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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

« DANS LE SYSTÈME TALIBAN C’EST IMPOSSIBLE D’ÊTRE UNE JEUNE FILLE ET D’ÊTRE ÉDUQUÉE » Entretien avec des journalistes de retour de Kaboul (Afghanistan)

Picture of Paul Bondot

Paul Bondot

Journaliste culture et plus spécifiquement le cinéma et l'actualité de l'audiovisuel
Sylvie COZZOLINO et Thierry TRELLUYER sont partis le 9 novembre à Kaboul pour y tourner un reportage. Pendant 10 jours, ils ont filmé la vie des Afghans sous le régime taliban et notamment le quotidien des femmes et des jeunes filles afghanes. Quels sont les droits des femmes aujourd’hui en Afghanistan ? Quelle place pour l’éducation ? Quel avenir pour le pays ? Quel traitement les Talibans réservent-ils aux journalistes ? Réponse dans notre entretien.

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Sylvie COZZOLINO en tournage à Kaboul. ©SylvieCozzolino

Le 9 novembre 2021 vous vous êtes envolés pour l’Afghanistan, quel était l’objet de votre reportage ? 

Sylvie COZZOLINO (journaliste et réalisatrice) : Depuis quelques mois nous suivons une femme politique Afghane : Fawzia KOOFI. Elle est la seule femme cheffe de parti politique en Afghanistan, première femme députée, seule femme vice-présidente de l’assemblée nationale, elle a été aussi négociatrice de paix face aux talibans avant l’entrée dans Kaboul, en 2019 elle a été en lice pour le prix Nobel de la paix. 
Initialement nous voulions la suivre à Kaboul mais elle est sortie d’Afghanistan le 28 août avec le dernier avion Qatari. Dès lors, elle voulait déjà retourner le plus vite possible en Afghanistan et notre projet était de l’accompagner.   

Fawzia KOOFI se bat, elle, pour que toutes les filles Afghanes puissent suivre une scolarité.

Sylvie COZZOLINO, journaliste

Malgré le fait qu’elle ne puisse pas retourner à Kaboul, vous avez décidez d’y aller sans elle, pourquoi ? 

SC : Nous voulions raconter son histoire, ce qui reste de son passage, ce qu’elle a fait en faveur des femmes de son pays. C’est une cheffe politique mais c’est avant tout une féministe, une militante très active pour les droits des femmes, pour les droits des jeunes filles, pour les droits des écolières, pour l’accès à l’éducation pour tous. 
Un exemple : en 2002/2003 à la chute du premier régime taliban, Fawzia KOOFI a ouvert des écoles pour les filles qui avaient été privés d’éducation. Parce que sous le premier régime Taliban, les filles n’avaient pas le droit d’aller à l’école. Aujourd’hui, les filles jusque 12 ans peuvent aller à l’école. 
Fawzia KOOFI se bat, elle, pour que toutes les filles Afghanes puissent suivre une scolarité.

Thierry TRELLUYER (journaliste et caméraman): En plus d’être cheffe de parti politique, Fawzia KOOFI gère également une ONG. Cela lui permet d’organiser des aides alimentaires pour les Afghans. Elle mène donc un combat politique mais aussi un combat sur le terrain pour répondre à l’urgence des habitants.

Vous avez réussi à rencontrer le porte-parole Taliban du ministère de l’éducation, que vous a-t-il dit et quelles sont les volontés des Talibans en matière d’éducation ? 

TT : En 1998, lors du premier régime des Talibans, les filles ne pouvaient pas aller à l’école. Aujourd’hui il semblerait que le chemin pris soit le même, mais la communication est différente. Le niveau de sincérité est difficile à évaluer. La communauté internationale met une pression forte. La ligne rouge c’est la condition des femmes et des jeunes filles. Si demain les filles ne sont pas autorisées à aller à l’école l’Afghanistan risque de se couper du monde extérieur. 

SC : Là concrètement les filles après 12 ans ne vont pas à l’école. Ce que nous dit le porte-parole, avec un discours très martelé et bien préparé, c’est : « on est en train de travailler à des solutions pour que les filles puissent aller à l’école, en conformité avec la charia (la loi islamique) dans des écoles séparées. » Mais c’est déjà le cas ! Il y a des écoles pour filles, et il y a des écoles pour garçons. Donc qu’est-ce qui empêcherait aujourd’hui les filles d’aller à l’école ? 

Une école à Kaboul©ARTE-GEIE_Nomades_2021

Que deviennent les jeunes filles de plus de 12 ans qui étaient scolarisées ? 

SC : C’est fini. Elles sont chez elles. Dans le système Taliban c’est impossible d’être une jeune fille et d’être éduquée.

TT : Les plus favorisées peuvent prendre des cours payants par correspondance sur internet. 
Pour ceux qui n’ont pas les moyens, il y a des regroupements non autorisés ou des instituteurs et institutrices essayent d’assurer une continuité pédagogique bénévolement. 

Il y a des milliers de jeunes afghanes qui ont été sorties du système éducatif.

Sylvie COZZOLINO, journaliste

C’est ce que nous pouvons découvrir dans votre reportage ?

SC : Oui, nous sommes allés dans une école clandestine où il y avait une vingtaine de filles qui avaient plus de 12 ans. 
L’école clandestine se trouve dans l’appartement de l’enseignante. Elle a monté cette classe à deux pas de son école officielle. Elle appelle cela une académie privée. L’enseignante aimerait en créer davantage, peut-être avec l’aide des ONG internationales. Il faut savoir qu’il y a des milliers de jeunes afghanes qui ont été sorties du système éducatif.
Nous avons rencontré une fille de 13 ans, elle nous a dit que c’est sa maman qui lui a demandé de venir dans l’école clandestine. Et nous avons appris que sa maman est femme de ménage. C’était très touchant, ça veut bien dire qu’il y a une prise de conscience de l’importance de l’éducation, même dans les classes très populaires.
Pour les enseignantes qui donnaient les cours aux jeunes filles de plus de 12 ans, le problème est le même. Elles se retrouvent sans travail et sans salaire. Et pour le moment, quand elles enseignent de manière clandestine, elles le font de manière bénévole et avec le risque en plus. 

Est-ce que les Talibans sont au courant de l’existence de ces écoles clandestines ? 

TT : C’est difficile de savoir. Ils font peut-être semblants de ne pas être au courant, en se disant qu’au niveau de leur communication, ils ne peuvent pas se permettre de faire une descente. 

SC : Ce qui est sûr, c’est qu’ils font extrêmement attention à ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Les sujets sensibles ce sont : les journalistes étrangers et les filles. Ils savent que la communauté internationale les observe, et si des journalistes étrangers se font maltraiter, ou si des jeunes filles sont molestées ou autre, les répercussions seront bien entendu très mauvaises. 

Économiquement il y a une réelle catastrophe humanitaire.

Thierry TRELLUYER, journaliste

Font-ils vraiment attention à la communauté internationale ? 

TT : Oui, ils en ont besoin. Économiquement il y a une réelle catastrophe humanitaire. Ils ont besoin d’argent et de l’aide internationale. 

Nous sommes là pour vous protéger.

Un chef Taliban

Comment avez-vous ressenti la pression des talibans sur votre travail de journaliste ? 

 SC : A la fin des années 1990, ils ne faisaient pas cas des journalistes occidentaux. Là ils font plus attention à nous. Nous avons filmé une conférence de presse organisée par le parti politique de Fawzia KOOFI. Les Talibans ont fait une descente mais dès qu’ils nous ont repérés – nous journalistes étrangers – leur ton a changé. Le commandant nous a dit « nous sommes là pour vous protéger. Nous aimons deux catégories de la population : les chefs d’entreprises et les journalistes ». Au fur et à mesure on se rend compte qu’il ne parle pas de n’importe quels journalistes, il parle des journalistes étrangers. D’ailleurs il n’y a que notre caméra qui est autorisée à filmer cette séquence. Ils font en sorte de ne pas choquer les médias occidentaux sur place. Ils nous le disent d’ailleurs : « il faut qu’on montre une image positive de nous, les Talibans ».   

Pour conclure, en une phrase que retenez-vous de votre tournage à Kaboul ? 

TT : Kaboul c’est un point d’interrogation. Les habitants, et nous aussi d’ailleurs, on se demande si les Talibans sont les mêmes qu’en 1998 ou s’ils ont changé. A ce jour, personne n’a la réponse. À titre personnel, j’ai trouvé beaucoup de tristesse. Les habitants ont perdu l’espoir.  

SC : Oui, une infinie tristesse. Parce qu’il y a beaucoup d’enfants dans les rues qui crèvent de faim. L’hiver arrive et ce sera terrible. Infinie tristesse aussi pour le sort des femmes Afghanes. En tant que femme occidentale, à plusieurs reprises j’ai été choquée que l’on ne me serre pas la main, que l’on ne me regarde pas pendant une interview. Je n’ai pas senti de respect envers les femmes. Infinie tristesse aussi parce que on ne sait pas de quoi demain sera fait. J’aimerais que cette population se mobilise, mais on sent un abattement terrible.  

Le reportage « Afghanistan : une féministe face aux Talibans » réalisé par Sylvie COZZOLINO et Thierry TRELLUYER, sera diffusé le samedi 11 décembre à 18h35 sur ARTE. 

Voir aussi :
https://www.csactu.fr/afghanistan-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-engendre-loppression-des-droits-des-femmes/

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