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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

«La fenêtre d’Overton » : nouvel outil des populistes ?

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Juliette Messa

Etudiante en double licence d'Histoire-Médias à la Sorbonne et à Assas, je porte un grand intérêt à l'actualité politique et aux humanités. Curieuse et intrépide, toujours à la recherche des dernières informations, je souhaite devenir journaliste. Bonne lecture !
Concept inventé dans les années 90 par un juriste américain, la fenêtre d’Overton rend compte de l’ensemble des idées jugées acceptables dans une société. Si l’élargissement de cette fenêtre permet à de nouvelles idées de se développer, toutefois, cette stratégie est employée avec escient par les populistes, de manière à dédiaboliser leurs propos et à les intégrer dans la société.

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Vous-êtes vous déjà demandé comment une personnalité politique pouvait tenir un discours sur un plateau de télévision qui aurait été réprimandé quelques années auparavant ? Vous-êtes vous déjà vous-même surpris en adhérant à des positions qui vous auraient paru peu nuancées il y a de ça quelques années ? Pour comprendre cette évolution, un concept bien utile nous permet d’en saisir les enjeux : celui de la fenêtre d’Overton. 

Théorisée dans les années 1990 par Joseph P. Overton, un juriste et lobbyiste américain, la « fenêtre d’Overton » désigne l’intégralité du périmètre des opinions et positions jugées envisageables et acceptables par la société dans laquelle on vit. En ce sens, toute position se situant dans le spectre de cette fenêtre ne sera pas censée poser de problème particulier à la population, qui l’acceptera et la jugera en phase avec ses convictions, quitte à la défendre.

Dans les années 90, Overton assurait la Vice-présidence du Mackinac Center for Public Policy, un think tank d’obédience libérale ayant pour but d’œuvrer à l’instauration de politiques de dérégulations et de privatisations, en portant une attention toute particulière à la privatisation de l’enseignement. En 2003, à sa mort, ses collègues reprirent le concept qu’il avait développé, celui de la « fenêtre d’Overton », de manière à populariser certaines idées libérales dans la société américaine pour les rendre acceptables, en les faisant entrer dans la « fenêtre d’Overton ». Avec elle, les membres du Mackinac Center for Public Policy ont pu élaborer une double stratégie : la promotion de la libéralisation des marchés financiers, et la séduction de donateurs pour obtenir un soutien financier. 

Une stratégie réutilisée par les populistes pour permettre l’émergence et la normalisation de leurs idées 

Alors que la fenêtre d’Overton avait été pensée par son concepteur comme une manière d’élargir le spectre du dicible dans l’espace public, ce dernier n’avait pourtant pas envisagé qu’elle permettrait aux partis populistes de promouvoir des idées extrêmes de manière à rendre acceptables des idées un peu moins extrêmes, mais qui, auparavant, auraient fait scandale.

Toutefois, de nos jours, on assiste à une montée en puissance des partis populistes, qui réussissent à convaincre un nombre croissant d’électeurs, en s’appuyant sur des contextes de crises économiques et sociales pour rallier les individus à leur positionnement idéologique. En effet, pour la chercheuse en science politique Lynda Dematteo « les populistes ont repris ce concept d’Overton pour s’en servir et légitimer leur position et pour faire accepter leurs idées. Et les gens finissent par accepter ce qui se passe parce que ce genre de discours s’est banalisé ».

En 2019, sur le plateau de l’émission Clique diffusé sur Canal +, le politologue Clément Vikotorovitch dédiait son intervention à l’explication du concept de « fenêtre d’Overton », en partant de l’exemple des propos tenus par une chroniqueuse sur LCI. En effet, le 9 novembre 2019, sur l’émission 24h Pujadas, Julie Graziani, qui se présente comme “catholique traditionaliste”, se revendiquant d’une droite libérale et thatchérienne, fit scandale : alors qu’une mère célibataire souhaitait s’adresser à Emmanuel Macron sur sa situation personnelle, la chroniqueuse a déclaré à son sujet : « Qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au SMIC ? Est ce qu’elle a bien travaillé à l’école ? Est-ce qu’elle a suivi des études ? Puis si on est au SMIC, il ne faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas-là ». Vue plus de 20 millions de fois, la vidéo provoqua une onde d’indignation. Toutefois, pour Clément Viktorovitch « ces propos ne sont pas un dérapage » mais intègreraient « une stratégie coordonnée de conquête du pouvoir » lancée par le Rassemblement National. Une stratégie bien rôdée : à force d’entendre des discours peu nuancés à la télévision, pouvant susciter l’indignation, les citoyens finiraient par ne plus être choqués par les positions politiques des partis populistes, positions jusqu’alors impopulaires mais moins offensives que celles entendues sur quelques plateaux télé. 

Clément Viktorovitch : Julie Graziani et la radicalité comme stratégie  rhétorique - Clique - CANAL+ - YouTube
Le politologue Clément Viktorovitch en 2019 sur le plateau de l’émission Clique
Elargir la fenêtre d’Overton en période électorale

Un usage qui a permis à des candidats populistes d’être élus à la tête de leur pays. Président des Etats-Unis de 2016 à 2020, Donald Trump incarne parfaitement l’arrivée au pouvoir d’un candidat populiste, dont l’élargissement de la fenêtre d’Overton au sein de la société américaine a permis son élection. Pour cela, dans son article L’étreinte populiste publié dans la revue Vacarme en 2018, Lynda Dematteo explique le rôle que jouèrent les « mèmes » dans la campagne de l’Ex-Président. Fortement utilisés par la droite alternative américaine (dite également Alt-Right), celle-ci choisit de mettre en valeur la figure de Donald Trump, en se montrant hostile à l’égard d‘Hillary Clinton. À partir de là, face à ces mèmes, les électeurs ne connaissaient pas leur origine, ni même leur sens, de telle sorte que les mèmes permirent de conditionner l’opinion politique à l’adhésion pour Donald Trump.

Pepe la grenouille est devenu un symbole de l'ultradroite américaine
Un exemple de mème de Donald Trump réalisé par l’Alt Right, le représentant en Pepe la grenouille

Dès lors, le concept de « fenêtre d’Overton » permet de comprendre comment une idée autrefois impensable peut susciter l’adhésion, alors même que cette dernière peut entraver les droits des hommes. À l’heure des médias mainstream et des plateaux télévisions sur lesquels certains chroniqueurs et invités se livrent à des propos polémiques, la fenêtre d’Overton n’a jamais eu autant de possibilités de s’élargir, quitte à mettre en péril « l’esprit des Lumières », comme l’atteste Jacques Walter, professeur de sciences de l’information à l’université de Lorraine, certaines émissions relevant, selon lui, moins d’un « débat argumenté » que « d’un spectacle ». 

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