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Le journal pour les jeunes, par les  jeunes

REPORTAGE. « Je veux juste dormir au chaud comme tout le monde »

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Pierrick MOUEZA

Je m'appelle Pierrick Mouëza. J’ai obtenu une licence de sociologie à l’Université de Bordeaux. Je suis actuellement en BUT information-communication parcours journalisme à l’Université Clermont-Auvergne. J’ai rejoint CS Actu en septembre 2023. J'aime découvrir l'actualité et la partager autour de moi. J’ai une préférence pour les sujets environnementaux et sociétaux même si je m’intéresse à l’actualité dans sa globalité. J’apprécie aussi le travail de terrain requis dans le cadre journalistique et lors d’enquêtes sociologiques. Bonne lecture ! Je suis joignable par mail : pierrick.moueza@gmail.com. Mon profil LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/pierrick-m-114808296/⁣⁣⁣
Olivier, 44 ans, est sans-abri depuis neuf mois à Vichy. Le 15 décembre, il a accepté de témoigner du combat qu'il mène face à son extrême précarité.

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Olivier, sans-abri depuis neuf mois, vit à Vichy. Crédit photo : Pierrick Mouëza.

330 000, c’est le nombre de personnes sans domicile fixe (SDF) en France. C’est une estimation plutôt alarmante, surtout lorsqu’on sait à quoi ressemble une vie sans toit.

Vivre dans la rue ? Un quotidien qui paraît insurmontable mais qui est une réalité pour une partie de la population. Entre difficultés à se nourrir, à trouver un abri et face à une dégradation de la santé, comment ces personnes parviennent-elles à survivre ? Au-delà même de ces questions pratiques, qu’en est-il de la reconnaissance de ces personnes plongées dans l’ombre ?

Pour rappel, le terme « sans domicile » renvoie à deux types de situations décrites par l’INSEE dont celle des « sans-abris ». Voici le récit de l’un d’entre eux qui a accepté de témoigner de son extrême précarité.

« Je n’en peux plus de dormir dehors »

Lorsqu’on rencontre Olivier, 44 ans, on comprend vite que ces neuf mois passés sans domicile l’ont affecté. Emmitouflé dans ses vêtements donnés par le Secours Catholique, il raconte : « je suis SDF à Vichy (03) depuis pas mal de temps donc la santé se dégrade, le cœur lâche, mes poumons n’en peuvent plus ». Le terme de survie peut paraître excessif. Pourtant, vivre dans la rue s’apparente bel et bien à de la survie, d’autant plus quand l’hiver s’installe. Les jours se ressemblent. « Mon quotidien ? Dormir dehors, faire la mendicité, sourire aux gens qui me répondent », explique Olivier. Toujours la même quête : arriver à collecter assez « d’argent pour pouvoir survivre ». Un rythme de vie bien éloigné de ce quotidien « métro-boulot-dodo » que l’on connaît tous.

« Des fois, je peux rester des jours et des jours sans manger, ça devient très dur ». Le manque de nourriture, voilà un autre problème auquel fait face Olivier comme tant d’autres personnes vivant dans une précarité extrême.

Bien sûr, des associations existent, à Vichy comme ailleurs en France. « Les Restos du Cœur m’ont aidé à me fournir de quoi me nourrir », explique Olivier. Mais pour les personnes dans son cas, cela ne semble pas être une solution viable puisque, selon lui, la plupart du temps, les associations donnent des aliments « à faire cuire, donc c’est compliqué ». Alors, sans moyen de réchauffer ou cuire des aliments, les repas à sa disposition sont vite limités. Même s’il lui arrive de recevoir des dons alimentaires, ce n’est pas suffisant pour vivre comme tout un chacun.

« Ça risque d’être encore un peu dur aujourd’hui, comme demain, comme après-demain… », conclut-il en référence à son avenir incertain, le regard triste, plongé dans son gobelet où trônent quelques pièces de monnaie.

Le regard de la société

Le statut de sans-abri implique une marginalisation qui s’observe dans les relations avec les passants. En effet, ces personnes précaires sont exclues de la société alors même qu’elles vivent dans les rues que l’on fréquente chaque jour. 

Cette barrière entre deux mondes, Olivier y fait face chaque jour. Chaque réaction est différente, du « Oh, ta gueule la grosse merde ! » lorsqu’il salue un passant, au simple silence d’autres personnes pressées par le temps. « Entre midi et deux c’est le moment où personne me parle parce que tout le monde est pressé d’aller manger. Ils ne pensent pas qu’il y a un être humain qui est assis par terre », explique Olivier.

Le fait de mendier donne lieu à ce type de réaction de la part des passants. Ce phénomène a d’ailleurs été étudié en sciences sociales. Le chercheur Georgios Kouzas parle de « marge sociale » pour illustrer cette fracture entre les SDF et le reste de la population. Mais pourquoi un tel décalage ? Pour Georgios Kouzas, cela s’explique par le fait que « les mendiants sont considérés comme des personnes qui vivent loin des règles sociales et des limites réglementaires ». Forcément, cette image a une conséquence sur l’intégration des sans-abris dans la société. « C’est très lassant et pénible d’être ignoré comme un déchet », explique Olivier avec amertume.

Mais tous les passants n’ont pas la même réaction. « Je ne comprends pas pourquoi on vous laisse dehors ! », se désole une jeune femme en s’adressant à Olivier. Elle finit par déposer quelques pièces dans le gobelet du quarantenaire. Celle-ci lui propose ensuite une cigarette qu’il accepte avec joie, comme si tout le bonheur de la journée d’Olivier résidait dans ce cadeau si simple et pourtant si précieux pour lui. « Ce matin, on m’a donné un croissant » raconte Olivier comme pour rappeler que sa vie compliquée est aussi parsemée de moments heureux.

Une autre nécessité pour Olivier est d’avoir un toit. Sa solution ? Dormir à l’hôtel lorsqu’il arrive à réunir assez d’argent. « Là, je fais de la mendicité rien que pour essayer de réunir une certaine somme pour aller dormir une nuit à l’hôtel. Et le patron, si je paye une nuit, il m’en offre deux en plus, ça ferait trois nuits pour 70€ », détaille Olivier. Face à la détresse du sans-abri, le patron d’un hôtel vichyssois lui a fait cette proposition généreuse. « Ça ferait pas de mal de dormir dans un lit », ajoute Olivier. 

L’hôtel lui permet aussi d’avoir accès à une salle de bains et de profiter d’un petit-déjeuner. Cet arrangement montre la bienveillance de certaines personnes à l’égard des sans-abris. Les commerçants du coin qui connaissent bien Olivier lui permettent de charger son téléphone, un autre service précieux.

Bien sûr, tout cela n’est qu’une réponse temporaire aux problèmes de la vie sans toit. Pour lui, le Plan Grand Froid, activé lors des périodes de froid intense, est une solution idéale pour être à l’abri du froid mordant de l’hiver. « Chaque ville de France ouvrait un gymnase, des centres ou quoi pour nous mettre dedans et à l’heure actuelle, rien qu’à Vichy, il n’y en a pas », regrette-t-il.

Un combat administratif

Olivier essaye de s’en sortir à tout prix mais c’est sans compter les embûches administratives qui encombrent son chemin vers une meilleure situation. La carte d’identité représente son précieux sésame. « On m’a payé les photos, j’ai rendez-vous le 4 janvier à la mairie », confie le sans-abri. Problème, lorsque l’ancienne carte a été perdue ou volée, il faut payer un timbre fiscal, soit 25€, pour en refaire une nouvelle. Ce timbre fiscal est nécessaire pour demander une carte nationale d’identité, un passeport ou encore un titre de séjour, autant de papiers inaccessibles aux plus démunis qui ont perdu l’un de ces documents. 

Ce timbre représente une dépense de plus pour le sans-abri alors même qu’il doit manger et tenter de payer l’hôtel: « j’ai réussi à réunir 40€ sur 70€ et il ne me reste qu’aujourd’hui pour arriver à réunir 30€ », explique Olivier en référence à l’expiration de ses deux jours d’hôtel gratuits accordés par le patron de l’établissement. Avec toutes ces dépenses prioritaires, il est compliqué d’arriver à économiser assez d’argent pour se procurer un timbre fiscal.

 « En fait, je suis français sans-papiers », conclut Olivier avec un sourire amer. Les personnes qui vivent dans nos rues peuvent ainsi être sans-abri mais aussi sans-papiers. Ce cumul des inégalités les entraîne donc rapidement dans une précarité extrême. Dès lors, être sans-papiers rend toute démarche administrative plus complexe, voire impossible. « Je n’ai pas de carte d’identité pour justifier de mon identité », résume Olivier. Sans possibilité de prouver son identité, il est « invisible » et ne peut être aidé financièrement par le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS). Il lui est donc impossible de s’engager dans des démarches administratives. « Tant que je ne suis pas aidé dans le social, je ne trouverai pas une porte de sortie », déclare fermement Olivier. 

Être sans-abri c’est avant tout une lutte pour survivre. Vivre dehors implique aussi des complications administratives et sociales qui s’ajoutent aux difficultés du quotidien et entraînent une absence de reconnaissance envers cette population qui vit dans l’ombre et qui se bat constamment pour trouver la lumière.

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