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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

L’intelligence artificielle au service de la création littéraire ?

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Célia Courteix

Actuellement en master littératures et médiations à l'Université de Lorraine à Metz, je m'intéresse à l'actualité culturelle et littéraire. Depuis octobre 2023, je rédige des articles pour la rubrique culture. Mes champs de prédilection sont la littérature et l'utilisation de l'IA dans les domaines culturels.
Au cours de ces trois dernières décennies, la production littéraire a vu ses pratiques réinventées et modernisées pour jouer avec les outils numériques. C’est à partir de ce moment-là que la littérature assistée par ordinateur a fait son apparition dans le champ littéraire.

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La littérature assistée par ordinateur, qu’est-ce que c’est ?

La littérature numérique est un dispositif de lecture pensé et conçu par ordinateur. L’ensemble des dispositifs propres à l’ordinateur sont pris en compte – environnement numérique, sonore, vidéo et tactile. Aux prémisses de cette création, les récits étaient néanmoins proposés dans un format site web. De nos jours, des maisons d’édition se sont lancées dans l’expérience et ont proposé des applications pour lire des romans papiers transformés en récits interactifs. La maison d’édition L’Apprimerie, spécialisée dans la littérature jeunesse et cherchant à créer des liens entre littérature papier et numérique, a proposé une collection d’ouvrages classiques adaptés au récit interactif.

Les programmeurs jouent sur ces fonctionnalités pour produire une nouvelle expérience de lecture. Le lecteur est ainsi plongé dans l’œuvre et peut être le maître de son histoire. Comme l’expliquait Philippe Bootz, chercheur en littérature numérique, la littérature numérique se définit comme « toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme un médium  et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium. »

Par ailleurs, des programmes permettent de générer, par ordinateur, des textes aléatoires, de A à Z. L’auteur n’intervient aucunement sur le récit et laisse la machine opérer. Dans les années 2000, Rodrigo Reyes a créé un site web de « génération automatique de textes aléatoires », Charabia.net. Ce site permet de produire des textes à valeur littéraire comme des poèmes, des essais philosophiques et des romans. Comme l’expliquait son créateur, le texte produit pouvait être dénué de sens ; mais c’est souvent ce manquement qui vient justement donner un sens à la création.

Également, depuis plus de vingt-cinq ans, l’écrivain et chercheur en littérature et informatique, Jean-Pierre Balpe travaille sur un logiciel permettant de générer des textes littéraires sous contraintes. Grâce à un algorithme défini par l’auteur, l’ordinateur va proposer une suite de mots pour un texte qui n’aura une fin que si le lecteur le décide. Par exemple, le logiciel est capable de générer un texte poétique à la manière de Mallarmé, des lettres d’amour, ou encore des pages d’un roman inachevé. Cette prouesse littéraire et technologique se rapproche des intelligences artificielles (IA) que nous connaissons et utilisons pour divers projets.

La technologie au service du récit intéractif

Le récit intéractif est un genre permettant de lier narrativité et interactivité, dans lequel le lecteur devient le maître ou le héros de son histoire. L’auteur, dans ce cas, n’est plus qu’un intermédiaire entre l’écriture des différents scenarii et la chute du roman ; il va guider son lecteur jusqu’à la résolution de son histoire.

Bien qu’il existe une trame narrative, le récit est interrompu, par moments, par des moyens hypertextuels dans le cadre d’une lecture numérique. Le lecteur peut alors jouer sur la narration, sur l’histoire qui va suivre pour en changer sa finalité ou encore sur la structure de ce récit – des chapitres peuvent être sautés, pris dans un ordre aléatoire etc. Récemment, l’un des exemples les plus marquants est le roman policier de Jean-Pierre Balpe, Trajectoires. Au cours de cette expérience, le lecteur va devoir utiliser les ressources proposées par l’ordinateur ; à savoir la manipulation des éléments du récit par la souris, l’avancée dans l’histoire en cliquant sur des hyperliens ; l’ensemble du texte doit être scruté et constitue un jeu. Par exemple, le dénouement de l’histoire se dévoile dans l’apparition du portrait des deux coupables, sous forme d’un puzzle que le lecteur doit résoudre.

Lorsqu’il ne s’agit pas de changer le cours de l’histoire, les récits interactifs peuvent proposer une véritable expérience immersive aux lecteurs. Le lecteur peut alors jouer sur les sons, le dévoilement du texte par le mouvement de la souris ou utiliser sa caméra pour incarner le personnage le temps d’un chapitre et ainsi faire avancer l’histoire.

Bien que d’abord pensé dans le cadre d’un travail de recherche, le récit généré par ordinateur tend à se populariser auprès d’écrivains contemporains.

Quels usages de l’intelligence artificielle dans la littérature contemporaine ?

Les entreprises du numérique cherchent désormais à programmer les IA de sorte à produire des textes littéraires au plus proche des classiques connus du grand public, mais également à tenter de nouvelles approches en matière de création littéraire. Cela a été le cas pour le récit de voyage expérimental de Ross Goodwin, 1 the Road, publié en 2016. Inspirée du roman Sur la route (1957) de Jack Kerouac, cette oeuvre a été rédigée par une IA embarquée dans une voiture, sillonnant les routes entre New York et la Nouvelle-Orléans. Cette production a été rendue possible par notamment un travail en amont avec l’IA ; le deep learning des œuvres classiques anglo-saxonnes. Mais aussi, grâce à une caméra et un microphone installés dans la voiture. En s’inspirant des paysages et des sons environnant et au fil de la route, l’IA a pu produire un texte papier en temps réel.

Plus récemment, le prix japonais Akutagawa Ryunosuke a été décerné à la romancière Rie Kudan pour son roman de science-fiction Tokyo-to Dojo-to, ou La Tour de la compassion de Tokyo en français. Plongé dans un monde futuriste, l’histoire met en scène l’existence d’une tour-prison dans une société où la tolérance prime outre mesure. Suite à cette récompense, l’autrice avoue avoir utilisé Chatgpt pour l’aider dans la rédaction de son roman et dont environ 5% de son texte a été écrit par cette IA. Suite à ces révélations, les avis divergent et divisent les professionnels du monde littéraire ; remettant en question le rôle de l’auteur dans la rédaction, la place de la technologie dans le processus créatif aux côtés de l’homme et le mérite de ce roman.

L’intelligence artificielle nuit-elle réellement à la création littéraire ?

Il est possible de reprocher à la littérature artificielle une incapacité à se rapprocher de l’aspect humain de cet art. En faisant de la littérature un art sacré, l’écrivain doit être le seul maître de son écriture et ne peut alors déléguer cette mission à un tiers et d’autant plus à une intelligence artificielle. En effet, selon un article de France Culture, cette pratique « se heurte à un interdit ancien dans l’imaginaire littéraire : l’interdit de la délégation d’exécution, l’interdit du “faire écrire”. […] Dès lors, ce résultat sera toujours idéologiquement disqualifié par le procédé. »

Néanmoins, certains auteurs – comme Antoine Bell et Philippe Vasset – s’opposent à cette idée et affirment que l’IA peut renouveler la création et produire un nouveau genre ; une sorte de pratique expérimentale. De plus, utiliser l’IA dans l’élaboration d’un récit permettrait de porter un regard neuf sur le monde et non plus d’adopter un point de vue anthropocentré. Enfin, selon la lauréate japonaise, Chatgpt lui a permis de réfléchir sur des dialogues, d’amorcer des sujets plus intimes dont elle n’aurait pas osé parler mais aussi de développer sa créativité. Dans le futur, elle espère même travailler avec d’autres IA pour faire perdurer cette “complicité” entre écrivain et algorithme.

Les auteurs contemporains et ceux en devenir pourront-ils évoluer avec leur temps et se servir des outils technologiques mis à leur disposition, pour pousser le processus de création littéraire le plus loin, sans que leur travail ne soit pour autant dénaturé ?

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