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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Crise de la représentativité en France, la démocratie délibérative est-elle la solution à l’ère des réseaux sociaux?

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Louis Brand

Étudiant à Sciences Po Paris - campus franco allemand de Nancy. Particulièrement intéressé par les relations internationales et les questions relatives à la sécurité/défense à l'échelle européenne notamment.
Nos systèmes démocratiques sont fondés sur la représentativité, signifiant que chaque citoyen vote pour un.e élu.e qui représentera les intérêts de ses électeurs à l’hémicycle. D’un point de vue théorique, cela impliquerait que l’Assemblée nationale soit constituée de tous les milieux sociaux, tous les sexes, tous les genres. Peut-on encore parler de démocratie "représentative" quand 75% des députés de l’Assemblée nationale sont des cadres issus des professions intellectuelles supérieures ? Dans quelle mesure l’ensemble des intérêts du peuple français peuvent-ils être défendus quand l’Assemblée ne compte aucun ouvrier parmi ses rangs ?

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démocratie délibérative
démocratie délibérative

Si le renouvellement de l’Assemblée en juin 2017 a marqué une hausse significative du nombre de femmes parmi les élus, la mixité sociale n’a pour autant pas augmenté. Cette crise de la représentativité est souvent pointée du doigt, notamment par le mouvement des gilets jaunes en France. À la fois cause et conséquence de l’abstention croissante parmi les classes populaires, le manque de représentativité menace le bon fonctionnement de nos démocraties. 

Un grand nombre de théoriciens et politologues ont analysé cette défaillance et ont tenté d’y apporter des solutions, notamment Jürgen Habermas. Ce philosophe allemand est connu pour son concept de démocratie « délibérative ». L’idée centrale est de placer le débat public au cœur de chaque prise de décision, laissant ainsi la place aux classes les moins aisées de défendre leurs intérêts. Plus inclusive que nos démocraties actuelles, la démocratie délibérative privilégie le consensus au principe de « la majorité l’emporte ». 

Mais ce concept imaginé par Jürgen Habermas est-il la solution pour pallier les défaillances de nos systèmes représentatifs ?

Premièrement, le fait que nous soyons dans des « démocraties de masse » rend compliqué d’un point du vue pratique la tenue de débats publics pour chaque prise de décision. Ensuite, il s’avère que le débat public en lui-même est sensiblement déprécié par l’avènement des réseaux sociaux. Si Internet permet certes à plus de monde de s’exprimer politiquement et d’avoir accès à l’information, il a aussi un certain effet contre-productif. Le suédois Peter Dahlgren exprimait dans son essai The Internet, Public Spheres and Political Communication, que la qualité du débat public était réduite par les réseaux car la spontanéité s’y faisait au détriment de la rationalité et de la tolérance. 

Du two-step flow communication au three-step flow communication (Lazarsfeld) 

Les réseaux sociaux viennent se placer entre les individus et les médias, ce qui contribue à la création d’information incomplète, biaisée et filtrée, d’où le passage d’une communication en deux étapes à une communication en trois étapes. En plus de filtrer l’information, les réseaux sociaux créent des bulles disparates de communication politique, due au jeu des algorithmes qui exposent les individus toujours aux mêmes idées et couleurs politiques. Si une impression d’hétérogénéité et de mixité émane du Net, il ne faut pas sous-estimer le partisanisme toujours plus envahissant sur les réseaux. Cela rend la limite entre le journalisme et le non-journalisme de plus en plus floue et les fake news circulent plus vites que jamais. Le mouvement QAnon en est l’exemple le plus parlant. 

Le risque d’une « démocratie d’opinion » 

En France, il existe un débat public mais pas au sens d’Habermas. Ce dernier prônait des discussions rationnelles relevant de l’intérêt général. Mais le débat public est en fait dominé par une élite intellectuelle et par les intérêts étatiques. Comme le montrait Pierre Bourdieu, nos « démocraties d’opinion » cachent en fait des rapports de domination dans le sens où l’opinion publique est influencée et dominée par le groupe dominant. Les médias et réseaux sociaux sont pour la plupart assujettis aux grandes entreprises alors qu’ils constituent la première source d’information du public. 

Le public est ainsi exposé à longueur de temps à de l’information servant les intérêts capitalistes des grandes marques et de l’État. Bien qu’en France, les médias soient très libres par rapport à d’autres régions du monde, l’information reste dans une certaine mesure contrôlée et au service de l’élite. Cela est particulièrement visible dans le monde de la télévision. La télévision est devenue bien plus un diffuseur de publicités des grandes marques, qu’un diffuseur d’informations. Et si information il y a, elle est indéniablement au service de l’État qui garde la main sur le contenu. À titre d’exemple, le Conseil d’administration de France Télévision est majoritairement constitué de représentants de l’État, qui servent donc les intérêts du gouvernement en fonction. 

Les injonctions à la consommation perpétuées par les publicités contribuent à la formation d’une opinion de masse et à la dépolitisation des individus. Dans son ouvrage Power & Choice, Shively montre que le passage de l’État libéral à l’État social s’est accompagné d’un désintérêt envers la politique au profit de la consommation. En cela, la démocratie délibérative perd de son sens pour pallier la crise de la représentativité. 

Ainsi, la démocratie délibérative pourrait représenter une alternative à la crise de la représentativité, mais à l’ère des réseaux sociaux et de la consommation, les individus se dépolitisent et ont accès à des informations de plus en plus filtrées. L’opinion publique majoritaire étant, de plus, largement influencée par les groupes d’intérêts, la démocratie délibérative ne permettrait pas forcément d’inclure les classes les moins aisées dans la sphère publique. 

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