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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

Les dessous de la colère agricole

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Pierrick MOUEZA

Je m'appelle Pierrick Mouëza. J’ai obtenu une licence de sociologie à l’Université de Bordeaux. Je suis actuellement en BUT information-communication parcours journalisme à l’Université Clermont-Auvergne. J’ai rejoint CS Actu en septembre 2023. J'aime découvrir l'actualité et la partager autour de moi. J’ai une préférence pour les sujets environnementaux et sociétaux même si je m’intéresse à l’actualité dans sa globalité. J’apprécie aussi le travail de terrain requis dans le cadre journalistique et lors d’enquêtes sociologiques. Bonne lecture ! Je suis joignable par mail : pierrick.moueza@gmail.com. Mon profil LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/pierrick-m-114808296/⁣⁣⁣
Récemment, les agriculteurs Français ont multiplié les manifestations pour exprimer leur colère. Une façon de dire stop à un système qui ne leur convient plus et un moyen d'avoir une forte visibilité. Revenons sur les causes de cette mobilisation du monde agricole qui a débuté le 18 janvier 2024.

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Manifestation des agriculteurs à Berlin (Allemagne) en 2019 © Pixabay
Manifestation des agriculteurs à Berlin (Allemagne) en 2019 © Pixabay

Pour comprendre les manifestations des agriculteurs, il convient de rappeler quels métiers composent cette catégorie socio-professionnelle. Selon l’INSEE, « ce secteur de l’économie comprend les cultures, l’élevage, la chasse, la pêche et la sylviculture ». En 2019, il y avait 400 000 « agriculteurs exploitants », soit « 1,5 % de l’emploi total » contre 7,3% en 1984 d’après les données de l’INSEE.

Aujourd’hui, les agriculteurs représentent donc une faible part de la population active. Pourtant, leur profession ne reste pas moins indispensable à la société. En effet, ils représentent le premier maillon de l’alimentation.

Être agriculteur aujourd’hui : une perte de reconnaissance

D’abord, la crise qui touche les agriculteurs est sociale. « La majorité des agriculteurs qui manifestent ne sont pas libres de leur travail, ni libres des revenus de leur travail », explique Jocelyne Porcher, sociologue et directrice de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). « Ils manquent de temps, ils manquent de revenus, ils manquent de collègues, ils manquent de reconnaissance », ajoute-t-elle.

Ce manque de reconnaissance s’inscrit dans un contexte de méfiance vis-à-vis des pratiques agricoles. Ainsi, la profession est souvent pointée du doigt pour son rôle dans la dégradation du climat. Un rapport du Commissariat général au développement durable rappelle d’ailleurs qu’en 2019, « l’agriculture est le deuxième poste d’émissions de gaz à effet de serre de la France ». À l’heure du réchauffement climatique, ce type de chiffre peut contribuer à une stigmatisation, ou en tout cas, à un manque de reconnaissance envers une profession qui n’aurait que faire de l’environnement.

Bien sûr, l’idée n’est pas de minimiser les inconvénients de l’agriculture moderne. Mais il est important de s’intéresser à la réalité du métier pour éviter les idées reçues à son propos. Comme le rappelle Jocelyne Porcher, « l’élevage est un métier du soin. Soin des animaux, mais aussi soin des sols, soin de la nature ». Donc, que ce soit l’élevage ou la culture des terres, le métier exige un contact particulier avec la nature.

Du point de vue des agriculteurs, le constat est similaire. Cela s’observe dans la synthèse publiée le 24 janvier 2024 par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Par exemple, la première revendication porte sur la dignité des agriculteurs qui se sentent « abandonnés ». De plus, malgré le soutien de la population lors de crises, ils font « l’objet de vives critiques », pour les causes citées plus haut. « Cela provoque un sentiment de mal être généralisé et de manque de considération de la profession », conclut la FNSEA.

Une bureaucratisation de l’agriculture

Impossible d’évoquer l’aspect social de la colère des agriculteurs sans se pencher sur la dimension administrative incluse dans cette activité. La chercheuse en sciences politiques Blandine Mesnel a étudié ce phénomène de paperasse qui touche les exploitants agricoles. Selon elle, la PAC constitue une grande partie du problème. En effet, « la bureaucratisation de la PAC se distingue des autres parce qu’elle est perçue comme particulièrement illégitime [par les agriculteurs] », explique-t-elle.

Premier problème, les conditions pour bénéficier des subventions de la PAC « sont de plus en plus précises et nombreuses », indique Blandine Mesnel. Il n’est donc pas si facile de bénéficier de cette politique européenne. Cela exige une « mise aux normes des bâtiments d’élevage, exigences de couverture minimale des sols, maintien de bandes tampon le long des cours d’eau et de particularités topographiques (haies, mares, bosquets) », rappelle la chercheuse en sciences politiques. Autant de mesures qui peuvent être coûteuses et chronophages pour les agriculteurs.

Deuxième problème identifié par Blandine Mesnel, le contrôle du respect de ces normes. Ainsi, « chaque État membre doit développer un dispositif adapté de contrôle et de traçabilité bureaucratique des pratiques professionnelles », écrit la chercheuse. Or cette surveillance ajoute une « surcharge administrative » pour les agriculteurs.

Une agriculture sous perfusion ?

« Si nous n’avions plus d’aides PAC, ce serait suicidaire », commente Philippe Pinta, Président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) dans un article du Monde. Cette phrase résume à elle seule tous les problèmes économiques auxquels fait face le secteur agricole aujourd’hui en France. « Elles représentent 47 % du revenu des agriculteurs français en moyenne », rappelle le député européen Michel Dantin dans un article. Face à un tel chiffre, on peut parler d’une dépendance des agriculteurs français aux subventions européennes. Concrètement, cette dépendance résulte « d’un système économique dans lequel, pour de nombreuses exploitations, le prix de vente des produits agricoles est insuffisant pour faire face aux coûts de production engagés », explique Vincent Chatellier, économiste à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). La colère des agriculteurs est en fait la conséquence d’un système qui laisse peu de place et de moyens aux agriculteurs.

Le refus de la hausse du gazole non routier

Aujourd’hui, les agriculteurs font face à des difficultés économiques. La gestion des exploitations agricoles devient alors compliquée. La hausse du prix du gazole non routier (GNR) figure dans les causes principales de cette mobilisation. Ce GNR alimente de nombreux engins utilisés pour les travaux mais aussi pour l’agriculture. Or, son coût a augmenté pour équilibrer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) entre les citoyens et les agriculteurs. Suite aux mesures annoncées par le gouvernement de Gabriel Attal, les agriculteurs ont finalement réussi à empêcher la hausse du GNR.

Dans un article du Monde, Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine-PSL explique que « la montée des contraintes fiscales aurait surtout du sens si les agriculteurs disposaient à court terme de solutions pour émettre moins de gaz à effet de serre ». La colère des agriculteurs à propos de la hausse du prix du GNR est donc un cri d’alarme. En effet, comment obliger tout le secteur à stopper l’utilisation du GNR s’il n’y a aucune alternative énergétique derrière ?

La guerre des prix

Autre grand problème des agriculteurs : la guerre des prix provoquée par les centrales d’achat. Ce sont des « structures commerciales auxquelles s’associent des enseignes de la grande distribution afin de négocier en commun auprès de leurs fournisseurs ». Intermarché et le groupe Casino, Carrefour et Dia et Auchan et Système U forment les centrales d’achat les plus importantes en France.

Le but des centrales d’achat est de permettre aux géants de la distribution de grouper leurs commandes. Ainsi, ces groupes bénéficient d’avantages économiques en réalisant des volumes d’achats très importants. Pour les agriculteurs, cela permet aux distributeurs de « spéculer sur les prix en augmentant leurs marges sur le dos des producteurs et des consommateurs ». Au niveau macroéconomique, ces centrales d’achat représentent donc une menace pour le secteur agricole. « La grande distribution est en situation d’oligopole avec ses 4 grandes centrales d’achat. Elle fait la pluie et le temps sur nos prix, et nous subissons la tempête », s’indigne le syndicat Confédération paysanne sur X. Les agriculteurs se sentent donc lésés car ils ne peuvent négocier les prix auxquels les centrales d’achat achètent leurs produits.

La colère du monde agricole peut donc s’expliquer par ces contraintes socio-économiques qui étouffent les professionnels. Le salon de l’agriculture, du 24 février au 3 mars prochain, permettra de faire le point sur la crise qui affecte le secteur.

Un article écrit en collaboration avec la rubrique politique et internationale, dont les article sont disponibles en ligne.

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