la devise française, au même titre que la liberté, l’égalité et la fraternité ?

Je suis défavorable aux tripatouillages de la Constitution, à l’idée que chaque fois qu’il y a un problème, il faut changer la Constitution, mais je pense que la laïcité est un élément fondamental de l’identité française. Depuis la loi de 1905, et même avant, c’est quelque chose qui nous définit en profondeur, une composante de l’exception française. D’ailleurs, nous choquons pas mal de gens, pas forcément tous « dingues de Dieu », qui trouvent notre laïcité excessive. Moi, j’y tiens beaucoup, c’est sans doute la valeur qu’il faut le plus défendre actuellement parce qu’elle est attaquée de toutes parts, notamment par l’islamisme et ses alliés wokistes, indigénistes, multiculturalistes. Mon programme est de remettre les barbelés laïcs autour de la République, de remettre les barbelés autour de l’école publique, d’être intransigeant, faite de quoi on aboutit à des tragédies comme celles de l’assassinat de Samuel Paty. Il faut revenir à la base et la base de la France, c’est la laïcité. Donc, je suis Charlie, je suis laïc, et on devrait se retrouver très nombreux autour de cette valeur. Pour cela, je serais prêt à faire une exception : « Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité », cela m’irait très bien.

Pensez-vous que la France peut répéter l’expérience américaine d’un Président populiste, issu du monde des médias plutôt que de celui des politiques ?

Il s’agit de la fatigue du système politique. La fatigue démocratique aggrave encore la défiance des Français qui ne croient plus dans le système, cela ouvre la porte à des candidats disruptifs. Le premier candidat disruptif qui a réussi, c’est quand même Emmanuel Macron. Certes homme du système, mais qui ne représentait aucun parti politique. Un mois avant sa candidature on vous expliquait que pareil cas de figure était impossible en France. Dans le monde et en Europe, il y a eu d’autres cas, en Ukraine, un humoriste a été élu Président, en Italie et en Bulgarie, un acteur et un chanteur se sont retrouvés faiseur de rois. La deuxième disruption française en cours, c’est celle de Zemmour, plus proche de Trump. Certes, c’est un journaliste politique, il doit sa notoriété aux médias, non seulement avec On n’est pas couché mais également grâce à une quotidienne sur CNews. La fatigue démocratique fait que beaucoup vont se tourner vers des candidats hors système, ou qui offrent les apparences de la nouveauté. Est-ce que les électeurs sont prêts à franchir le pas ou veulent-ils seulement se réfugier dans un rôle protestataire ? En tout cas, la disruption est de plus en plus attractive pour de nombreux Français. Rien n’est à exclure. Depuis l’élection de Trump, je me garde bien de faire le moindre pronostic parce que je pense que tout est devenu possible.

Un dernier mot pour CSactu, à destination de nos jeunes lecteurs et de nos bénévoles en apprentissage de la vie active ?

Il faut qu’il y ait des médias comme CSactu, des médias pour les étudiants qui parlent leur langue. J’insiste à nouveau sur la culture. Je trouve paradoxalement que la culture est un peu le « parent pauvre » des étudiants et qu’il y a une appétence insuffisante pour la culture. Si votre journal peut donner envie de lire des livres, donner envie de théâtre, de cinéma, je valide. Vive les médias étudiants, pour les étudiants. Bravo ! Continuez !

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