La fin de la transition démocratique birmane ?

Aung San Suu Kyi et drapeaux de la Birmanie

Le lundi 1er février, la Ministre des Affaires Étrangères et Conseillère spéciale de l’État Aung San Suu Kyi est arrêtée par l’armée birmane et placée en détention. Son arrestation vient faire culminer la période de vives tensions en Birmanie depuis les élections législatives de novembre dernier. En effet, c’est le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la Démocratie (LND), qui avait remporté haut la main les élections avec plus de 80% de sièges recueillis contre à peine 10% pour le parti de l’armée birmane. Ce plébiscite envers la Ministre des Affaires Étrangères fût un coup dur pour les militaires, qui apparaissent affaiblis politiquement. Cela a même conduit le chef de l’état-major a demandé le recompte des votes, dénonçant une fraude massive. Face au refus de la commission électorale de tenir compte de ces allégations, l’armée a pris le pouvoir en organisant un véritable coup d’État. Puisque ce n’est pas seulement Aung San Suu Kyi qui a été arrêtée, mais tous les ministres civils du gouvernement. Effectivement, le gouvernement birman est depuis 2011 partiellement civil, le pouvoir étant partagé entre l’armée et des représentant civils élus. Ainsi 25% des sièges à l’Assemblée sont occupés par des militaires non élus, soulignant le poids encore important de l’armée en Birmanie. Ce délicat partage du pouvoir entre les civils et les militaires est source de vives tensions, notamment depuis la victoire écrasante du LND en novembre dernier.

Si le coup d’État n’a pour l’instant pas fait éclabousser de sang, il est néanmoins un nouveau coup porté sur la démocratie fragile en Birmanie. Quatrième coup d’État depuis les années 1940, il est le symbole d’une transition démocratique très timide. Lundi dès l’aube, la télévision publique a cessé de diffuser, les connexions internet ne fonctionnaient plus, l’accès à l’aéroport international de Rangoun a été bloqué et les banques ont été fermées. L’état d’urgence a été déclaré par l’armée pour une durée d’au moins un an, et les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire transférés au chef de l’état-major Min Aung Hlaing.

La fragilité du régime Birman tient du fait de ses contradictions. Ne s’agissant ni d’une démocratie, ni d’une autocratie, la Birmanie semble vouloir tendre vers un modèle assurant les libertés politiques, ce qui est contrebalancé par l’influence conséquente de l’armée. Pays très pauvre et rural d’Asie du Sud-Est, la Birmanie est pourtant le plus grand producteur de jade mondial, qui génère presque 50% de son PIB. Or, les mines étant entre les mains d’une élite proche des dirigeants de l’ancienne junte militaire, le pays ne tire pas les fruits de ses ressources.

Si Aung San Suu Kyi a vu son image se détériorer sur la scène internationale ces dernières années vis-à-vis de sa position envers la communauté musulmane des Rohingyas, elle reste très appréciée en Birmanie, où elle incarne une figure du mouvement pro-démocratie et où elle bénéficie du prestige de fille de héros national. Opposante à la dictature militaire qui a régné sur la Birmanie pendant plus de 50 ans, elle est lauréate du prix Nobel de la paix en 1991 et occupe une place importante sur la scène politique birmane. Ayant fondé la LND, elle remporte une première victoire politique dans les années 1990. Mais son opposition à la junte militaire lui a valu plus de 15 ans de placement en résidence surveillée, elle sera libérée seulement en 2010. En 2011, l’armée accepte de former un gouvernement semi-civil sous la pression internationale, obtenant ainsi la levée des sanctions économiques qui pesaient lourd sur la Birmanie. Elle devient députée en 2012 et s’impose comme figure de la transition démocratique birmane. Composant diplomatiquement avec l’armée, Aung San Suu Kyi faisait très attention à ne pas remettre en cause les agissements des militaires, en conformité avec la Constitution.

Le coup d’État a immédiatement été condamné par la communauté internationale notamment Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, ainsi que Charles Michel, Président du Conseil Européen, réclamant la « libération immédiate » des personnes arrêtées. Joe Biden a de plus souligné l’importance pour la communauté internationale de « parler d’une seule voie pour exiger de l’armée birmane qu’elle rende immédiatement le pouvoir ».

Louis Brand – 04/02/21

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