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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie : les propos du Président de la République choquent

Louis Brand

Louis Brand

Étudiant à Sciences Po Paris - campus franco allemand de Nancy. Particulièrement intéressé par les relations internationales et les questions relatives à la sécurité/défense à l'échelle européenne notamment.
« Je vous ai compris ! Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité » (Extrait du discours de Charles de Gaulle prononcé à Alger le 4 juin 1958). En 1958, le Général de Gaulle et les Algériens ne s’étaient en fait pas compris. La division du peuple algérien et l’ambiguïté du fondateur de la Vème République sur la question ont longtemps suscité l’incompréhension parmi les historiens. Aujourd’hui encore, les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie rappellent ce dialogue compliqué entre deux nations à la fois très liées, mais aussi très différentes.

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Emmanuel Macron à Alger en décembre 2017. (AFP)

Les tensions entre la France et l’Algérie n’avaient pas été aussi tendues depuis 2005, date à laquelle le Parlement français avait adopté une loi reconnaissant le rôle « positif » de la colonisation française. Effectivement, la colère des Algériens ne diminue pas suite aux propos polémiques d’Emmanuel Macron du 30 septembre. Le Président de la République rencontrait la troisième génération d’enfants de harkis, de juifs et d’anciens membres du FLN lorsqu’il a déclaré : 

« Je ne parle pas de la société algérienne dans ses profondeurs, mais du système politico-militaire qui s’est construit sur une rente mémorielle. On voit que le système algérien est fatigué, le Hirak l’a fragilisé ». 

Emmanuel Macron aurait de plus questionné l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française, plaçant l’Algérie en pays satellite dont l’histoire serait subordonnée à d’autres États. En remettant en cause une « histoire officielle » qui ne « s’appuierait pas sur des vérités, mais sur un discours qui, il faut bien le dire, repose sur une haine de la France », le Président de la République a de toute évidence manqué de tact. 

Le Président algérien Abdelmadjid Tebboune dénonce une « ingérence française » et pointe du doigt dans un communiqué officiel une « atteinte intolérable à la mémoire des 5 630 000 valeureux martyrs qui ont sacrifié leur vie dans leur résistance héroïque à l’invasion coloniale française ainsi que dans la Glorieuse Révolution de libération nationale ».

La réponse diplomatique a été franche par les autorités algériennes : interdiction de survoler le territoire aux avions militaires français et rappel de l’ambassadeur algérien à Paris. En plus d’avoir complexifié le bon déroulement de l’opération Barkhane au Sahel, ces mesures sont lourdes de sens en langage diplomatique. 

Cela fait un peu plus d’une semaine que les tensions entre Paris et Alger se profilaient. La France avait tout d’abord reproché à l’Algérie, mais aussi à la Tunisie et au Maroc de refuser de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés. Selon Paris, cette situation bloquerait les expulsions de nombreuses personnes en situation irrégulière car les pays du Maghreb n’accueilleraient pas leurs ressortissants non acceptés en métropole. De son côté, l’Algérie reprochait à la France de gérer la question migratoire en solo.

La France a ainsi décidé de réduire de moitié les visas accordés aux Algériens souhaitant se rendre en France. De mesures de rétorsion en mesures de rétorsion, la situation a finalement débouché sur une crise diplomatique, ravivant une histoire mythifiée, souvent « instrumentalisée » selon les dires de Kader Abderrahim, auteur et maître de conférences à Sciences Po Paris. 

Les propos du Président de la République semble avoir été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La colère des Algériens ne diminue pas, malgré une tentative d’apaisement par l‘Élysée. Si les propos du Président Macron choquent autant, c’est parce qu’ils résonnent avec un lourd passé colonial, dont les plaies ne sont pas encore complètement cicatrisées. La France a longtemps eu du mal à assumer la tournure du processus de la décolonisation algérienne. La guerre d’Algérie a d’ailleurs été reconnue comme telle qu’à la fin du 20ème siècle, levant le voile sur ce tabou qui empêchait de reconnaître les actes qu’a commis l’armée française. 

En dénonçant « l’ingérence française » au sein de sa politique intérieure, l’Algérie semble vouloir rappeler que le rapport de force a changé et que la France n’a pas de jugement à émettre en ce qui concerne ses questions intérieures. D’un autre côté, la France semble vouloir mettre en lumière les contradictions d’un régime qui veut tendre vers la démocratie, mais qui est toujours handicapé par une structure politico-militaire, une défiance politique des citoyens et un bilan économique et social médiocre. 

Les tensions diplomatiques entre les deux pays sont d’autant plus marquantes que les relations franco-algériennes sont d’ordinaire plutôt bonnes. Le Président Macron avait entretenu de bonnes relations jusqu’ici, en étant allé loin dans le chantier mémoriel. En effet, pendant sa campagne présidentielle, le Chef d’Etat qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité », ce qui avait certes embarrassé la conscience collective française, mais permis de reconnaître la responsabilité de la France à cet égard en admettant les actes de tortures commis sur la population algérienne. 

Emmanuel Macron avait aussi demandé à l’historien et spécialiste de l’histoire algérienne Benjamin Stora de rédiger un rapport sur la réconciliation mémorielle autour de la colonisation et la guerre d’Algérie. À travers son ouvrage, l’historien préconisait de :

  • Commémorer davantage en honorant la mémoire des morts
  • Renforcer la coopération franco-algérienne
  • Enseigner davantage le passé colonial et la guerre d’Algérie dans les programmes scolaires 

Emmanuel Macron avait écouté une partie de ses préconisations en reconnaissant que l’avocat algérien Ali Boumendjet avait été torturé et tué par l’armée française en mars 1957. En revanche, l’Élysée se refuse toujours à s’excuser ou se repentir de cet épisode noir de son histoire. 

La solution de l’accalmie reste tout de même la plus probable car la France et l’Algérie partagent des intérêts communs. La première bénéficie des exportations de gaz et pétrole algériennes, tandis que la seconde ne peut pas se priver d’un partenaire économique aussi important que la France. Les deux pays partagent aussi un devoir de mémoire qui va dans le sens d’un renforcement de la coopération et du dialogue. 

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