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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

« Ce n’est pas une question d’argent mais une question de volonté politique ». Interview de Sandrine Rousseau sur la crise écologique et le féminisme

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Louis Brand

Étudiant à Sciences Po Paris - campus franco allemand de Nancy. Particulièrement intéressé par les relations internationales et les questions relatives à la sécurité/défense à l'échelle européenne notamment.
Enseignante-chercheuse en sciences économiques, Vice-Présidente de l’université de Lille et ayant été porte-parole nationale puis secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie les Verts (EELV), Sandrine Rousseau a accepté de revenir sur sa campagne pour CSactu, en abordant ses deux engagements majeurs : l’écologie et le féminisme. Battue d’un cheveu face à Yannick Jadot au second tour de la primaire des verts, la candidate se réclamant de l’écoféminisme obtient 48,97% des suffrages et a d'ores et déjà annoncé vouloir se présenter à la direction d’EELV à l’occasion du prochain Congrès du parti.

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Sandrine Rousseau

L’interview s’est ouvert sur la question très actuelle de l’augmentation du prix des carburants en France. Face à cette hausse, le gouvernement avait réagi en annonçant la mise en place d’un chèque énergie pour les individus percevant moins de 900 euros par mois, ainsi qu’un bonus de 100 euros pour les foyers les plus précaires. Pour Sandrine Rousseau ce n’est pas suffisant. Ayant un discours différent des autres figures politiques, elle affirme que « le prix du carburant continuera à augmenter, qu’on le veuille ou non » ce qui soulève la nécessité d’un « accompagnement des populations les plus vulnérables à moyen et long-terme ». La question de l’indépendance nationale concernant les énergies a aussi été soulevée par la militante écologique, soulignant l’importance «d’une véritable politique d’indépendance des énergies fossiles pour que les foyers les plus vulnérables n’aient pas à subir ces hausses » et pour « ne pas donner trop de pouvoir à Poutine » ironise-t-elle à la fin. Pour Sandrine Rousseau, la question de l’indépendance française et européenne concernant les énergies fossiles est intimement liée à l’écologie. La forte dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe est d’autant plus soulignée par le projet du Nord Stream 2, qui devrait relier la Russie à l’Allemagne mais qui subit les soubresauts d’une situation géopolitique tendue. 

« Faire en sorte que les français et les françaises, que les européens soient indépendants énergétiquement signifie qu’il ne nous faut plus nous chauffer ni au gaz ni au charbon ni au pétrole, qu’il ne nous faut plus utiliser de voitures thermiques et qu’il faut transformer nos processus de production »

Pendant la primaire, on vous a souvent opposé à Yannick Jadot qui incarnerait une écologie “d’accompagnement, de rassemblement” tandis que vous assumez une écologie “radicale et sociale”. Vous n’aviez d’ailleurs pas le même point de vue que lui concernant la hausse du prix du carburant. Comment expliquer que face à l’urgence climatique, les français ne soient toujours pas prêts à élire un candidat se déclarant “radical” en matière d’écologie ? 

« J’ai l’impression qu’il y a quand même eu un enthousiasme que pour la première fois on puisse porter la radicalité. Ce mot de radicalité (…) renvoie à quelque chose de nouveau dans le paysage politique et je crois qu’il faut aussi interpréter le fait que j’arrive deuxième avec 49% à la fin comme un désir de radicalité ». Affirmant que la société française est « prête à entendre une transformation profonde de la société pour faire face aux défis environnementaux », Sandrine Rousseau souligne aussi le nombre inédit d’inscrit à la primaire, ce qui a permis des débats de fonds sur la façon dont doit se dérouler la transformation écologique. 

Si la population française est prête à plus de radicalité, le gouvernement l’est beaucoup moins puisque le projet de révision prévoyant l’inscription de la protection de l’environnement dans la Constitution a été abandonné. Effectivement, en juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat avait proposé de modifier l’article 1 de la Constitution en y ajoutant « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Or, les chambres parlementaires n’ont pas trouvé d’accord sur la question du terme « garantir », jugé trop contraignant par les sénateurs, et le projet a été abandonné. 

Dans votre programme, vous proposez l’institution de droits pour la nature. Selon vous, est-ce que la modification de l’article 1 aurait été efficace dans un but de préservation de l’environnement ?  Aurait-il eu des effets contraignants ? 

« Il y a plusieurs niveaux de réponse. Le premier est que ce qu’a fait la Convention citoyenne pourrait presque être un programme commun à gauche. Mais je trouve qu’elle ne va pas assez loin parce qu’elle ne parle pas du prix du carbone et du nucléaire qui sont des sujets importants. Mais je suis prête à me dire que ce travail là, fait par des citoyens indépendamment des partis, est tout à fait un socle de mesure écologiste acceptable à gauche. Ça pourrait être notre plateforme commune (…) et même chez nous, chez les écologistes, on a un peu enterré cette affaire alors que les propositions qu’il y avait à l’intérieure étaient très intéressantes »

Sandrine Rousseau dénonce aussi la manière dont le projet de révision constitutionnelle a été abandonné et dont le gouvernement s’en est débarrassé en faisant reposer le refus de la réforme sur un organe extérieur au gouvernement.

« Ce qui s’est passé est, à mes yeux, ce qui est insupportable en politique. Pour ne pas accepter l’ensemble des mesures proposées par la Convention citoyenne, on a mis le projecteur sur une des mesures, qu’on a présenté comme emblématique et importante, et dont on savait que le Conseil Constitutionnel le refuserait. En fait, c’est une manière pour le politique de ne pas dire ce qui est fait, et ne pas dire qu’il ne veut pas de cette Convention citoyenne et de faire reposer cette décision sur un organe extérieur qui est le Conseil Constitutionnel. Et ça c’est vraiment ce que je déteste en politique » 

Finalement, où se trouve la solution ?

« La solution écologique n’est pas une question technologique, mais une question d’organisation sociale et de rapport à la nature. Tant qu’on est dans une société organisée autour du profit, et autour de la croissance, alors on ne pourra pas prendre le virage qui est indispensable de prendre. On ne pourra pas le faire parce que ça repose toujours sur cette idée qu’il peut exister un découplage entre le point de PIB et les émissions de carbone. Certes aujourd’hui il y a eu des débuts de découplages, mais ils sont largement compensés par une augmentation du PIB et donc il nous faut revoir le système même de croissance, le système même selon lequel le profit est à la source de la cohésion sociale. »

C’est ici que l’Europe a un rôle à jouer dans le sens où elle « peut pousser les pays à aller plus loin et à protéger les plus vulnérables ». Or, cela ne figure pas encore dans les Green New Deal européens, qui n’établissent pas de lien entre crise écologique et crise sociale. 

« Le mot d’Europe sociale ne s’incarne pas. Or aujourd’hui, on est à ce rendez-vous là. Est-ce qu’on est capable de revoir notre contrat social pour réduire les inégalités d’un facteur 1 à 5 ? »

Ainsi, selon elle, les Green New Deal européens ne sont que des pansements et ne permettront pas de rester en deçà de 1,5 degré. Effectivement, il faudrait une diminution de 80% des émissions de CO2 d’ici 2050 pour rester en dessous de 1,5 degré, ce qui nécessite un « changement radical de nos manières de vivre ». Ce n’est donc pas « juste un soutien à des entreprises pour se moderniser, ce n’est pas juste une isolation des bâtiments, c’est profondément revoir notre système qui est organisé autour de la production de masse et la consommation de masse » 

«Ne rien faire va coûter encore bien plus cher, et dans des proportions que l’on n’imagine pas»Face à l’argument du coût de la transition, du coût de réduction des inégalités qui est constamment soulevé par les dirigeants, Sandrine Rousseau propose une taxation du carbone qui constituerait une « source de financement énorme ».

Vous étiez la première candidate à vous déclarer “écoféministe”. Selon vous, en quoi le féminisme et la lutte contre le dérèglement climatique sont-elles deux thématiques liées ? Comment analyser la fusion de ces deux termes au sein d’un seul ?  

« On est dans une société extractiviste, dans une société d’exploitation et de prédation, c’est-à-dire qu’en fait, tout notre système économique ne vit que par la prédation. La prédation des ressources, la prédation des humains… et tout cela s’est mis en ordre réglé à peu près au 19èmesiècle, où on a rationalisé notre société, et dans cette rationalisation, les femmes ont été utilisées pour la reproduction, la nature pour les ressources et les colonies pour fournir de l’énergie. Donc le 19ème siècle a été un siècle d’organisation de la société autour de la prédation et aujourd’hui, si on veut revoir notre rapport social à la nature, si on veut sortir d’une hiérarchie et d’une distinction entre les humains et les animaux, aussi forte qu’elles le sont aujourd’hui, si on veut revoir les équilibres naturels non pas comme une organisation mathématique de la nature comme le disait Descartes mais au contraire comme un système vivant et adaptatif en permanence, il est nécessaire de revoir notre rapport à la prédation et à la domination

« Et donc évidemment que le féminisme a quelque chose à dire là-dessus, il n’est pas pour rien que l’essentiel de nos dirigeants aient été des hommes, et que les femmes n’aient pas eu voix au chapitre dans ce mouvement. Quand on regarde les luttes environnementales dans le monde, et bien très souvent elles ont été animées par des femmes et pourquoi ? Parce qu’en fait les femmes, plus que les hommes, dépendent de ces ressources-là. Elles sont les premières à en avoir besoin. Et la première des luttes a été par exemple la lutte contre les communs et le mouvement des enclosures en Angleterre au 18èmeet 19èmesiècle, dans lesquels les femmes étaient présentes. Aujourd’hui, le fait que le pouvoir politique de décision soit concentré entre les mains des hommes d’une classe sociale homogène fait qu’il est impossible de revoir notre système social et notre rapport à la nature. Et donc il faut que les femmes et les minorités arrivent, il faut que ce pouvoir soit bien plus partagé qu’il ne l’est aujourd’hui » 

Donc pour renverser le système capitaliste, il faudrait aussi renverser le système social dans lequel les hommes dominent ?

Absolument !

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